Une élection peut en cacher une autre ! Quelques jours avant les municipales, les travailleurs de l'université de Franche-Comté et les étudiants sont appelés à renouveler les instances dirigeantes de cette institution dont l'actuel président, Jacques Bahi, a ouvert, le 9 janvier lors de la cérémonie des vœux, le compte-à-rebours du 600e anniversaire en 2022. Les personnels de l'université et les étudiants voteront le 10 mars pour désigner leurs représentants dans trois instances : 28 des 36 membres du conseil d'administration de l'université, 34 des 40 membres de la commission de la recherche, 36 des 40 membres de la commission de la formation et de la vie universitaire, ces deux commissions constituant le conseil académique.
La présidence étant limitée à deux mandats de quatre ans, c'est forcément une nouvelle tête qui émergera. La première vice-présidente sortante, Macha Woronoff-Lemsi, prof de pharmacie à l'UFR santé, conduira une liste dont elle assure qu'elle est « autonome » et « n'est pas dans la continuité » des mandats de Jacques Bahi. Lors des vœux de ce dernier, elle a cependant brièvement défendu le « sérieux budgétaire » de l'équipe sortante qui laisse l'université sur une « trajectoire saine » et présente un « équilibre retrouvé ayant permis de maintenir l'emploi à la différence des autres universités de taille comparable ». Elle devrait bientôt en dire plus sur son projet et ses colistiers.
L'intérêt général ou la volonté générale ?
Pour sa part, l'ancien directeur du laboratoire Chrono-Environnement Daniel Gilbert n'a pas attendu et a présenté à la presse son programme et son équipe... le 9 janvier, quelques heures avant la cérémonie des vœux, en se situant d'emblée dans l'optique d'un « changement attendu et nécessaire » afin de « restaurer la confiance pour bâtir une université humaine, responsable et participative, où chacune et chacun se verra reconnu et soutenu dans ses fonctions, au service de l'intérêt général ».
Une notion à laquelle Jacques Bahi opposera quelques instants plus tard celle de la « volonté générale » chère à Jean-Jacques Rousseau qui diffère selon lui de l'intérêt général qui « cache souvent une volonté d'imposer un point de vue particulier ». Et l'encore actuel président d'insister en se référant à la définition du libéral Benjamin Constant : « l'intérêt général, ce sont les transactions volontaires entre les intérêts particuliers... »
Le projet de Daniel Gilbert, adressé par courriel à l'ensemble des personnels, porte sur sept engagements allant du « renouvellement de la gouvernance » à la « participation à l'évolution de nos territoires » en passant par « la valorisation de la diversité des disciplines » et « la qualité de la vie des étudiants et des personnels ». Il insiste sur la nécessité de « faire vivre l'université de Bourgogne-Franche-Comté comme une université fédérale de recherche, élément clé de visibilité et attractivité internationale [...) en soutenant le projet I-Site ». Il entend « mettre au coeur de [son] action l'engagement et la responsabilité sociétale et environnementale de l'université par la mise en place d'actions concrètes, par la création d'enseignements pluridisciplinaires et par le soutien à des projets innovants ».
« J'ai moi-même envahi le bureau de l'université quand j'étais délégué étudiant »
Face aux journalistes, il développe quelques points : « créer des liens plus forts avec les villes de Besançon, Belfort, Montbéliard, Vesoul et Lons-le-Saunier, avec la grande région, avec le CNRS et l'INRA ». Sur l'université fédérale, il exprime un « soutien clair : on aura du mal à être attractif à l'international sans puissance de feu ». Puis il répond aux questions de Factuel :
Sur la gouvernance, appelleriez-vous la police pour faire évacuer des étudiants faisant irruption lors d'un conseil d'administration pour protester contre la sélection en mastère comme cela a été le cas en février 2017, certains ayant ensuite été condamnés par la justice ?
J'étais dans l'opposition. Je ne suis pas solidaire des décisions dans ce domaine de la présidence actuelle. Les questions se règlent en amont, on ne devrait jamais être dans cette situation. J'ai moi-même envahi le bureau de l'université quand j'étais délégué étudiant. Si aujourd'hui il y avait envahissement d'un conseil, je ne pense pas que l'emploi de la force soit la solution.
