Le Domaine des Bâties va revenir à Mouthe

Cet alpage du Risoux de 240 hectares avait été acheté par le département du Doubs en 1991. A l'époque, le président Georges Gruillot projetait d'y implanter un centre d'essais routiers qui avait indigné toute la région avant d'être abandonné. La commune achète pour maintenir l'accès public du site et s'engage à maintenir pendant 40 ans le statut d'espace naturel sensible adopté en 2012.

baties

La cession du Domaine des Bâties à la commune de Mouthe est l'épilogue d'une vieille histoire. Celle d'une de ces batailles pour la sauvegarde de l'environnement qui mobilisent toute une région et même au-delà. L'alpiniste Patrick Gabarrou, alors président de Mountain Wilderness, était ainsi intervenu et avec lui une grande partie de la communauté montagnarde...

Au début de l'année 1991, le conseil général du Doubs, alors présidé depuis 1982 par Georges Gruillot, maire RPR de Vercel et sénateur de 1998 à 2008, achète à plusieurs propriétaires privés, 240 hectares dans le Risoux. Situé sur les hauteurs de Mouthe, le temple du ski de fond qu'est le Risoux est un massif frontalier situé entre le Mont d'Or et Morez qui culmine au Gros-Crêt à 1419 mètres d'altitude. Les deux tiers du domaine des Bâties sont constitués de forêts, le reste de pelouses, prairies et prés-bois. Deux éleveurs y font paître des génisses en été.

Un projet qui révolta et mobilisa les Francs-Comtois

Une route de desserte forestière et pastorale part de Chez Liadet, la porte d'entrée du domaine nordique de Mouthe. Suivant le fond d'une longue combe, elle passe en contrebas de la ferme Chez Mimi avant de rejoindre la Bâtie-Dessous et la Bâtie-Dessus, deux fermes d'alpage faisant office, la première de gîte d'accueil pour agents du département, la seconde de centre équestre géré par la PEP25 et l'Espace Mont d'Or, centre de vacances basé aux Longevilles Mont d'Or. La route continue jusqu'à la Suisse, desservant l'alpage des chalets des Grosses Mauves et Petites Mauves. Au nord-est, le domaines des Bâties comprend également Chez Bougaud, ferme partageant un vaste alpage avec Chez Renaud et Chez le Soldat qui n'appartiennent pas à la propriété départementale.

A l'époque de l'achat, Georges Gruillot fomente le projet d'y accueillir un centre d'essais routier porté par le constructeur automobile Mercedes. L'idée est de construire des pistes sur lesquelles les célèbres voitures allemandes pourront rouler plusieurs mois par an sur des chaussées verglacées ou enneigées, tester des pneus... On prévoit aussi des bâtiments et une haute clôture d'enceinte pour préserver la confidentialité de ces bruyantes activités ! Dès qu'il est éventé, le projet révolte non seulement les défenseurs de l'environnement, mais aussi de nombreux habitants du Haut-Doubs.

Le domaine devient un « espace naturel sensible »

C'est ainsi que naît, en septembre 1991, le comité de défense de Chez Mimi... La mobilisation est telle que le projet est abandonné. Pour la petite histoire, c'est le député et conseiller général Roland Vuillaume, du même camp politique de Gruillot, mais en désaccord sur le projet, qui me glisse à l'oreille l'information en me demandant de ne pas le mouiller. Je travaille à l'époque pour L'Est républicain, à Morteau. Le renoncement fait la une du journal le lendemain...

Le domaine des Bâtie deviendra en 2012 l'un des dix sites-pilotes du Doubs classé parmi les Espaces naturels sensibles, trente ans après la loi les instituant, après l'élaboration en 2006 d'un schéma départemental permettant « d’identifier des espaces à intérêt patrimonial particulier » et définir « une stratégie et des priorités d’intervention ». Il fait également partie, depuis 2014, du site Massif du Mont-d’Or, du Noirmont et du Risol du réseau européen des « sites naturels les plus remarquables » Natura 2000.

Lundi 26 juin 2017, le conseil départemental approuvera finalement la cession du domaine – avec les seules voix de la majorité LR-UDI-DVD, l'opposition s'abstenant – à la commune de Mouthe qui l'avait adopté à l'unanimité le 16 mai (voir ici point 10) puis complété sa décision le 20 juin (voir ici point 5). La délibération du département prévoit d'abord une distraction du régime forestier, obligatoire en cas de cession, puis par sa prorogation au profit de la commune : cela passe par un arrêté préfectoral. Le prix est fixé à 2,3 millions, soit un peu moins que l'estimation de 2,567 millions effectuée en 2007 par France-Domaines.

Mouthe emprunte pour 40 ans et augmente ses impôts locaux

La délibération souligne que le « maintien dans le patrimoine départemental n’est pas une condition essentielle à la garantie d’une bonne gestion ENSEspace naturel sensible. Cependant, en raison de la qualité exceptionnelle de ce site, il est primordial que sa vente n’obère pas les richesses qu’il abrite et notamment sa faune (le grand tétras, la gélinotte) et sa flore. En outre, son démembrement est à éviter dans la mesure du possible afin de garantir une gestion cohérente. »

Cela n'a qu'à moitié convaincu Martine Voideyélue PS, elle est la suppléante du député Frédéric Barbier qui siège dans le groupe parlementaire REM , présidente du groupe d'opposition pour qui « La sagesse voudrait qu'on garde le domaine car les espaces naturels sensibles sont de la compétence du département ». Elle se dit « dubitative » quant à la garantie de 15 ans mentionnée dans la délibération en vertu de quoi la commune s'engage à « ne pas démembrer la propriété pendant 15 ans, cette condition résultant du régime forestier ». Cependant, la délibération du conseil municipal de Mouthe du 20 juin porte cet engagement à 40 ans, la durée de l'emprunt que doit contracter le village.

Pour financer l'achat, l'emprunt est complété par une augmentation de 17% du taux des quatre taxes locales : habitation, foncier bâti, foncier non bâti et cotisation foncière des entreprises. Ce faisant, les recettes fiscales de la commune passent dès cette année de 234.638 à 281.537 euros. Cet effort n'a pas été du goût de tous les conseillers municipaux qui ont été huit à l'approuver, sept s'abstenant.

Ce mode financement répond aux interrogations de Gérard Galliot, conseiller départemental PS, qui s'étonnait « qu'une commune peut mettre ce prix alors que d'autres n'arrivent pas faire leur assainissement ou financer leur voirie et qu'on vient de débattre de l'aide aux communes... »

« Nous gardons la partie technique, la gestion de l'ENS, l'important est de ne pas démanteler la forêt », a cherché à rassurer la présidente du département Christine Bouquin.

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !