« L’armée de nos besoins pas celle de nos rêves… »

« La plus importante réforme de l'armée depuis 40 ans » aura été « compliquée à mettre en oeuvre » et « certaines capacités sont à l'os », explique le général de corps d'armée Pascal Péran. Autrement dit, on peut difficilement demander davantage de sacrifices à une institution qui s'est séparée de 54.000 personnes, 18 % de son effectif entre 2008 et 2014.

« La plus importante réforme de l'armée depuis 40 ans » aura été « compliquée à mettre en oeuvre » et « certaines capacités sont à l'os », expliquait en décembre 2011 à Besançon le général de corps d'armée Pascal Péran. Autrement dit, on peut difficilement demander davantage de sacrifices à une institution qui aura dû se séparer de 54 000 personnes en cinq ans, soit 18 % de son effectif entre 2008 et 2014.En charge de la zone de soutien nord-est, autrement dit patron de l'armée dans le quart nord-est du pays et les forces françaises en Allemagne, il a analysé la mise en place de la réforme devant un auditoire d'officiers, de réservistes, de directeurs de services de l'État, d'auditeurs de l'institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

De quasi « déserts militaires »

Conjuguant la RGPP (révision générale des politiques publiques) et les évolutions stratégiques du Livre blanc de la défense du 17 juin 2008, la « transformation » de l'armée a conduit notamment à la disparition de 82 unités et à la mutualisation de nombreux services. Si Besançon a eu « assez de chance » en gagnant des effectifs dans une nouvelle Base de Défense (ER du 3 octobre), certaines régions sont devenues de quasi « déserts militaires », comme la Normandie, la Bourgogne ou l'Aquitaine où le lien armée-nation peut se relâcher, entraînant « des difficultés de rayonnement et de recrutement ».

Le général Péran n'oublie évidemment pas d'indiquer qu'il s'agit de « moderniser l'outil » militaire, mais aussi de redéployer des moyens stratégiques sur « la connaissance et l'anticipation ». En fait, la recherche de renseignements pour laquelle « nous sommes trop dépendants » d'autres puissances.

Un officier demande si la réforme est praticable quand 33 000 personnels sont « en posture opérationnelle permanente », que des départs en mission doivent être compensées par des militaires de services mutualisés. « Pour l'instant, on regarde comment ça fonctionne, on observe pour voir si ça va tenir sur la durée : on peut projeter quelqu'un six mois, mais faut-il six mois de préparation ? » Sachant que ces six mois sont la règle, on comprend qu'on soit « un peu tendu car on prend sur la fonction alimentation » même si « ça fonctionne », explique un colonel.

« Dogmatisme de l'externalisation »

Va-t-on alors sous-traiter ? La question est posée par l'historien Daniel Antony, auteur d'un rapport de l'IHEDN sur l'« arc de crise » Mauritanie-Pakistan. Il fait référence aux « contractors », les mercenaires de sociétés privées engagés par les Etats-Unis en grand nombre en Irak et Afghanistan, responsables de la plupart des bavures. Le général Péran n'élude pas le problème : « La question est lancinante, on a déjà externalisé quelques fonctions comme l'alimentation dans les Balkans... Les décisions ne sont pas prises pour l'habillement... On sentait que politiquement, on allait vers un dogmatisme de l'externalisation hors du corps de métier... Il y a eu des réflexions sur les sociétés militaires privées, mais je ne pense pas qu'on aille dans le sillage américain pour externaliser des combattants... »

« Dans la salle,c'était glacé »

Patron de la base de défense de Besançon, le général Marc Foucaud n'est pour sa part « pas persuadé que ça coûte moins cher » d'autant que cette idée pose « un problème de fond » car « porter les armes de la France est particulier : la question n'est pas d'actualité ». Fermez le ban. Les militaires sont sensibles sur ce sujet, voire hostiles sans pouvoir l'exprimer ouvertement. « Tous nos alliés ont recours aux contractors, la France en utilise mais n'aime pas le dire », commente après coup Daniel Antony.

Cela renvoie à la genèse d'une réforme visant à tailler dans les dépenses. Avant son annonce par François Fillon le 4 juillet 2008, « le black-out » sur le projet avait « créé un malaise », se souvient le général Péran. Et lorsque le Premier ministre avait enfin parlé, « dans la salle, c'était glacé ». S'en était suivie une « période d'appropriation » de la réforme par les officier supérieurs, puis « le chef d'état-major de l'armée de terre a visité en quelques semaines tous les régiments devant fermer ». C'était la condition nécessaire à « l'apaisement » puis à la « conduite de la restructuration, plus difficile avec les ouvriers d'État qu'avec les militaires ».

Bref, dans l'armée, « tout le monde s'en serait passé » mais « la guerre froide est finie et on n'est pas là pour construire l'armée de nos rêves, mais de nos besoins ».

Et de nos intérêts ?

 

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