Le renouvellement urbain débute à Planoise : « on se croirait dans un film de zombies »

La vie quotidienne vire au cauchemar pour les derniers habitants de certains bâtiments promis à la démolition à Planoise. Dans l’attente d’un relogement, plusieurs foyers vivent dans des bâtiments désormais insalubres et ouverts aux quatre vents, où se croisent dealers, squatteurs toxicomanes et récupérateurs de métaux. La situation s’enlise à cause des modalités de mise en œuvre du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), qui prévoit de ne pas reloger les Planoisiens à Planoise, où des logements sont pourtant disponibles. Reportage initialement publié sur le blog Le Compost, Factuel reviendra sur ce dossier prochainement.

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Lundi 4 janvier 2021, 7 h 45. L’un des derniers habitants du 1 square Van Gogh nous accueille au pied de son immeuble : « On se croirait dans un film de zombies, non ? » Le décor est en effet apocalyptique. Dans les appartements abandonnés par leurs locataires, les portes ont été défoncées à la masse, à tous les étages. « Le bailleur dit les avoir lui-même éventrées pour éviter le squat. »

Manqué ! Au dernier étage, constamment sous surveillance des trafiquants de drogue et seule partie des communs où l’électricité demeure, trois toxicomanes dorment dans un recoin où ils ont élu domicile. « C’était inévitable », commente avec audace le bailleur.

En journée, les consommateurs de drogue sont de plus en plus nombreux à déambuler dans ce labyrinthe. La vacance, même partielle, est très propice au deal. Dès 10 h du matin, une file d’attente se forme devant l’immeuble. « Il n’y a jamais eu autant de camés ici », nous indique-t-on. La visite de Christophe Castaner au pied de la tour, le 14 mars 2019, et ses promesses de « reconquête républicaine » semblent bien lointaines.

« Les récupérateurs de métaux s’activent la nuit à tous les étages avec leurs scies électriques. Quand on appelle la police, elle nous dit qu’elle va voir si des effectifs sont disponibles, mais personne n’a jamais su si des agents se sont déplacés » indique un habitant, déplorant que l’inviolabilité de son domicile soit en péril.

Pour limiter les allées et venues importunes, le bailleur Neolia envoie quotidiennement un agent de sécurité dans le hall d’immeuble, de 18 h à 8 h du matin, depuis le début du mois de janvier. Sa présence ne suffit toutefois pas à sécuriser celui-ci, d’autres accès étant sans surveillance (toute une population s’y infiltre par l’escalier en colimaçon situé à proximité du parking de l’Intermarché).

« On va finir par trouver notre porte cassée en rentrant chez nous le soir », craint un locataire. La plupart des cinq foyers encore en attente de relogement se protègent de manière précaire d’un risque d’intrusion dans leur domicile avec des affichettes collées sur leur porte d’entrée. « Appartement encore occupé, merci de respecter les lieux » ; « merci de ne pas casser la porte » peut-on y lire.

Au 2 et 4 rue de Picardie, la situation est aussi fortement dégradée. Plus aucune porte de hall ne ferme. Profitant des premiers départs d’habitants, dealers et squatteurs gagnent du terrain dans les parties communes, plus que jamais couvertes de tags, d’urine et d’excréments. Dans les étages inférieurs, une très forte odeur de stupéfiants émane de certains appartements, près desquels sont disposés des chaises de « choufs ». « Il faut vite partir d’ici avant dix heures, vous comprenez pourquoi ? », avertit un habitué des lieux soucieux de notre sécurité.

Le plan de rénovation urbaine en cause

La désertion progressive de ces immeubles est la conséquence des premières opérations du plan de rénovation urbaine de Planoise prévoyant entre autres la démolition de nombreux logements dans le quartier. Certains d’entre eux, bâtis dans les années 80, étaient encore parfaitement habitables et économes en énergie (tel est le cas du 1 Square Van Gogh, dont les diagnostics de performance énergétique atteignent la catégorie C en termes d’isolation thermique). Mais la Ville de Besançon en a décidé autrement : il faut démolir de nombreux logements, fussent-ils parfaitement fonctionnels, et en reconstruire peu à Planoise. Si le PRU promet d’améliorer la qualité de l’habitat, il vise surtout à dépeupler quelque peu le quartier et à réduire le nombre d’îlots communicants, espaces échappant souvent à la surveillance policière.

Bailleurs sociaux et élus bisontins se sont mis d’accord pour tenter de faire migrer dans d’autres quartiers, voire hors de la ville, les habitants des tours qui seront détruites. Fin 2019, les habitants des immeubles à démolir ont été avertis de leur relogement à venir. D’après la « charte communautaire de relogement » que nous nous sommes procurée, le Grand Besançon affiche clairement sa volonté de les « reloger hors des quartiers prioritaires de la ville » afin de « favoriser la mixité sociale ». Traduction possible : réduire la densité d’habitants dans les lieux de deal historiques ; disséminer dans les quartiers et l’agglomération une population jugée — pour partie — ingérable par les autorités.

Une question demeure. Pourquoi ces immeubles commencent-ils à être évacués avant même que l’ensemble des locataires aient accepté un logement similaire ?

Ces habitants qu’on veut chasser de Planoise

La fédération SOLIHA, chargée du relogement des locataires, ne propose aux Planoisiens concernés que des logements situés hors de Planoise. C’est là que le bât blesse. Les Planoisiens sont majoritairement très attachés à leur quartier, à tel point que la plupart d’entre eux n’envisagent pas de le quitter.

Or, face aux demandes de relogement dans la même zone géographique, SOLIHA répond bien souvent aux locataires qu’aucun HLM n’est disponible à proximité. L’organisme propose des logements à Beurre, Pirey, ou encore des logements de taille et prestations inférieures dans le centre-ville bisontin. Furax, un habitant du 1 Square Van Gogh a pourtant découvert que des logements de Neolia situés en face de chez lui, rue Picasso, apparaissaient sur Le bon coin, sans jamais lui être proposés. Depuis, le bailleur a promptement retiré les annonces…

D’après une élue locale siégeant au conseil d’administration d’un bailleur social, de rares dérogations permettraient aux locataires d’être relogés dans le quartier. Questionnée au sujet de l’existence officielle, du fondement juridique et des critères de cette interdiction de relogement à Planoise, l’édile n’a pour le moment pas été en mesure de nous apporter d’éléments de réponse, mais précise que la dérogation dépend de l’autorité préfectorale. En tout état de cause, certains locataires ne bénéficient toujours pas de « dérogation » leur permettant d’y rester.

Cet article a été publié initialement sur le blog Le Compost

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