Le risque d’incendies de forêt progresse en Franche-Comté

La sécheresse et les ravages d'une chenille importée il y a dix ans avec le buis dont elle dévore les feuilles, contribuent à la révision du plan de prévention des risques. Les préfectures n'ont pas relayé les alertes de la DRAAF qui estimait dès avril « nécessaire d'organiser une lutte collective plus efficace pour améliorer les chances de réduction d’impact de la pyrale du buis. » L'ONF « surveille » mais ne « communique pas ». Besançon relocalise ses souches... Factuel vous donne des pistes de lutte...

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La combinaison de la sécheresse et des dégâts de la chenille de la pyrale du buis font sensiblement augmenter le risque d'incendies de forêt en Franche-Comté. Le système européen d'information sur les feux de forêts Effis mentionnait, ce très chaud mercredi 19 juillet, ce risque comme « faible » dans la zone frontalière, « modéré » entre Besançon, Dole et Saint-Claude, « élevé » autour de Lons-le-Saunier et en Petite montagne. Très sensible aux températures et à l'ensoleillement, le risque est redevenu « faible » le 20 juillet.

L'an dernier, à l'extrême sud du massif jurassien, six hectares de bois étaient partis en fumée en septembre 2016 dans le Bugey, ce qui avait conduit le préfet de l'Ain à prendre un arrêté de restriction d'accès de de « prévention des incendies ». Le texte signale notamment « la vulnérabilité au feu des massifs forestiers du sud du Bugey, amplifiée par les attaques de pyrale qui provoquent la défoliation des buis ».

Dominique Marcelot, du Conservatoire des espaces naturels de Franche-Comté gestionnaire de la réserve naturelle de la Côte de Mancy à Lons-le-Saunier, cité par Le Progrès du 16 juillet, assure que « le risque incendie va exister fin août ». L'infestation des buis est très importante dans la forêt de Lavigny dont la plupart des chemins sont quasi infréquentables en raison de milliers de chenilles pendues à leur fil de soie. Elles ne demandent qu'à explorer vos cheveux, vos membres ou vos vêtements, ce qui n'est pas très ragoûtant, mais elles ne vous feront aucun mal.

La combinaison litière sèche et arbres dépérissant hautement inflammable

De nombreux autres secteurs sont concernés, de Grange-de-Vaivre et Rennes-sur-Loue aux abords du lac de Vouglans et à la Petite montagne, de Quingey au bois de Bregille à Besançon et à Chapelle-des-Buis sur les hauteurs de la ville au bord du premier plateau... Jusqu'à 600 mètres d'altitude environ, partout où la chenille est passée, les buis ont perdu leurs feuilles. Quand la seconde génération arrive, elle se gave des nouvelles petites feuilles, puis quand il n'y en a plus, elle mange l'écorce, ce qui affaiblit terriblement le buis et le fait dépérir.

L'écologiste Anne Vignot, adjointe à l'environnement au maire de Besançon, estime la situation alarmante : « le risque d'incendie est aggravé par les maladies qui touchent aussi les pins noirs, les marronniers et les frênes ». Elle met l'accent sur la combinaison de la litière sèche, des arbres dépérissant et de l'orage, se souvient d'un départ de feu il y a trois ans dans le bois d'Anglas, sur le premier plateau.

Ingénieur au Centre régional de la propriété forestière de Franche-Comté, notamment en charge des questions relatives au changement climatique, Patrick Léchine est moins inquiet, quoique vigilant. « Le phénomène est récent, il n'y a pas eu d'alerte, pas de cellule de crise. Le risque n'est pas nul, on a déjà eu des petits incendies en Franche-Comté, souvent à partir d'écobuages mal maîtrisés, mais on brûle désormais moins en forêt. Et puis, les arbres autour des buis ne sont pas forcément des bons combustibles. Je vois mal un gros hêtre vert s'embraser... »

« Aucun service de l'Etat n'a indiqué un risque nouveau »

Technicien à l'ONF du Jura, correspondant-observateur du réseau Département de la santé des forêts de la DRAAFdirection régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt Bourgogne-Franche-Comté, Bruno Guespin estime qu'on « n'est pas à l'abri d'un incendie, mais ce ne serait pas de l'ampleur de ce qui arrive dans le sud de la France, car on a de l'eau régulièrement ». Cela a conduit le service départemental d'incendie et de secours du Jura (SDIS) à interroger l'ONF sur la situation. Dans le Doubs, le SDIS n'a été « contacté par aucun service de l'Etat indiquant qu'il y a un risque nouveau », souligne le capitaine Jean-Pascal Caillaud, adjoint du chef du centre de secours principal de Besançon.

