Fougerolles : « Moi, gynécologue rurale de 63 ans, je rends ma blouse… »

Condamnée à rembourser plus de 3.000 euros à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Saône, Élisabeth Aubry-Boco, a décidé de prendre sa retraite prématurément pour dénoncer la « maltraitance » du monde rural. Son erreur ? Elle a réalisé des frottis dans des délais trop rapprochés et facturé des consultations et des échographies au sein d’uniques rendez-vous. Les démêlés de cette « médecin de campagne » avec la Sécu surviennent dans un département qui déplore des fermetures de services hospitaliers et n'a plus qu'une seule maternité...

« Moi, Docteur Élisabeth Aubry-Boco, gynécologue rurale de 63 ans, je rends ma blouse. » Ainsi commence la lettre que cette « médecin de campagne », installée en libéral au nord de la Haute-Saône depuis plus de 30 ans, adresse le 28 avril à plusieurs structures : Conseil National de l’Ordre des Médecins, Comité de Défense de la Gynécologie Médicale, Comité de Vigilance pour le maintien des services publics de Haute-Saône qui publie la missive sur son site (voir ici).

En mars, après des mois de bras de fer avec la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du département, elle a été condamnée par le pôle social du tribunal de Vesoul à lui rembourser 3.311,89 euros. C’est le résultat d’un indu, faisant suite à un contrôle de la CPAM fin 2018. Élisabeth Aubry-Boco est d’abord avertie de cet indu par une lettre qu’elle reçoit à son cabinet, installé dans une maison de santé à Fougerolles, fin 2018. Elle a alors deux mois pour se justifier. Elle conteste, d’abord à l’amiable, puis devant la justice, avant de finalement être déboutée en ce début d’année.

« Si je vois ma patiente après 2 ans et 11 mois et que je ne lui fais pas de frottis à ce moment-là, peut-être qu’elle ne reviendra qu’après un an, et il sera trop tard... »

Plusieurs éléments lui sont reprochés : avoir réalisé des « prélèvements cervicovaginaux » – des frottis – dans des délais trop rapprochés ; avoir associé deux actes (une consultation et une échographie) lors de mêmes rendez-vous ; et avoir appliqué un taux de facturation surélevé sur certains actes. Les tarifications et les remboursements de la Sécurité Sociale sont en effet régis par des règles très précises. Il est par exemple impossible, légalement, de rembourser un frottis cervico-vaginal – servant à dépister le cancer du col de l’utérus – plus d’une fois tous les trois ans. Impossible également de cumuler certains actes lors d’un même rendez-vous, par exemple une consultation et certaines échographies.

Ces règles sont inadaptées, estime le Dr Aubry-Boco : « Si je vois ma patiente après 2 ans et 11 mois et que je ne lui fais pas de frottis à ce moment-là, peut-être qu’elle ne reviendra qu’après un an, et il sera trop tard », se défend-elle. De la même manière, elle assure n’avoir fait que son travail en cumulant, lors d’un même rendez-vous, une consultation et une échographie avant onze semaines d’aménorrhée : « Je l’ai fait lorsque j’avais des suspicions de fausse couche ou de grossesse ultra-utérine », argumente encore la praticienne, avant d’ajouter : « Je ne peux pas, en milieu rural, demander à mes patientes de revenir un autre jour pour faire un frottis ou une échographie lorsqu’elles sont déjà sur place, ou leur dire d’aller dans un autre centre. » Pour ces raisons, elle estime ne « pas avoir entraîné un déficit financier de la CPAM 70 », elle qui a choisi de rester en « secteur 1 » (aucun dépassement d’honoraires).

Mais les règles de l’Assurance Maladie sont les mêmes partout en France. « Elles sont décidées en haut-lieu et ne sont pas toujours adaptées aux zones où il faut parfois faire une heure de route pour consulter un gynécologue », reconnaît Agnès Ponçot, sage-femme à l’hôpital de Vesoul, et adhérente au syndicat CFDT. « Et les patientes ne sont pas informées de toutes ces dispositions, qui peuvent pénaliser les praticiens », complète-t-elle.

Élisabeth Aubry-Boco ajoute que « les règles s’appliquent de la même manière en ville et en campagne, à l’hôpital et en libéral, alors que nous travaillons différemment ». C’est pourtant dans le respect de la loi que le tribunal de Vesoul l’a déboutée. « Je suis prise en étau entre la loi et mes patientes, regrette l’ « accusée », et j’ai choisi mes patientes. On m’oblige à contourner la loi pour ne pas bafouer mon serment d’Hippocrate ».

Une « pure question comptable » pour la CPAM...
L'impression d'être « traitée comme une voleuse » selon la gynéco...

