Après son passage à la moulinette de la commission mixte paritaire (CMP) réunissant le 29 mars sept députés et autant de sénateurs, la proposition de loi « pour une sécurité globale », complété de la mention « préservant les libertés », est quasiment arrivée au bout de son parcours parlementaire jeudi 15 avec l'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale du texte de la CMP par 75 voix pour, 33 contre le 4 abstentions. Sur les 112 députés présents, les quatre élus franc-comtois Eric Alauzet, Frédéric Barbier et Danielle Brûlebois pour LREM, Ian Boucard pour LR, ont voté pour, comme la majorité de leurs groupes, mais aussi UDI, Agir et l'extrême-droite. A noter que six élus LREM ont joint leur voix à la gauche en votant contre, comme l'élue MoDem et ancienne magistrate anti-corruption Laurence Vichnievsky (voir l'analyse du scrutin ici). Reste au Sénat à se prononcer, ce qui semble ne devoir être qu'une formalité.
Le texte n'en aura cependant pas complètement fini avec son évaluation politico-juridique puisqu'il doit passer devant le Conseil constitutionnel, notamment saisi par plusieurs membres de la coordination nationale #stoploisécuritéglobale, au premier rang desquels les syndicats de journalistes SNJ, CGT et FO, Amnesty international, la Ligue des droits de l'homme, le Syndicat de magistrature, le Syndicat des avocats de France, Droit au logement et la Quadrature du net. Des coordinations régionales s'apprêtent également à faire de même.
Ces organisations considèrent que la nouvelle écriture du texte est plus dangereuse encore pour les libertés que la précédente, particulièrement le très controversé article 24. Celui-ci a notablement varié au gré des versions. Dans un premier temps, le texte instaurait un délit d'intention de porter atteinte à l'intégrité des forces de l'ordre en publiant leur image. La version adoptée réprime la « provocation, dans le but manifeste qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l'identification » d'un gendarme, d'un douanier ou d'un policier national ou municipal, plus lourdement que la version initiale : 5 ans de prison et 75.000 euros d'amende et non plus un an et 45.000 euros. Les membres de la commission mixte paritaire députés-sénateurs ont cru bon de préciser que ce nouveau délit « ne porte pas atteinte au droit d'informer ». On est prié de les croire.
Seule et minime concession aux pourfendeurs du texte, celui-ci est sorti de la loi de 1881 sur la liberté d'expression, souvent abusivement présenté pour « la loi sur la liberté de la presse ». Soit dit en passant, si l'on confond dans un même texte de loi liberté d'expression et liberté de la presse, dont l'article 1 déclare que « la librairie est libre », c'est qu'à l'évidence, les libéraux – au sens politique – de la IIIe République considéraient que ces libertés étaient parfaitement liées entre elles.
Cet article 24, qui a fait descendre dans la rue, plusieurs semaines cet automne et cet hiver, des dizaines de milliers de citoyens, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Le texte traite aussi de l'extension des prérogatives judiciaires des policiers municipaux à la sous-traitance dans la sécurité privée, du recours accru aux drones et aux caméras mobiles des forces de l'ordre à la consultation en direct des images ainsi prises en salle de commandement.
Le Sénat a également ajouté une disposition qui ne figurait pas dans le texte initial : la pénalisation « en cas d’introduction dans un local professionnel, commercial, agricole ou industriel » qui vise, selon ses détracteurs « à réprimer pénalement l’occupation de leur lieu de travail par les salariés, de leur fac par les étudiants, de leur lycée par les lycéens, de leur école par les parents d’élèves et les enseignants... ». Le SNJ y voit aussi une « atteinte à l’exercice de la profession de journaliste. Il s’agit clairement d’une nouvelle atteinte à la liberté de manifester, à la liberté d’informer et d’être informé et au droit de grève. »
Dès la rédaction du texte de la proposition de loi par la commission mixte paritaire, l'avocat Arié Amili, membre de la Ligue des droits de l'homme, avait fustigé sur France Info la « complexification du droit » résultant d'un texte qui devient le troisième à sanctionner un même comportement. Les autres étant la fameuse loi de 1881 qui punit la provocation à la commission d'un délit, et la loi sur les séparatismes... « Ça va créer des problèmes de jurisprudence », analyse-t-il.