La sécheresse aggrave la crise du lait

Les producteurs de lait standard des zones de polyculture-élevage de Haute-Saône et des plaines et basses vallées du Doubs et du Jura sont particulièrement atteints. En zone comté, on attend aussi la pluie avec impatience... Les FDSEA font des tournées état des lieux...

Sécheresse, élevage. Génisses à Mamirole, sur le premier plateau du Doubs.

La sécheresse va-t-elle accélérer la restructuration laitière à l'oeuvre avec la fin des quotas laitiers ? La question se pose quand la surproduction qui l'a accompagnée ces dernières années, s'accompagne depuis quelques mois d'une baisse des importations chinoises qui ont longtemps soutenu les exportations européennes de produits laitiers transformés. Et cela pourrait durer, car la Chine a accru ses propres capacités de production laitière et de transformation. Rien de très étonnant à cela quand on sait le dynamisme de sa demande intérieure sur le moyen terme, et les transferts de biotechnologies animales qu'elle a su organiser.

Les victimes de ce phénomène économique sont bien entendu les producteurs de lait européens, concurrencés entre eux et avec les Néo-Zélandais ou les Australiens. En Europe du nord, notamment en Allemagne, où les fermes de mille vaches, voire davantage, sont monnaie courante, les prix du lait ont structurellement baissé, entraînant à la baisse le prix du lait produit en France. Plus particulièrement le lait standard, celui qui sert à fabriquer les yogourts, fromages bon marché et autres briques de lait ordinaire. Il est repassé sous la barre symbolique des 300 euros la tonne, soit largement moins que le coût de production que la Coordination rurale estime autour de 450 euros.

Regains calamiteux

Pour la Confédération paysanne, cette nouvelle crise du lait est « utile » aux industriels qui en tirent parti pour accélérer la restructuration. Autrement dit, une nouvelle étape d'un processus combinant disparitions de fermes, augmentation de la taille des élevages , concentration de la production dans des bassins laitiers spécialisés. Comment procéder ? « Lactalis laisse entendre qu'il pourrait ne pas pas ramasser le lait demain », disait le directeur de la coopérative Terre Comtoise, Frédéric Moine, mardi 21 juillet lors de la tournée de la FDSEA du Doubs. Les tensions sont telles que Thierry Roquefeuil, le président de la FNPL, la branche lait de la FNSEA, a démissionné le 9 juillet dernier de la présidence du CNIEL Centre national interprofessionnel de l'économie laitière au motif de l'indifférence des industriels au sort des paysans. Regroupés au sein de l'ATLA, les industriels sont coopératifs ou privés et mettent les difficultés de la filière autant sur le compte du marché mondial que de... la grande distribution.

Le président Philippe Monnet en tête, les responsables de la FDSEA du Doubs ont fait le tour du département en une dizaine d'étapes, de Pont-de-Roide aux Terres-de-Chaux en passant par Villers-Saint-Martin, Chatillon-Guyotte, Jellerange, Paroy, Déservillers, Bouverans et Etalans.
En Haute-Saône, un tour de plaine a également été effectué afin d'« évaluer les dégâts et trouver des solutions d'urgences ». Un comité de crise prévu 23 dans le Jura.

En Franche-Comté, les éleveurs laitiers les plus touchés sont donc sur les secteurs de polyculture-élevage de Haute-Saône, du nord du Jura et des plaines et basses vallées du Doubs. Ils subissent la baisse des prix du lait, mais aussi les conséquences de la sécheresse : effondrement de la production de maïs et calamiteuse seconde récolte de foin. Sur les plateaux du massif jurassien, la plupart sont relativement mieux protégés par les AOP comté et morbier dont la production, bien qu'en hausse, est encadrée par négociation interne à la filière. Ceux-ci ne cultivent pas de maïs, mais le manque de regain est crucial.

« Dans certains secteurs, si on arrête le maïs, on arrête l'élevage »

« On a récolté 70 bottes, il en faudrait 400 », dit François Sage, en Gaec à Paroy, dans moyenne vallée de la Loue, près de Quingey. Pendant trente ans en lait standard, il fait du lait à comté depuis cinq ans. On le sent soulagé de ne pas être confronté à la question du maïs à laquelle sont confrontés certains de ses voisins. « Dans certains secteurs, si on arrête le maïs, on arrête l'élevage », souligne Philippe Monnet, le président de la FDESA du Doubs, en faisant référence au nord-ouest du département.

 

Eleveur à Rouhe, à 370 mètres d'altitude, Cyril Roussel, le président cantonal du syndicat Jeunes agriculteurs, est dans la même situation : « On a fait 100 bottes de regain au lieu de 400 ». A quelques kilomètres, Thierry Maire-du-Poset, éleveur en comté bio à Rennes-sur-Loue, est « content d'avoir acheté du foin à un collègue... ». 400 mètres plus haut, à Déservillers, le berceau du comté, Florian Studeur est dans une situation similaire. Un peu plus haut, à Bouverans, dans la vallée du Drugeon, ce sont les campagnols qui viennent aggraver la sécheresse...