Nicolas Perrin, directeur de la CPAM de Haute-Saône, affirme « comprendre l’incompréhension et le dépit [des professionnels qui doivent] rembourser de telles sommes. Ils se sentent remis en cause dans leur pratique professionnelle et leur honnêteté. » Élisabeth Aubry-Boco a en effet eu l’impression d’être traitée comme « une fraudeuse, une voleuse ». Ce que dément Nicolas Perrin : « Nous n’avons pas de jugement à porter sur le caractère intentionnel ou non de ces anomalies, tout comme nous ne portons aucun jugement sur la pratique médicale ou les compétences administratives de ces professionnels de santé ; c’est une pure question comptable. » Le directeur ajoute que « lorsque des actes étaient justifiés médicalement », même en dehors des règles, l’indu a été annulé. Élisabeth Aubry-Boco regrette toutefois « l’absence d’entente amiable avec la Caisse, contrairement à d’autres départements... »

En outre, lorsque deux actes non « associables » sont facturés simultanément, le logiciel de télétransmission, agréé par l’Assurance Maladie, est censé le signaler. « Je n’ai reçu aucune alerte », déplore pourtant la gynécologue. « Les logiciels ne repèrent pas toujours les erreurs de facturation », note Nicolas Perrin, qui évoque un système basé sur la confiance. « Lorsque les factures sont télétransmises à nos techniciens, ils les valident mais ne les contrôlent pas à ce stade, afin de ne pas ralentir les délais de remboursement aux patients. » S’il reconnaît que la facturation est « complexe », le directeur de la CPAM 70 souligne que les professionnels sont censés connaître ces règles. « Avec des confrères, nous avions demandé une formation à ces normes auprès de notre référente à l’Assurance Maladie, observe Élisabeth Aubry-Boco, mais nous n’avons jamais eu de réponse ; apparemment, elle n’a jamais reçu notre courrier ».

« La fermeture d’une maternité entraîne la disparition de certains laboratoires, des urgences, de matériels… Cela affaiblit les professionnels libéraux à proximité. »

Dans sa lettre, la gynécologue de Fougerolles souligne également la charge de travail à laquelle elle a dû faire face, rappelant les conditions des soins gynécologiques dans le département : « Depuis mon installation en Haute-Saône en janvier 1991, les maternités de proximité de Lure et Luxeuil-les-Bains ont fermé, puis les urgences de Luxeuil ». Aujourd’hui, à Lure, les urgences ne sont pas ouvertes 24 heures sur 24. Lorsqu’elles sont fermées, il faut se déplacer à Vesoul ou Gray, ou dans les départements limitrophes (Besançon, Remiremont).

Selon Agnès Pinçot, de la CFDT, la Haute-Saône n’est cependant « pas sous-dotée » en termes d’offres de soins gynécologiques : « Il y a eu une centralisation à Vesoul, certes, où sont pris en charge les accouchements et les interventions chirurgicales, ainsi que des consultations, décrit-elle. Mais il y a également des centres périnataux de proximité à Lure et Luxeuil. » Dans ces centres, des professionnels hospitaliers reçoivent en effet des patientes pour des consultations gynécologiques, obstétriques ou de suivi de grossesse. « Enfin, en plus de ces centre de proximité, des gynécologues et sages-femmes libéraux forment, avec l’hôpital, un réseau bien maillé », conclut Agnès Pinçot. L’écho est différent du côté du Comité de Vigilance pour le maintien des services publics de Haute-Saône : « Nous sommes l’un des seuls départements qui compte une seule maternité », se désole son président Michel Antony. « Et la fermeture d’une maternité entraîne la disparition de certains laboratoires, des urgences, de matériels… Cela affaiblit aussi les professionnels libéraux à proximité. »

Élisabeth Aubry-Boco ne dira pas le contraire, avec 7.000 patientes qui consultent à la maison de santé. Pour elle, l’hôpital n’est pas toujours le lieu le plus adapté pour des consultations de gynécologie médicale : « Dans un cabinet libéral, vous êtes suivie toujours par le même spécialiste, et cela vous garantit une certaine discrétion. Nous faisons également des visites à domicile. Enfin, en tant que gynécologue médicale, j’adresse mes patientes, si nécessaire, à mes confrères pour une chirurgie ou des prises en charge spécifiques », avance-t-elle pour démontrer la complémentarité des deux exercices.

Si elle n’a pas encore « rendu [sa] blouse », la gynécologue de Fougerolles se montre lasse. À 63 ans, elle sait d'ores et déjà qu'elle n'ira pas jusqu'à 67 ans, âge officiel de sa retraite. En attendant de vraiment raccrocher, elle ralentit : « Je ne prends plus de nouvelles patientes, et je ne réalise plus certains actes », confie-t-elle. Néanmoins, elle ne lâche pas son combat, d'autant que d'autres professionnels semblent rencontrer des problématiques semblables aux siennes : « J'ai été contactée par un groupe d'infirmiers en procédure avec la Caisse de Haute-Saône. On reproche à certains d'entre eux de mettre trop de bas de contention, ou de faire trop d'heures de nuit.» Avec eux, elle souhaiterait monter un collectif, incluant aussi des patients, afin de « rappeler et de remettre au centre la mission de l'Assurance Maladie » : « Il faut qu'elle retrouve sa vocation initiale d'accès aux soins », éclaire la gynécologue.

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