Vous défendez ce qu'on appelle la franchise universitaire selon laquelle la police n'a pas à intervenir à l'université ?
Quand même pas s'il y a un cambriolage... Mais l'objectif n'est pas de faire entrer les forces de l'ordre à l'université. Et on ne va pas armer les enseignants-chercheurs !
Comment vous situez-vous vis à vis du classement de Shangaï ?
Ce classement, c'est la pression que nous envoie le ministère. Quand un étudiant chinois regarde la France, il regarde certains critères d'accueil. Tous les chercheurs sont conscients des limites du classement de Shangaï, mais y être bien classé passe par le rayonnement et l'attractivité.
« On aura peu de temps pour démonter qu'on avance »
Comment voyez vous la crise qui a secoué l'université fédérale ?
L'université Bourgogne-Franche-Comté a bien fonctionné avec Nicolas Chaillet [président démissionnaire]. On a été premier à avoir l'I-Site, on a eu de beaux succès.. C'est le conflit entre les présidents des deux universités qui a bloqué l'UBFC et conduit à la démission de Nicolas Chaillet. Mais il y a une très bonne entente entre les chercheurs bourguignons et francs-comtois. La base du système est solide. Aujourd'hui, on manque d'une stratégie politique et d'une volonté commune. Et le ministère dit attendre la prochaine gouvernance... On aura peu de temps pour démonter qu'on avance. J'ai rencontré l'ensemble des candidats de l'université de Bourgogne, plus particulièrement Sébastien Chevalier. Si nous sommes élus, nous prendrons des initiatives communes, nous irons au ministère, au conseil régional. J'entends la politique des petits pas. Je suis d'accord pour des actes, pas pour les seules déclarations...
Vous pensez gagner ?
Oui.
Pourquoi ?
Ce qui fait gagner une équipe, c'est la volonté de travailler ensemble. Je ne connaissais pas jusqu'il y a peu la majorité des candidats....
N'est-ce pas, selon un ancien système de rotation de la présidence entre les composantes, le tour de la fac de médecine-pharmacie ?
Ce serait ne pas prendre en compte la LRU (Libertés et Responsabilités des Universités). L'idée du notable président, c'est fini.
Votre équipe candidatera-t-elle à la présidence de l'université fédérale ?
Non. Elle est aujourd'hui sans président. La question se posera après l'élection du CA de l'université de Bourgogne qui se tient avant la nôtre, puis se continuera après l'élection de l'UFC.
Il y a eu des positions divergentes de la part de certains établissements de l'université fédérale...
Agro-Sup Dijon est aussi dans un réseau avec les écoles de Montpellier et Rennes, l'UTBM dans un réseau d'universités technologiques, l'ENSMM dans un réseau d'écoles d'ingénieurs... Le CNRS et l'INRA seront partants si on leur prouve qu'on veut faire des efforts. Le message du gouvernement est d'aider ceux qui s'unissent. Et une région qui ne ferait pas d'efforts ne serait plus prioritaire pour le CNRS... Nous, on forme tout le monde et on accepte tout le monde.
Pourquoi n'y a-t-il pas de médecin ou de pharmacien sur votre liste. Des bruits courraient, lors de la précédente élection, qu'il y avait eu des pressions...
Certains nous soutiennent, mais c'est vari, il n'y a personne sur notre liste. Quant à l'impossibilité de candidature, les textes ont changé et le problème ne se pose plus cette fois.
Madame Woronoff pourrait-elle être votre vice-présidente, ou l'inverse ?
Non. Nos projets sont différents. Je ne serai en aucun cas dans la gouvernance adverse.
Pourquoi n'avez-vous pas d'étique syndicale ?
A l'échelle nationale, les syndicats enseignants ont beaucoup moins d'influence qu'auparavant dans l'élection des présidents, dans la mesure où il y a moins d’adhérents à un syndicat aujourd'hui qu'il y a encore 20 ans.