« Ça fait quinze jours qu'on tape dans les rations d'hiver »

A la différence de 2003, la sécheresse de cette année aura connu des températures très élevées dès la fin juin, alors que c'est la première quinzaine d'août qui avait crevé les plafonds il y a douze ans. Cela explique les mauvais regain, les maïs dont on n'est pas sûr qu'ils arrivent à maturité : « beaucoup sèchent sur pied, et même s'il pleut, il n'y aura rien », redoute un paysan. Dans ces conditions, on s'adapte comme on peut. L'herbe n'étant plus assez nourrissante pour les vaches qui n'ont pas très faim en raison de la chaleur, on met les génisses dans les pâturages, voire les prés de fauche : « on donne à manger aux bêtes au détriment des regains », explique François Sage.

Manifestation laitière vendredi 24 juillet à Besançon
« On a besoin urgent de pluie... prions », dit Philippe Monnet en souriant et levant les yeux au ciel. Moins pieusement, le président de la FDSEA du Doubs indique aussi le « besoin d'actions sur les prix du lait standard et de la viande ». Il estime que « la distribution doit honorer ses engagements, mais aussi la transformation : on a bloqué Bigard il y a trois semaines, mais sans effet... »
Il prévient : « s'il y a des productions à bas coûts, il y aura aussi un environnement à bas coûts... » Il annonce aussi un rassemblement vendredi 24 au matin devant la préfecture de Besançon sur la problématique laitière.
Quel bilan fait-il de sa tournée ? « Il y a une très grosse inquiétude sur le maïs fourrage dans les basses vallées. Il faudra en acheter, mais certains n'ont plus d'argent. J'ai par exemple vu un compte d'exploitation à moins 30.000 euros... Le besoin est d'environ 3 euros par jour et par bête sur six mois... Dans le Doubs, un quart des exploitations, soit environ 500, ont un problème de maïs... Avec un lait sous les 300 euros la tonne, c'est un gros problème économique sur les plaines et basses vallées ».

Presque partout, on a entamé les stocks de foin prévus pour l'hiver prochain pour nourrir les laitières  dans les étables et les stabulations... « Ça fait quinze jours qu'on tape dans les rations d'hiver », dit Cyril Roussel. La qualité du fourrage et le manque d'apétit des vaches entraîne une baisse du taux protéique du lait, celui qui fait la qualité fromagère des montbéliardes, et de la matière grasse. Faut-il alors donner davantage de concentré, les fameuses protéines complémentaires qui stimulent la productivité ? « Ce n'est pas trop notre politique », réagit Florian Studeur, à Déservillers.   

Crainte de la spéculation sur la paille

La question de l'achat de foin ou de paille se pose pour ceux qui risquent de manquer dans quelques mois. Et avec elle surgit la crainte de la spéculation : « la paille a déjà pris 10 à 15 euros la tonne... », dit l'un. On entend qu'elle pourrait atteindre 90 euros, mais on ne le dit pas trop fort... Une solution est d'avoir moins de bouches à nourrir. C'est ce qu'a fait Nicolas Cornu, éleveur comté à Malans : « j'ai vendu toutes mes vaches de réforme, et même une genisse ce matin, mais elle avait déjà perdu 35 centimes le kilo. Et maintenant Cuiseaux Abattoir Bigard refuse des bêtes... »

Une autre stratégie de dégraissage des troupeaux est suggérée par Hervé Bole, vice-président de GEN'IAtest : « le marché des femelles gestantes est porteur au Maghreb, en Turquie, en Russie, c'est une solution pour alléger un troupeau en génisses, mais ça ne s'improvise pas. Il faut les inséminer entre maintenant et septembre... La Russie a créé des ateliers laitiers de 600-800 vaches et a besoin de bêtes, le Maghreb achète car il élève peu de jeunes en raison de coûts d'alimentation trop élevés... »

La tragédie de la restructuration laitière

Tout le monde ne dramatise cependant pas. Les paysans doivent depuis toujours composer avec les éléments, anticiper, être prudents. « On a beau nous donner 10% [de production], c'est la météo qui dirige tout. Quand on a vu les rendements de mai, on a stocké du foin », explique Florian Studeur. Nicolas Cornu fait dans la sagesse : « Je suis pour les vieilles fermes traditionnelles. Une vache est faite pour aller à l'herbe. L'an dernier, on râlait parce qu'il pleuvait. Là, c'est trop sec, mais on se débrouille. On a toujours trois mois de stock de foin d'avance ». Une petite ferme se piloterait-elle mieux dans la tourmente ? « Oui, les grosses ont besoin de résultats... »

Un credo qui fait écho à l'analyse de Clément Tisserand, président de Terre Comtoise : les fermes en lait standard « ont perdu en marge unitaire au litre et ont compensé par des volumes, donc des investissements lourds... » Dans ce contexte, un aléa météo pèse davantage sur les échéances, notamment des plus fragiles. Est-ce cela qui conduit à la restructuration laitière (que la Confédération paysanne appelle plan de licenciements des paysans) ? « C'est tragique, c'est causé par la course aux investissements »,  répond Clément Tisserand. Est-ce cela qui conduit au modèle de la ferme aux mille vaches ? « oui... »

 

 

 

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