Le « quartier libre » des Lentillères de Dijon invité à Besançon

Depuis huit ans, cet ancien site de maraichage promis à l'urbanisation est occupé par des jardiniers, vivant ou non sur place, expérimentant dans une relative précarité matérielle des formes d'organisation autogestionnaires. Redoutant l'expulsion, ils préparent une semaine de mobilisation fin avril. La comparaison avec les Vaîtes a des limites mais n'a rien de fortuit !  

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J'ai débarqué sur le quartier libre des Lentillères par un doux matin de printemps. Au téléphone, Maÿs avait indiqué deux rues. L'une d'elle a sa chaussée défoncée. Rectiligne, elle est encaissée entre le haut mur de soutènement de la voie ferrée qui va vers Nancy et la limite du quartier, mi haies buissonnantes mi murs, entrecoupée de passages piétons. Au bout de la rue, je tourne à droite et tombe sur un petit parking devant ce qui semble être l'entrée du lieu. Adossé à des arbustes, un panneau confirme cette première impression. Au-delà d'un espace jardiné large d'une trentaine de mètres, trois mots sont peints en rouge sur un mur : « potager des Lentillères ».

C'est le jardin du Pot'Col'Le, le Potager collectif des Lentillères. Son défrichement par une centaine de personnes, en mars 2010 après une manifestation pour l'attribution de terres à des maraîchers, est le point de départ de l'occupation de cet îlot de 6 hectares appartenant à la zone de 19,6 hectares où la ville de Dijon a décidé de construire 1500 logements. La première tranche de ce projet appelé « écocité Jardin des maraîchers » est en travaux.

Il n'y a personne ce jeudi matin sur le Pot'Col'Le qu'une dizaine de personnes cultivent, en soirée ou le week-end, sur une trentaine d'ares. Je le traverse, franchis le mur et me retrouve sur un sentier au milieu de dizaines de petits jardins individuels. La première personne que je croise est Jean-Pierre. Paysan-maraîcher en Saône-et-Loire, il travaille depuis trois ans une parcelle de quelques ares avec une amie. Il se propose aussitôt de me faire faire le tour de la friche. On tombe sur Chantal, aussi pressée de terminer du désherbage sur sa petite parcelle que soucieuse d'être à un rendez-vous pour préparer un dossier pour un demandeur d'asile...

Une ancienne villa démolie par la ville

On sort des jardins et nous voilà sur l'esplanade d'une vieille bâtisse. « Elle est habitée par des Touaregs », dit Jean-Pierre en franchissant une autre haie. C'est le jardin des maraîchers. Ironiquement, les occupants ont détourné l'appellation de l'éco-quartier. Leur ambition est de réaliser un véritable espace de maraîchage pour se nourrir, alimenter un marché hebdomadaire à prix libre dont les recettes sont réinvesties dans l'équipement et le matériel. Une serre à plants permet la préparation des prochains semis. Maÿs et Charline désherbent. Tout à l'heure, elles pailleront la rhubarbe. Rendez-vous est pris pour le déjeuner.

Jean-Pierre fait toujours le guide. Ici un essai de germination de patates douces couchées sur du terreau. Là le hall à matériel. Plus loin la grange où se tiennent les fêtes et les concerts. Un côté est dédié à une friperie. On ressort, passe devant des composteurs, des éléments de mécanique... Une nouvelle haie et voilà une mimi maison de bois à côté d'une yourte.

Plus loin, une construction en bois, le bateau de pirates, sensée être un espace de jeux pour les enfants. Juste à côté une ruine. Celle d'une ancienne villa démolie par la ville alors qu'elle servait de centre logistique aux occupants. Il en reste deux pans de murs. A quelques pas, trois ou quatre gradins de pierres font face à une scène de théâtre en plein-air.

Une friche d'un demi-hectare débroussaillée l'an dernier

Tiens, voilà une allée carrossable. On la traverse, on est aux « petites Lentillères » dont l'occupation a commencé. D'un côté des habitats plus ou moins informels. La construction d'une jolie maison en paille, bois et enduit de chaux et terre crue se termine. Jean-Pierre remet le couvercle d'un puits... De l'autre, une friche d'un demi-hectare a été débroussaillée l'an dernier : « on l'a plantée de courges et on en a récolté 3 à 4 tonnes qui ont servi aux repas cet hiver... »

En retournant au Pot'Col'Le, on passe par le « camping » et un espace boisé... Près du jardin collectif, l'atelier de réparation de vélo et le snack-friche, autre construction légère, sert à mille choses : détente, lecture, réunions, accès internet...

En huit ans, un petit monde social s'est créé, organisé, construit autour de projets différents et convergents. Les jardiniers du Pot'Col'Le habitent à l'extérieur, ont des métiers... Les maraîchers vivent sur place, sont généralement plus jeunes : « sans habitat, on n'aurait pas tenu », dit l'un. De juin à novembre, ils tiennent un marché à prix libre qui attire au-delà des cercles militants. Entre les deux, les jardiniers individuels ont des profils plus variés, parfois militants, pour quelques uns du voisinage. 

Une fois par mois, une assemblée générale réunit de quinze à quarante personnes. « On parle de tout, on acte ce sur quoi on est d'accord. Il y a deux ans, on a fait une AG pour partager les usages de terrain. On a des règles tacites sur ce qui est commun », dit Maÿs. La première est l'absence d'intrant chimique. D'autres découlent des caractéristiques des lieux et de la précarité de l'occupation « sans droit ni titre ». Pour pallier l'absence d'assainissement, des toilettes sèches ont été installées. On utilise des lessives faites sur place...

 

 

 

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