Culture, transition énergétique, économie…Quatre visites sur deux jours dans le Jura ont donné le ton de la pré-rentrée politique de la présidente de région Marie-Guite Dufay (PS). La première, lundi 26 août, a été pour le Moulin de Brainans, la vénérable salle de musique dont elle a promis d'aider financièrement à la rénovation, pourvu qu'elle soit économe en énergie.
La seconde, le lendemain à Morez, traitait aussi d'énergie. Il s'agissait de confirmer, par la signature de deux conventions portant sur 190.000 euros, le soutien de la région à la déclinaison locale du service public de l'efficacité énergétique (SPEE) que porte la communauté de communes Arcade Haut-Jura
Il s'agit d'un guichet unique articulant réhabilitation patrimoniale dans le cadre d'une OPAH
400 logements vides à Morez
Peut-on par exemple obtenir une étude globale sur l'isolation et les énergies les plus efficaces en fonction de l'existant ? L'ingénieur sourit : « c'est plus souvent quelqu'un qui veut seulement changer sa chaudière. On peut alors lui conseiller une première étude pour voir ce qui peut se faire, mais une étude coûte 800 euros… dont 650 pris en charge par la Région. la communauté de communes réfléchit pour savoir si elle prend en charge tout ou partie du reste… » Sans doute selon les ressources de la famille.
L'enjeu n'est pas mince dans un territoire marqué par la crise de l'industrie lunetière. « On a environ 400 logements vides sur Morez et Morbier n'est pas en reste », souligne Laurent Petit, le maire (DVD) de Morez et président de la comcom qui a pour objectif de réhabiliter 70 logements dans les trois ans. Il entend aussi que les soutiens aident aussi bien « les ménages les plus modestes que les plus aisés ».
L'articulation locale entre Etat et Région n'est pas pour déplaire à Marie-Guite Dufay qui estime qu'on « n'est pas toujours sur la même longueur d'ondes avec l'Etat à propos de la rénovation énergétique : l'Etat a une cible quantitative pour la rénovation des logements des plus pauvres, nous avons l'objectif de lutter contre la précarité énergétique et surtout d'une transition énergétique qui ne soit pas de façade mais qui coûte cher. Pour ceux qui on les moyens, on doit s'adresser aux banques, pour ceux qui n'ont pas les moyens, on doit subventionner… Mais ces moyens sont dramatiquement insuffisants, notamment les moyens publics. L'Etat ne pèse pas assez sur les banques, et les moyens ne sont pas au rendez-vous sur l'objectif qui s'impose à nous ».
Elle annonce en conséquence une conférence financière sur la rénovation énergétique « d'ici la fin de l'année ».
En attendant, elle passe de la pommade à Laurent Petit : « Vous êtes le premier [de Bourgogne-Franche-Comté] à vous engager dans la démarche. Et même si quelques grands agglomérations, Besançon, Dijon, Chalon…, sont engagées, vous êtes les plus avancés… » Laurent Petit en sourit d'aise, lui qui avait un instant plus tôt expliqué qu'il fallait aussi « promouvoir le bois-énergie » et les circuits courts, à l'image du projet en cours d'étude de chaufferie bois-plaquettes de 2 mégawatts qui devrait à terme climatiser des bâtiments public, le lycée et le collège de Morez.
Dans la petite assistance, un autre homme sourit, le président du Parc naturel du Haut-Jura, maire de Longchaumois (LR) et prof au lycée de Morez, Jean-Gabriel Nast, quand Laurent Petit explique qu'en trente ans, « le PNR a aidé les élus à prendre conscience » des questions environnementale et énergétique. C'est peu dire qu'au début, le PNR a même un peu ramé à contre-courant…
« Je ne veux pas voir disparaître La fraternelle… »
La route hyper-gravillonnée menant à Saint-Claude et le GPS sont en parti responsables du décalage sur l'horaire prévu à La fraternelle de Saint-Claude. Les administrateurs et le directeur de l'association emblématique d'une forme de socialisme mutualiste et le maire souverainiste Jean-Louis Millet patientent ensemble tout en maintenant entre eux une distante réserve : la droite a rarement été bienvenue en ces lieux.