N'empêche, la virulence de la propagation de la pyrale du buis, notamment la deuxième génération de l'année, a surpris par son ampleur. Elle est à l'origine de la migration du papillon des zones urbanisées, où les buis ornementaux, publics ou privés, sont nombreux, aux buxaies, les forêts où le buis est très présent. Alors que les attaques de pyrale peuvent, avec plus ou moins de succès, être contenues dans les parcs ou les jardins, la lutte en forêt n'est envisagée par personne. Autant parce que les superficies sont beaucoup plus importantes que pour des raisons économiques : « il n'y a pas d'enjeu de production », explique Bruno Guespin.

Outre le coût prohibitif d'un traitement par hélicoptère, ce ne serait pas non plus forcément une bonne idée sur le plan environnemental. La pulvérisation au bacille de Thuringe, un procédé de lutte biologique recommandé par les chercheurs du programme SaveBuxus, efficace sur les bosquets et haies urbanisés, pourrait avoir des conséquences inconnues ou indésirables sur les autres insectes des forêts, la faune qui s'en nourrit ou le sol. D'autres effets des destructions causées par la pyrale sont aussi à envisager, comme l'éboulement dans les secteurs escarpés : « le bois retient le sol, si les buissons meurent, le système racinaire aussi », explique Carole Delorme, technicienne ONF sur le premier plateau du Jura. Elle cite aussi le rôle d'abri pour la faune.

L'information existe depuis avril mais est mal ou peu relayée

Ceci étant, l'absence de mobilisation générale des préfectures a de quoi interpeller. Elle aurait pu avoir pour objectif d'éviter les propagations en passant notamment par le relai des élus locaux. C'est ce que déplorait, en 2013, Christophe Brua, le président de la Société Alsacienne d’Entomologie qui constatait amèrement les ravages dans la forêt de Buxberg dans le Sundgau (l'article des DNA ici).

Cette année, dès le 6 avril, le bulletin de santé du végétal consacré aux jardins et espaces végétalisés publié par la Direction régionale de l'alimentation, l'agriculture et la forêt de Bourgogne-Franche-Comté, mettait en garde : « Il est nécessaire de prévenir le voisinage détenteur de Buxusnom latin du buis pour les alerter et ainsi organiser une lutte collective plus efficace pour améliorer les chances de réduction d’impact de la pyrale du buis. » Les numéros suivants des bulletins de santé du végétal, dont ceux destinés aux pépiniéristes et horticulteurs, notent avec constance la progression du ravageur et donnent des conseils sur la lutte à mener.

Confinée aux seuls professionnels, l'information n'a pas été suffisamment partagée. On ne trouve aucun communiqué de presse sur les sites des préfectures, aucune alerte sur les sites des associations de maires. L'ONF n'a pas non plus produit de directive, tant interne que vers l'extérieur : « On fait de la surveillance », explique Jean-François Boquet, adjoint au délégué territorial de l'ONF Bourgogne-Franche-Comté. « Il y a un risque, susceptible de s'élever, on reste vigilant, mais on ne veut pas communiquer pour ne pas donner des idées à certains... »

Révision des plans de prévention des risques

Certes. On est pourtant dans un processus de révision des plans de prévention des risques afin d'intégrer notamment le risque d'incendie de forêt ! L'observatoire national des risques naturels ne renseigne pas aujourd'hui sur l'état du risque incendie de forêt en Franche-Comté (voir ici). Qu'est-ce qui pourrait changer ? Etablir un PPRIFplan de prévention des risques d'incendies de forêt comme dans le sud ? Un document qui pourrait, par exemple prévoir des aménagements du type DFCIdéfense de la forêt contre l'incendie afin de faciliter les éventuelles interventions ? « On n'en est pas là », répond Jean-François Boquet.

Une telle perspective suppose aussi que s'instaure une culture du risque, comme on l'a répété à satiété à propos des attentats. Cette culture est évidemment partagée par les pompiers franc-comtois qui vont régulièrement renforcer leurs collègues du midi dans la lutte contre les incendies de forêts. Restera à la faire prospérer parmi la population, à tout le moins au sein des communes forestières. Ce que Daniel Conversy, colonel de pompiers à la retraite, traduit par : « On n'a pas de problème de formation ou d'expérience, mais nos forêts ne sont pas préparées... »

Bref, si la presse fait son travail en parlant des ravages de la pyrale, c'est par le biais d'alertes de particuliers, trop tardives pour que s'organisent des actions concertées à la bonne échelle. Du coup, les habitants et les petites communes se sont le plus souvent retrouvés démunis face à un problème complexe alors que la connaissance existe, que des recherches sont menées et des expériences conduites, avec des réussites, relatives, et des limites. La plupart échangent leurs expériences, trucs et astuces avec leurs voisins, convaincus que la lutte individuelle est vouée à l'échec.

 

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