Le projet d’écoquartier des Vaîtes vacille

La ville souhaite aller vite, mais l’aménagement prend un sérieux coup d’arrêt. Dans le meilleur des cas pour elle, les travaux ne devraient pas reprendre avant six mois. Et à condition que le préfet autorise un projet de plus en plus fragile et recalé sur le pan environnemental... Le foncier manque pour mettre en œuvre des mesures de compensations proportionnées aux destructions d'espèces demandées par le CNPN.

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Près de 60 ans de préparation et tout s’accélère en quelques jours... L’aménagement des Vaîtes n’était déjà pas une simple affaire, mais elle n’avait jamais cumulé tant de difficultés. Le 25 février, c’est devant les cendres de la maison du projet de l’écoquartier, partie en fumée cette nuit-là dans un incendie volontaire, que le préfet du Doubs et le maire de Besançon annoncent une suspension du chantier pour reconsidérer le pan environnemental du projet. Ce qu’ils n’ont pas dit, c’est que la Commission nationale de protection de la nature (CNPN) renvoyait onze jours plus tôt un avis défavorable à la demande de dérogation pour la destruction d’habitats et d’espèces protégées. Rendu public le 27 février, l’avis n’est que consultatif. Mais il pèse lourd et porte un sérieux coup à la crédibilité écologique du projet. Pour l’heure, la ville reste suspendue à la décision de la préfecture.

S’il avait été annoncé un temps que la ville et Territoire 25, l’aménageur, allaient rédiger un argumentaire à la Dreal pour fournir des réponses et des explications aux faiblesses de l’étude pointées par le CNPN, il semble aujourd’hui que ce ne sera finalement pas le cas. En tout cas pas avant que la Dreal ne soumettent ces questions à la ville. Cela fait depuis fin janvier que des interrogations sont portées par les membres de l’association Les jardins des Vaîtes constituée à l’automne dernier et qui, pour beaucoup, sont reprises dans le rapport du CNPN. « Il n’y a pas eu d’études poussées sur les chauves-souris ni sur les zones hivernales des hérissons. Ils ne savent donc pas où ils sont », dénonce un naturaliste habitant sur le site. « Le bureau d’étude explique qu’il y a une zone de vingt hectares d’un seul tenant qui accueille une faune commune, mais assez remarquable dans le contexte urbain. Et, au bout du dossier, on s’aperçoit qu’il y a deux tiers de perte sèche de milieu naturel et donc d’habitat pour ces espèces, mais que ce n’est pas trop grave ».

L’auteur de l’étude se justifie

Mais qu’en dit l’auteur de l’étude lui-même ? « J’ai fait des suivis faune/flore sur la période 2011-2018, on ne peut pas dire que ça n’a pas été pris en compte. Est-ce qu’elles sont suffisantes, ce sera au préfet et aux experts scientifiques d’en juger », indiquait Frédéric Jussyk, écologue, gérant du cabinet Spécies, juste avant la publication de l’avis défavorable du CNPN. Il argumente ensuite que sur l’espace des Vaîtes, deux tiers de la surface ne constitue pas deux tiers des habitats d’espèces animales. « Vis à vis des riverains c’est un espace vert, mais tout n’est pas un espace naturel ou semi-naturel. Il y en a à peine la moitié, ce sont les bassins, les bosquets, haies, fossés et la prairie de fauche. Dans les jardins potagers ou les bandes en herbe semées, la flore originelle a disparu, et il n’y a pas grand-chose de naturel. »

La principale critique de la CNPN concerne l’insuffisance des mesures compensatoires à la destruction d’espèces. « En regard de 23 hectares détruits et 15 hectares au moins d’espaces naturels, il est proposé à peine 2 hectares de compensation », indique-t-elle. Pour le naturaliste du Jardin des Vaîtes, « les mesures de compensation sont des fausses mesures qui disent que les espèces vont se reporter sur les espaces verts voisins. Certes, il y a de la forêt à côté, mais elle est déjà occupée par d’autres espèces et d’autres individus des mêmes espèces ». C’est sur ce point que le dossier fourni par Territoire 25 et le cabinet Species aura le plus de mal à convaincre les services de la préfecture.

Difficulté d’accomplir des mesures de compensations
proportionnées en milieu urbain

Les mesures de compensation décrites dans la demande de dérogation prévoient le nettoyage d’un « îlot boisé de vieillissement de 1,5 hectare » et la remise en état d’une roselière en phase d’assèchement sur environ 1 hectare et la création d’une mare de 50 m² en son centre. « C’est facile de dire qu’il n’y a pas de mesures compensatoires, ce qui est compliqué, c’est le foncier. Les compensations on les fait où ? En ville tous les espaces sont comptés... Là on peut parce qu’on a la chance d’avoir un petit bois à côté qui a été évité par le projet. Ce bois va être nettoyé, parce qu’il y a une tonne de déchets dedans », indique l’écologue.

Après des années de batailles judiciaires pour contester le prix de rachat des terrains par la ville, Besançon a reçu une bonne nouvelle le 5 décembre 2018 dans le cadre d’une autre procédure. Celle-ci concerne une demande d’annulation de deux arrêtés préfectoraux de 2014 modifiant la déclaration d’utilité publique du projet. Le Conseil d’État avait annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy, qui avait donné raison à la requérante en 2017. Juste avant les travaux prévus en janvier, la ville n’avait pas communiqué sur cette décision, d’autant qu’un recours reste encore possible.