L'élu parle de sa préoccupation : « on va ouvrir, sans doute fin septembre, un cabinet médical éphémère avec des médecins retraités bénévoles. On est en tractation avec le Conseil de l'ordre er l'Agence régionale de santé… Sur les sept médecins de la ville, trois sont en partance, et ceux qui restent ne prennent plus de nouveaux patients… Quatre médecins retraités seraient d'accord pour venir au cabinet éphémère, l'objectif est de parvenir à un équivalent-temps plein… Ça existe déjà à Pontarlier, c'est le maire Patrick Genre qui m'en a parlé… » Le cabinet sera situé au 17 de la rue Voltaire…
Côté fraternelle, on est un peu tendu. L'association a des problèmes financiers récurrents auxquels s'est ajouté une chute de la fréquentation du cinéma… Et puis voilà le futur Centre national de la musique (CNM), voté à l'unanimité de l'Assemblée nationale en mai puis par le Sénat en juillet : « c'est un seul article vague et plein des bonnes intentions, et au détour du texte on lit que les producteurs devront proposer du téléchargement et de la vidéo sur leur site. Ce sera un jeu de massacre pour les petites compagnies… On n'est pas directement concerné car on n'est pas producteur, mais cela aura des répercutions avec les petites compagnies avec qui on travaille. Et on le sera sur certaines demandes de subvention, par exemple l'éducation artistique… »
Marie-Guite Dufay arrive enfin avec ses conseillers. Il y a là des élus de sa majorité, le local Eric Poncet, Valérie Depierre. « Comment fait-on ? », interroge la présidente après les salutations. « Que désirez-vous ? », répond Benoît Noël, le président de La frat'. « Faire avec vous le point de vos difficultés. Je vous connais depuis longtemps. Quand j'étais adjointe à Besançon, il y avait le partenariat du CCAS avec l'atelier de sérigraphie… La fraternelle est la première société d'entraide, préfigurait ce qui allait devenir la Sécu… C'est un lieu mythique quand on prône des idées de gauche… »
Jean-Louis Millet fait une petite moue, mais il en convient : « La fraternelle est le socialisme sont chromosomiques, elle a participé du socialisme utopique en Franche-Comté… » Benoît Noël résume les soucis, déjà évoqués lors de l'assemblée générale du 30 mars à laquelle avait assisté… le recteur d'académie Jean-François Chanet ! Le déficit de 80.000 euros, la baisse de fréquentation du cinéma, l'autofinancement de 60%, les « efforts permanents de tout le monde ».
Il évoque l'arrivée d'un nouveau directeur cinéma qui a « retravaillé la présentation des films », les « questionnements internes au conseil d'administration, les partenariats privés qui n'allaient pas de soi, les liens avec les comités d'entreprises… Maintenant, on a besoin de stabilité, je n'en ai pas connu depuis dix ans… On structure notre financement, des choses sont en passe d'être signées avec la DRAC
Puis tous s'enferment dans la salle de café-concert, celle qui accueille les groupes de « jazz au bistrot ». Marie-Guite Dufay a dit une chose devant la presse: « je ne veux pas voir disparaître La frat'… » Quand ils ressortent, tous posent pour une photo….
La scierie Grandpierre expérimente l'AOC bois du Jura à Champagnole
La dernière étape est pour la visite de la scierie Grandpierre qui fait travailler une vingtaine de personnes à Champagnole. Le retard sur l'horaire s'est à peine comblé et quelques blagues fusent sur « l'agenda » en zone de montagne où les durées de trajet ne peuvent être seulement fonction des kilomètres… Le vice-président nivernais Sylvain Mathieu, forestier lui-même, accompagne la présidente. Il lâche d'entrée qu'un « organisme certificateur estime qu'un emballage bois est non recyclable ». Effet garanti sur l'assistance : « les lobbies ont bien travaillé », raille le patron, Gilles Grandpierre, qui fut autrefois directeur de la fédération des coopératives laitières du Doubs. « C'est aussi notre avis, j'en parlerai dans dix jours à Brune Poirson et je vais écrire à la ministre de l'Environnement, l'Etat nous a demandé de faire remonter les incohérences », dit Marie-Guite Dufay.
