La loi Macron pour Emmanuel Girod : « c’est une vision du 19e siècle »

Inspecteur du travail à Besançon et responsable syndical national (CGT), Emmanuel Girod n'a pas de mots assez durs pour qualifier les dispositions du projet du ministre de l'Économie qui modifient le droit du Travail. La CGT commerce manifeste ce mercredi devant le siège du PS bisontin...

emmanuelgirod

Quand il n'est pas secrétaire départemental du Parti de gauche du Doubs, Émmanuel Girod est inspecteur du travail à Besançon. Membre de la commission exécutive nationale du syndicat CGT-Travail-Emploi, il est vent debout contre plusieurs dispositions de la loi Macron qui modifient profondément le code du Travail et doit être débattu le 26 janvier à l'Assemblée nationale. Non seulement, sur le travail du dimanche, mais aussi sur les prud'hommes ou le travail de nuit.

Le ministre de l'Économie Émmanuel Macron a été rapporteur de la commission Attali pour la croissance qu'avait mise en place Nicolas Sarkozy. Que reprochez-vous à son projet de loi ?

Beaucoup d'articles touchent aux professions réglementées, notaires, avocats, etc. C'est une fausse bonne idée de s'y attaquer. Il existe des missions, si elles sont gérées par le marché, dans lesquelles on ne se retrouvera pas. Les pharmacies ne sont pas concernées par le projet de loi, mais leur obligation de sécurité pourrait être remise en cause si elles étaient totalement soumises au marché. Un des blocs centraux du projet de loi est sur le droit du travail. Les médias focalisent sur le travail du dimanche, mais on y voit aussi une nouvelle phase d'augmentation du temps de travail. L'extension du travail du dimanche est un recul, c'est une escroquerie de parler de volontariat, ça n'existe pas. La vraie question est plutôt celle de l'augmentation des salaires.

Réforme des prud'hommes : un front inédit
La CGT et Solidaires sont contre, mais aussi le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature qui ont signé un texte commun avec les deux organisations de salariés, lire ici.

Quels sont les points de la loi qui touchent au code du Travail ?

D'abord, on l'a vu, le travail douze dimanches par an du ressort du maire. Dans les zones internationales, les salariés pourraient travailler tous les dimanches par décision du ministre, dans les gares... C'est une mauvaise idée qui va augmenter la précarité et pose des problèmes de sécurité. Il y a aussi le travail de nuit qui ne commencera plus à 21 heures, mais à 0 heure. Le travail de nuit plus le travail du dimanche sont néfastes pour des raisons économiques : ils font mourir le petit commerce de proximité par une concentration accrue des multinationales de la grande distribution. Ça fera augmenter les prix car elles seront davantage en situation de monopole. Déjà que la grande distribution s'entend par grandes régions pour se partager le marché... C'est aussi une mesure contre les femmes car elles sont 80% à occuper les postes à temps partiels sur les bas salaires. Ça pose enfin un problème de santé publique de s'attaquer au temps de travail : l'organisation mondiale de la santé a reconnu en 2007 que le travail de nuit est un probable cancérogène, comme les horaires atypiques posent des problèmes physiologiques. Tous les médecins le disent dans les rapports...

La protection du secret des affaires indigne EELV
Europe-Ecologie Les Verts craint que l'instauration de la notion de « secret des affaires », figurant dans le projet Macron, ne constitue « une menace sans précédent pour la liberté d'informer ». Lire ici.

Pourquoi le ministre de l'Économie fait des propositions relevant du ministre du Travail ?

C'est la volonté de cette majorité : l'économie prime sur le reste, la vie familiale, le travail. C'est une vision du 19e siècle. Quand la loi de 1906 sur le travail du dimanche a été votée, les médecins disaient déjà que c'était important d'avoir le même jour de repos pour tout le monde, les patrons disaient aussi les mêmes choses qu'aujourd'hui : il faut continuer le travail des enfants, ne pas limiter la journée à 8 heures...

La loi Macron n'a aucune grâce à vos yeux ?

Non ! Prenez le paquet licenciement. Il permet d'avoir des critères internes inférieurs à l'entreprises, c'est la porte ouverte à l'arbitraire. Jusque là, le tribunal administratif invalidait l'homologation par la Direccte, ce qui permettait une meilleure indemnisation des personnes licenciées devant les prud'hommes. Demain, même si un plan social est annulé au TA, les licenciements ne seront pas invalidés et les salariés n'auront pas ces indemnités. J'espère que ça pourra changer avec le débat parlementaire. Il y a aujourd'hui obligation de reclassement sur le territoire national ou dans le groupe, la loi Macron enlève la possibilité d'un reclassement dans le groupe dans une filiale étrangère...

Vous critiquez la dépénalisation du droit du travail...

Oui, il s'agit de faire échapper les employeurs aux audiences en instaurant une transaction pénale plutôt qu'une comparution, une sanction administrative plutôt que pénale. Il y a aussi une atteinte aux droits syndicaux avec la suppression du délit d'entrave aux institutions représentatives du personnels. Ça a pour conséquence la suppression de la menace d'une peine de prison, très rarement prononcée. Il y a d'ailleurs aujourd'hui un taux de classement des PV des inspecteurs du travail pour entrave très important par les magistrats qui ont souvent du mal à comprendre l'importante d'un comité d'entreprise ou d'un CHSCT : il y a très peu d'heures d'enseignement du droit du travail à l'École nationale de la magistrature. Et en plus, la loi Macron transfère des décisions de l'inspecteur du travail à la Direccte !

Par exemple ?

L'amende administrative... Il y en a peu, on va davantage au pénal.

Vous avez saisi le ministère du travail ?

Oui, mais il va dans le même sens que le projet de loi. Je n'ai pas encore parlé des atteintes aux conseils des prud'hommes : pour raccourcir les délais, on veut donner le contentieux à des juges professionnels dès la première instance, alors que le juge départiteur n'intervient aujourd'hui que lorsque les parties ne sont pas d'accord. Dans le projet, ce serait immédiatement. Le problème, c'est que les juges ne connaissent pas toujours le droit du travail : il faudrait réformer l'École nationale de la magistrature. En fait, il faut être au coeur du monde du travail pour apprécier les conflits.

Où est le problème selon vous ?

Ça gène Macron que 80% des décisions soient en faveur des salariés, c'est pour ça qu'il veut mettre des magistrats. On dit souvent aux futurs magistrats, à l'ENM, qu'ils ne doivent pas se mélanger à la population pour rendre la justice...

N'y a-t-il pas un parallèle avec les tribunaux de commerce où siègent des magistrats professionnels ?

Les relations sociales ne sont pas toujours écrites dans le droit. On va davantage vers une suppression des prud'hommes que vers une amélioration de la justice sociale !

Pourquoi parlez vous de mesures liberticides ?

Le projet de carte professionnelle sur tous les chantiers pour les salariés du BTP, c'est le retour au contrôle social au prétexte de la lutte contre le travail illégal. On fiche les salariés plutôt que contrôler les donneurs d'ordres et les sous-traitants...

Tous les syndicats de l'inspection du travail sont-ils sur votre position ?

Il y aura un front syndical. La CGT, SUD et la FSU sont vent debout, FO est contre, l'UNSA devrait être contre, la CFDT, je ne sais pas... Une initiative régionale est en train de se construire, avec une réunion publique, le 26 janvier à Besançon, salle Proudhon.

Avez-vous sollicité les parlementaires pour qu'ils amendent le projet ?

On a commencé... La CGT commerce se rassemble le mercredi 21 janvier à 10 h devant le siège du PS à Besançon...

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !