Le compte pénibilité : l’usine à gaz qui fait bouillir les patrons

Selon la CGPME qui appelle à une manifestation nationale à Paris lundi 1er décembre, le compte pénibilité est trop compliqué à mettre en oeuvre, notamment dans les entreprises de moins de 50 salariés. Louis Deroin, son vice-président régional, explique pourquoi.

Votre syndicat, la CGPME dont vous êtes le vice-président en Franche-Comté, organise lundi 1er décembre une manifestation nationale à Paris que vous présentez comme « un mouvement d'une ampleur jamais vue dans le monde patronal ». Vous mettez en cause le compte pénibilité, les dispositions sur la transmissions d’entreprises et sur les dividendes, les lourdeurs administratives, l'augmentations des taxes, l'instabilité fiscale, le droit du travail, les  disparités de traitement... Certains sujets sont loin d'être nouveaux. Qu'est-ce qui a déclenché votre colère ?

Je résumerais d'un slogan : « trop, c'est trop ». On a l'impression d'une compétition pour sortir la mesure la moins facile à mettre en place. La goutte d'eau, c'est le compte pénibilité. Il est plus que difficile à mettre en place.

En savoir plus sur le compte pénibilité
Les principes sur le site du ministère de la santé, ici
Un site dédié pour salariés et employeurs,
La CFDT : « les décrets enfin publiés », ici
Le communiqué de la CGPME
La position de la CGT ici

Philosophiquement, c'est quand même la mesure qui a fait signer par la CFDT le fameux accord national interprofessionnel qui a tant divisé les syndicats de salariés...

Oui, il y a eu haute négociation syndicale... Mais il y a une très problématique mise en oeuvre opérationnelle. C'est ingérable de mesurer, collaborateur par collaborateur, neuf critères de pénibilité, de savoir si un salarié porte plus de 15 kg plus de 600 heures dans l'année. Soit l'entreprise va tomber dans l'absurde, va payer pour ne pas être ennuyée, soit elle sera retoquable en permanence. Dans les toutes petites boîtes, ce sera ingérable. Il y a un gros problème de fond : on a toujours de bonnes intentions et de bonnes idées qui débouchent sur un projet ingérable, une nième usine à gaz...

Quelles entreprises pourraient mettre en oeuvre le compte pénibilité ?

Celles qui en ont les moyens, suffisamment de personnel en ressources humaines. Dans des PME, on a deux à trois fois plus de travail administratif dans les procédures. On a ainsi refusé de signer la réforme de la formation professionnelle en raison des deux types d'entretiens formation et de l'épée de Damoclès prud'homale... On va tuer l'emploi avec ça.

Comment proposeriez-vous de gérer cette affaire de pénibilité ?

Par la mise en place d'une concertation entre employé et patron, au cas par cas, en fonction du bonhomme : un sportif de 25 ans ne soulève pas 15 kg comme un gars de 55 ans qui a mal au dos.

Cela peut-il s'externaliser ?

Oui, mais qui paie ? On voit partout des cabinets conseil sur l'aménagement des locaux pour l'accession des handicapés. C'est 600 à 800 euros l'audit pour un commerçant... Les chambres de commerce et d'industrie ne savent pas comment conseiller les entreprises pour cette accessibilité. Chez moi, à Valentigney, l'association des commerçants a rencontré la ville, l'urbanisme, la chambre de commerce, un spécialiste en diagnostic : aucun ne dit la même chose ! Regardez le code du Travail, c'est un vrai problème, une véritable inquiétude intellectuelle de savoir si l'on est à jour sur l'information à donner aux salariés. Il y a dix ans, on suivait l'évolution de la législation. Là, on ne suit plus... Quand on voit que le projet de loi de finances rectificatif fait 374 pages, on n'a jamais vu ça...

Revenons au compte pénibilité. C'est un problème en dessous de quelle taille d'entreprise ?

La moyenne des adhérents de la CGPME est à 50 salariés. Le seuil critique pour le compte pénibilité dépend du type d'entreprise. Plus la boîte est au dessus du seuil où elle peut financer son administration, plus c'est facile. A 50 salariés, on a un poste RH, à une centaine deux postes : avec des personnes aguerries, c'est possible... Mais à cinq, quinze ou vingt salariés, on n'a pas les moyens de d'en occuper. Souvent, le chef d'entreprise s'en charge, il n'a pas les moyens de se faire accompagner. Sur le site dédié au compte pénibilité, on voit les neuf critères, mais quand on clique, on nous renvoie vers l'article de loi qui donne le seuil : ils auraient pu prévoir un onglet !  Et si l'entreprise se tourne vers son cabinet comptable, il y a une facturation supplémentaire insupportable pour les petites boîtes. C'est un vrai problème de vouloir tout normer.

Les chambres consulaires pourraient-elles apporter le conseil relatif au compte pénibilité ?

Tout à fait, mais on leur retire des moyens ! Moins 37% sur les dotations d'ici 2017... Aller voir un chef d'entreprise pour chiffrer la pénibilté ou faire un plan de formation professionnelle, ce sont des missions différentes, des chargés de mission différents : il n'y a pas de moyens... Cela fait des mois que la CGPME dit nationalement : laissez souffler les entreprises. L'Etat n'a pas entendu l'ultimatum. On a fait le pari d'un bras de fer politique. Mais beaucoup de chefs d'entreprises disent ne pas avoir les moyens de perdre une journée...

Vous organisez quand même des bus...

Quatre : un depuis le nord Franche-Comté, un depuis Besançon, un en Haute-Saône, un pour le Jura qui passe par Lons et Dole...

Pensez-vous les remplir ?

Pas sûr... Pourtant, à chaque réunion quelqu'un lve la main pour dire : quand y va-t-on ? Cela fait 14 ans que les patrons ne sont pas descendus dans la rue. On n'a pas l'expérience de la CGT ou du monde agricole ! Le taux de syndicalisation patronal n'est pas meilleur que celui des salariés. Et la participation aux élections de l'ordre de 30 à 35%... C'est le paradoxe français : on râle beaucoup, mais il y a moins de gens quand il faut s'impliquer. Je devrais me poser la question de rajouter un bus, or, je me demande si je vais les remplir ! De nombreux patrons se disent : si je perds une journée, ça désorganise ma boîte pendant une semaine... Ils n'ont pas de marge de manoeuvre pour l'encadrement. Et puis, il y a ceux qui ont perdu leur capacité à penser qu'on peut changer les choses... et ont tendance à voter FN...

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