Le clou de la visite est la petite cabine de pilotage de l'immense hall de découpe des grumes qui arrivent de l'énorme tas sans cesse alimenté à l'extérieur. « On a acheté la machine à un fabricant du Sud-Ouest, on avait deux ans d'attente pour se fournir en Saône-et-Loire », commente Gilles Grandpierre. Il ne l'avait manifestement pas prévu, mais il emmène son petit monde dans l'atelier d'affûtage des scies où opère le jovial Fabien Bride.
Mme Dufay observe, écoute, se renseigne, interroge : « comment devient-on affûteur ? » Le technicien la joue fièrement modeste : « ça s'apprend tous les jours… Le plus dur, c'est de scier du bois dur : il n'y a rien qui tient la lame qui subit onze tonnes de pression… Il faut mettre du bombé, mais pas trop, et c'est aussi selon le scieur… » Sinon, elle peut casser…
Connaisseur, Sylvain Mathieu reste un moment avec l'homme de l'art, maître du métal qui tranche le bois, matériau noble et richesse régionale. En fait, c'est de l'AOC bois du Jura dont on est venu parler… Il y a là Jean Vuillermoz, propriétaire forestier dans le Haut-Jura et membre de l'AOC, Michel Bourgeois, maire d'Entre-deux-monts et président de l'association des communes forestières du Jura, le représentant de l'ONF, et bien sûr l'initiateur de la rencontre, Xavier Lacroix, président de l'association pour l'AOC qui a bataillé quinze ans pour l'obtention du label en mars dernier, dix-huit ans après que la loi permette la création d'une AOC non alimentaire…
Une grande question est désormais son application pratique : comment identifier du bois AOC ? La scierie champagnolaise expérimente une étiquette avec toutes les mentions prévues par le cahier des charges. Elle reste à valider par Fibois, l'organisation interprofessionnelle de la filière forêt-bois. On s'interroge aussi sur « l'échec » des Suisse à construire leur AOC bois du Jura et son effet sur les professionnels français : « des collègues ne sont pas contre l'AOC, mais certains ont des ressources en Suisse, parfois plus de 50%, et se disent : comment on fait si on va dans l'AOC ? », explique Gilles Grandpierre.
Conserver des marchés régionaux
Car l'AOC est pensé comme un outil devant permettre une certaine relocalisation des marchés publics : un scieur ou un transformateur français pourra-t-il répondre aux appels d'offres mentionnant l'obligation de recours à l'AOC bois du Jura ? La formule « AOC bois du Jura ou équivalent » le permettra-t-elle ? Pour l'heure, explique Xavier Lacroix, il s'agit surtout de « conserver des marchés par rapport à la concurrence allemande ou autrichienne, le danger extrême étant la concurrence du douglas qui a de grandes qualités ». Dans le petit comité, le président de Douglas-France ne bronche pas…
Pour conserver ces marchés régionaux, le bois du Jura a quelques arguments techniques. Si l'on en croit les études citées par le cahier des charges de l'AOC, les sapins et épicéas du Jura sont autant ou plus solides que leurs concurrents. Surtout, la morphologie tabulaire du massif jurassien leur confère une homogénéité que n'ont pas les autres. Autrement dit, il y a très peu de variation de qualité entre les arbres d'un même lot.
L'AOC fait par ailleurs face à quelques critiques, par exemple elle autorise l'usage de pesticides sur les grumes entreposées en bord de route. Fille de Gilles Grandpierre, Marie Grandpierre dit sa « préoccupation environnementale » même si « on traite contre les insectes et les champignons ».
S'appuyant sur le modèle de l'AOP comté, l'AOC bois du Jura vise-t-elle l'exemplarité du label fromager quant au partage de la valeur ajoutée entre ses différentes maillons ? « Ce partage n'est pas dans le cahier des charges du comté », répond Gilles Grandpierre, « mais on cherche à bien faire, on va respecter les bûcherons… » Les entreprises de travail forestier, membres de la filière, ne sont pour leur part pas dans l'AOC. « le vrai danger, c'est quand les financiers s'en occupent », conclut l'entrepreneur.