Faute de foncier, mieux respecter la séquence éviter – réduire – compenser comme le demande la CNPN paraît compromis. L’option du dépôt d’un nouveau dossier pour espérer un avis favorable du CNPN n’est donc pas sur la table, car cela nécessiterait de nouvelles études et une nouvelle réduction de la voilure du projet. Pour Nicolas Bodin, adjoint à l’urbanisme de Besançon, « tout a été fait correctement ». Et bien que sensible aux considérations écologiques, l’aménagement du quartier des Vaîtes reste une priorité pour la commune, qui lorgne ce bout de terrain depuis des décennies. La logique est de combler une dent creuse au milieu de la ville pour éviter de l’étaler davantage et de fournir des logements à Besançon qui en manquerait. Pour justifier ce point, l’équipe municipale renvoie à une étude de 2016 dont seule la synthèse est disponible. Comme d’autres détracteurs du projet, Jacques Grosperrin, opposant municipal et sénateur Les républicains du Doubs, n’est pas sur la même position. Il évoque « un marché de l’immobiliser en difficulté à Besançon car la population y est stable voire décroissante ».

Nicolas Bodin, dont l’une des missions sur le mandat est d’attirer les familles avec enfants, indique qu’il faudrait construire 500 logements par an pour maintenir la population. « Comme dans d’autres villes, nous avons 50 % des logements occupés par une personne, 25 % par deux personnes, et 25 % par plus de deux personnes ». Il cite l’exemple du nouveau quartier Vauban où dit-il, « tout est vendu depuis déjà des mois ». S’il entend les considérations écologiques, celles-ci n’infléchissent pas sa position et il regrette les critiques sans proposition d’emplacement alternatif. « Je ne suis pas là pour bétonner toute la ville. Le seul problème, c’est que personne n’est capable de me dire ce que l’on fait en termes d’évasion des habitants à Besançon. Entre utiliser des terres arables et laisser des gens habiter à 30 km, qu’est-ce qui répond le mieux aux enjeux climatiques ? »

En tout cas, la situation semble aujourd’hui complètement figée, si ce n’est bloquée. Après le revers cinglant infligé par la CNPN et l’arrêt des travaux, la ville se retrouve désormais coincée. Encore une fois pour des raisons environnementales. Même avec l’autorisation du préfet, les travaux ne devraient pas redémarrer avant au moins six mois. Nous entrons en effet dans une période de nidification puis de reproduction des oiseaux pendant laquelle il est interdit d’effectuer des opérations de défrichement et de déboisement. Ces travaux ne sont autorisés que de mi-août à mi-mars, afin de réduire leur impact sur la faune. Une réunion prévue avec des jardiniers au mois de mars pour lancer une association qui devrait gérer les jardins dans le cadre de l’écoquartier a d’ailleurs été annulée, sans qu’une nouvelle date ne soit donnée.

Sur le terrain, la ville devra faire face à une opposition qui connaît de nouvelles formes et qui gagne en puissance. Pour défendre ce poumon vert au cœur de la ville, ses terres fertiles et les espèces animales qui y vivent, l’association Les jardins des Vaîtes a lancé une pétition pour sensibiliser l’opinion publique et proposer, plutôt que la construction d’un quartier aux Vaîtes, « un laboratoire d’expérimentation de nature et de jardinage urbains ». C’est elle qui avait sonné l’alerte en découvrant que les travaux entamés le 28 janvier avaient commencé avant même la fin de la consultation du public concernant la dérogation pour la destruction d’espèces. En organisant une conférence de presse le 15 février, l’association a forcé la ville à se justifier sur ce point.

Mais les arguments n’ont pas convaincu, et la pression s’accentue. Des membres de l’association sont venus avec grelinettes et plants jardiner le 7 mars un parterre d’herbe au pied de la mairie. Pour la narguer, ils ont posté une demande d’autorisation de permis de végétaliser, bien sûr après avoir commencé... Au moment même où cette opération était menée, avec l’appui du groupe d’Action non violente COP-21, le conseil municipal s’écharpait sur le sujet pendant près de deux heures. Face aux oppositions, les partisans de l’écoquartier des Vaîtes défendent toujours la pertinence de construire un quartier sur ce vaste espace de 40 hectares au cœur de la ville. Mais la question se pose plus que jamais. Est-ce que détruire une zone exceptionnelle en pleine ville pour y implanter un quartier répond encore à un impératif d’intérêt public majeur au XXIe siècle, à l’heure des efforts indispensables à fournir pour préserver l’environnement ?

« J’ai quand même un besoin de production de logements. C’est un dossier qui dure depuis très longtemps et on a fait passer le tram exprès. Ce n’est pas une position d’orgueil, mais ce serait très difficile de dire que, finalement, on a exproprié des gens mais on a réfléchi et on ne fait plus les Vaîtes », explique Nicolas Bodin. Chacun campe sur ses positions… Alors que la ZAC, rebaptisée alors Zone à cultiver, avait été occupée par des jardiniers en 2016 pendant le mouvement Nuit debout, certains craignent maintenant l’émergence d’une mobilisation type ZAD. Nous n’en sommes pas là pour le moment, même si certains semblent en rêver.

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