Le site « Migrations à Besançon » suspendu à un accord Ville-Région

Créé en 2007 par la vidéaste Odile Chopard missionnée par Marie-Guite Dufay, alors adjointe aux affaires sociales de Besançon, ce formidable outil collaboratif va-t-il continuer après le 31 décembre et la fin du contrat-aidé qui l'anime ? Alors que les collectivités tardent à s'entendre, son conseil scientifique craint qu'il perdre son identité bisontine en s'élargissant à la région à qui la ville a demandé de l'aide...

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Un an après les festivités du dixième anniversaire du site Migrations à Besançon, plusieurs membres de son conseil scientifique s'interrogent sur son devenir, voire sa pérennité. Créé en décembre 2007 par la vidéaste Odile Chopard qui œuvrait depuis vingt ans au service audiovisuel de la ville, l'idée d'un « site collaboratif » lui était venue à l'esprit après que l'adjointe aux affaires sociales de l'époque, une certaine Marie-Guite Dufay, lui eut passé commande de travailler sur l'histoire de l'immigration.

C'est ainsi qu'Odile Chopard devint chargée de mission au CCAS dont « le lien social est une préoccupation », expliqua-t-elle un jour de juin 2009 lors d'un colloque au Puy-en-Velay, (à écouter ) qui l'avait invitée pour présenter ce qui reste encore aujourd'hui une réalisation très originale pour une collectivité. Ce ne fut d'ailleurs pas évident pour une instance dont la raison d'être est davantage l'action sociale que de faire de l'histoire. A tel point que certains, au CCAS, ont considéré le site comme « un corps étranger », souligne l'historien Pierre Kerlerou, membre du conseil scientifique.

La crise des sub-primes et les restrictions budgétaires qui suivront, puis le départ d'Odile Chopard en 2013, précipiteront les choses. « Le CCAS pensait que ce n'était pas sa vocation d'abriter le site, il s'en est séparé », confirme Solange Joly, alors conseillère municipale déléguée aux relations internationales qui s'active pour le placer sous sa protection en 2014. Elle emporte ainsi un arbitrage qui avait fait hésiter Jean-Louis Fousseret entre elle et Jean-Sébastien Leuba, alors adjoint à la vie associative.

Précaires moyens d'existence

Restait à faire vivre un objet assez unique en France de par son financement municipal et un fonctionnement articulant le travail d'une mini équipe professionnelle à l'apport de bénévoles et d'universitaires. Aux centaines de témoignages, écrits, suscités ou recueillis lors d'entretiens longs nécessitant préparation et investigation, s'ajoutent des mises en perspectives d'historiens, de géographes ou de linguistes, des animations publiques et des rencontres en milieu scolaires... Les moyens sont cependant limités. Le site est animé par Douchka Anderson qui n'a qu'un mi-temps. Et encore, c'est un emploi aidé, fragile par définition...

Ces précaires moyens d'existence ont été obtenus grâce à l'opiniâtreté et l'entregent de quelques uns. « Le conseil scientifique a joué le rôle de conseil d'administration, a vu le recteur qui s'est investi, a pris des contacts à l'université et une thèse est en cours sur le thème migrations et mouvements sociaux », explique l'historien Jean-Paul Bruckert. Ce sont cependant des bouts de chandelle, comme ce détachement hebdomadaire de quatre heures d'un enseignant d'histoire du collège Diderot durant un an. 

Mais les bonnes choses ont une fin et le contrat aidé, renouvelé exceptionnellement après sollicitation du préfet, prend fin au 31 décembre sans possibilité de prolongation. La ville, qui met 30.000 euros, s'est alors tournée vers la région pour qu'elle finance à la même hauteur. Celle-ci a alors transmis au printemps dernier le dossier à BFC-International, le réseau régional d'acteurs de la coopération et de la solidarité internationale. Une convention tripartite Ville-Région-BFC-I est envisagée.

« Histoire et mémoires, c'est intéressant, mais ça ne suffit pas... »

Mais au retour du projet de convention, le nom du site – Migrations à Besançon, histoire et mémoires – a disparu au profit de la formule « projet immigration ». Le conseil scientifique s'en émeut, raye la formule et remet le titre initial sur le document avant de la transmettre à l'adjoint au maire Thibaut Bize qui a remplacé Solange Joly il y a un an. Mais le texte revient de la région avec le titre « projet immigration ». Le conseil scientifique bondit et saisit Jean-Louis Fousseret du risque de voir la ville contribuer au financement d'un « projet régional dont l'identité créatrice va disparaître ».

Du coup, on entend dire que BFC-I serait écarté du montage. « La ville ne veut pas qu'on travaille avec BFC-I », confirme Patrick Ayache, vice-président du conseil régional, notamment en charge de l'international, et ancien directeur général des services de Besançon. Mais à entendre le directeur de BFC-I, Ousmane Syll, cela ne paraît pas aussi net : « On a l'intention de développer une approche globale. Histoire et mémoires, c'est intéressant, mais ça ne suffit pas. Les migrants ne font pas que des témoignages, mais participent à la vie locale, peuvent faciliter l'arrivée des nouveaux, faire l'interface entre ici et là-bas... S'il n'y a pas d'intérêt général au projet, mon conseil d'administration ne suivra pas... » Reste qu'il « attend toujours les retours de la ville et de la région... »

« Besançon n'est pas un village gaulois »

Au conseil scientifique, on sait que l'ouverture régionale est une condition de la survie du site et l'on se montre conciliant mais pas naïf : « on est très ouvert à la coopération avec les universitaires dijonnais, mais on refuse que BFC-I avale le site ». Les Bisontins ont-ils peur d'être submergés, de se noyer dans une entité plus vaste ? Voire dans un projet différent de l'existant ou lui tournant le dos ? « Il faut que chacun s'y retrouve », explique Thibaut Bize. « Ce qui m'intéresse, c'est un outil permettant de faire l'histoire de la région. Besançon n'est pas un village gaulois, l'immigration suisse y a joué un rôle dans l'horlogerie. Certains pensent que l'élargissement serait une disparition, mais il y a d'autres secteurs d'immigration dans la grande région, le pays de Montbéliard, le bassin minier du Creusot... » Ousmane Syll ajoute le Morvan à cette liste non exhaustive...

« Nous souhaitons que l'aide demandée par Besançon au conseil régional permette d'élargir le site à la région, je l'ai dit à Jean-Louis Fousseret », confie Patrick Ayache, « il préfèrerait une aide directe, je préfèrerais BFC-I, mais on va trouver une solution... » Il a entendu la crainte de voir le nom de Besançon gommé du futur titre et se veut rassurant : « On souhaite préserver le comité scientifique. Le nom actuel va très bien, c'est une histoire de partage... »

Thibaut Bize paraît sur la même ligne : « On est en train de se mettre d'accord sur les modalités. On est d'accord pour élargir le site au reste de la grande région, mais il faut que l'identité de Besançon soit forte... On a la volonté d'aboutir car le contrat [de travail] s'arrête à la fin de l'année... »

 

 

 

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