La crise annoncée dans l’aide à domicile est là…

De nombreuses salariées d'Eliad étaient en grève mardi 14 avril. Un mouvement qui s'adresse à la direction, mais surtout aux financeurs que sont les conseils départementaux du Doubs et de la Haute-Saône, l'Agence régionale de santé, et la CARSAT (caisse de retraite de la Sécu) alors que le projet de loi sur la prise en charge du vieillissement est reporté à 2016...

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La nouvelle mobilisation des salariées d'Eliad est typique de notre époque. Au prétexte de la raréfaction de l'argent public, des besoins sociaux grandissants et identifiés de longue date, peinent à être satisfaits. Celles, car ce sont essentiellement des femmes, qui en ont fait leur travail pâtissent de la baisse des budgets. Bien que doté d'une politique plus volontariste que ses voisins, le département du Doubs a ainsi rogné l'an dernier de 300.000 euros le versement à Eliad pour l'APA, l'aide personnalisée d'autonomie, qui représente 60% de l'activité.

En Haute-Saône, l'accompagnement des personnes âgées a même décru à partir de septembre 2014 quand la différence entre le coût de revient du service et l'intervention du département a été réclamée aux usagers. La Haute-Saône intervient à un taux horaire de 18,20 euros quand le Doubs va jusqu'à 23 euros. « On a interpellé nos financeurs, les deux départements, l'ARS et la CARSAT », explique Marie-Paule Belot, la directrice générale d'Eliad. Elle assure qu'avant les élections, Yves Krattinger lui a promis 300.000 euros. Elle attend aussi du Doubs qu'il prenne en charge le déficit, mais l'alternance est passée par là et l'on attend la position de la nouvelle présidente, Christine Bouquin, avec qui Mme Belot a rendez-vous.

Indemnités kilométriques : un usage dénoncé par la direction

« J'adore ce métier, j'aime me rendre utile, mais je suis payée au lance-pierre, stressée, toujours sur la route... »
Appelons la Laura. Elle est aide à domicile depuis quelques années, en catégorie A, c'est-à-dire sans diplôme, rémunérée au smic. Travaillant à 80%, elle perçoit un salaire net fixe de 867 euros, et, selon les mois et les kilomètres parcourus, 200 voire 250 ou 300 euros d'indemnités kilométriques.
Pouvez vous raconter une journée-type ?
« Samedi, mon réveil a sonné à 6 h 30. Ma première intervention est à 7 h 45 à 12 km. C'est une dame que je vois la semaine, mais le week-end, je fais le travail de l'aide soignante qui gagne 250 euros de plus... Je l'aide à se lever, à mettre ses bas de contention, je l'accompagne aux toilettes... Sa fille a préparé le petit-déjeuner que je lui fais prendre, je réchauffe le café, donne les médicaments, j'aère la chambre, je fais le lit, parfois j'allume le feu... Le tout en trente minutes et je m'en vais... J'ai sept personnes à voir le samedi matin jusqu'à 12 h 55, puis j'en vois trois entre 17 h 50 et 19 h 45. »
Le matin, Laura fait 62 km dont 24 d'aller-retour avec son domicile. Aujourd'hui, avec la franchise de 3 km, elle touche 56 km d'indemnités kilométriques. Si la franchise passe à 10 km, elle n'en touchera que 42... L'après-midi, elle fait 40 km dont 34 indemnisés aujourd'hui et peut-être 20 dans quelque temps...
Pourquoi faites-vous ce métier ?
« J'adore ce métier. Je travaille avec amour quand je suis avec les personnes. J'aime me rendre utile... La majorité des personnes disent pourtant de moi, au téléphone par exemple : ma femme de ménage est là... Un jour, j'ai dit : je suis aide à domicile. J'ai été convoquée... »
Vous en avez marre ?
« Je suis payée au lance-pierre, stressée, toujours sur la route. Des fois, on nous appelle le midi pour un remplacement l'après-midi. Maintenant, ils essaient de nous prévenir la veille, car s'ils le font le jour-même, on peut refuser. Moi, je n'ai jamais refusé... »
Comment avez-vous pris la grève ?
« Je la fais avec plaisir, pour montrer qu'on n'est pas des pions. Si Eliad marche, c'est grâce à nous ».

La mobilisation des salariées, l'an dernier, avait poussé le département de Haute-Saône à augmenter un peu ses tarifs d'APA. « Il est prêt à un nouveau coup de pouce pour atteindre 18,70 euros plus tôt que prévu », rappelle Sylvie Barthe, déléguée CGT. N'empêche, elles ont montré, ce mardi 14 avril en venant à près de deux cents à Besançon, qu'elles étaient remontées contre cette situation budgétaire aux conséquences bien concrètes.

La direction d'Eliad a ainsi dénoncé un usage consistant à indemniser les trajets entre le domicile des salariées et leur premier usager, et entre le dernier usager et leur retour à la maison, moyennant une franchise de 3 km. Autrement dit, elles étaient indemnisées à partir du 4e kilomètre. « Les indemnités kilométriques représentent 5 à 6% d'un budget de 33 millions d'euros. Si on passe la franchise à 5 km, le gain est de 230.000 euros, mais Yves Krattinger ne veut pas qu'on enlève la franchise », explique Marie-Paule Belot.

Une indemnité de 0,35 €/km conventionnelle bien loin des 0,49 €, 0,54 € ou 0,57 € du barème fiscal

Sur les feuilles de paie, l'impact devrait être sévère si aucune solution n'est trouvée d'ici juin, date de l'effet de la dénonciation de l'usage. « Je fais 540 km dans le mois. A 0,35 € du km, on me rembourse 192 euros. Si la franchise saute, je n'aurai plus qu'une centaine de km indemnisés, soit 35 euros, ce n'est pas le prix d'un plein », explique Clotilde, aide à domicile. Pour d'autres salariées, le manque se monte à 200, voire 300 euros par mois. Dans les conversations lors du rassemblement, on entend évoquer la situation de collègues ayant déjà des difficultés à payer leur carburant.

Cette indemnité de 0,35 €/km est conventionnelle dans la branche de l'aide à domicile, précise Marie-Paule Belot à qui l'on fait remarquer qu'elle est très basse, loin des 0,49  €, 0,54 € ou 0,57 € du barème fiscal pour 4 à 6 chevaux fiscaux. « C'est le problème de l'agrément des conventions collectives par le ministère de la Santé qui demande leur avis à l'ARS et à l'ADF qui disent non », assure-t-elle. Au sortir de la discussion avec les représentantes syndicales CGT et CFDT, la déception est sur tous les visages : la franchise serait de 10 km... Mais la question reviendra certainement lors de la prochaine réunion, programmée pour le 13 mai.

Des organisations de travail critiquées

De l'accompagnement des personnes âges au service famille
Les salariées de catégorie A sont sans diplôme et payées au smic. Celles de catégorie B ont 0,70€/h de plus, sanctionnant un savoir-faire plus élevé. En catégorie C, les auxiliaires de vie sociale touchent à peine plus et peuvent réaliser des « actes essentiels » en accompagnement des personnes en perte d'autonomie.
Pour les personnes relevant de l'APA, il faut être en catégorie B ou C, mais le week-end des salariées de catégorie A interviennent... D'où une certaine frustration. Leur expérience ainsi acquise peut être valorisée dans le cadre d'une VAE, une valorisation des acquis de l'expérience qui peut les faire progresser... Contradictoire ? Absolument : « c'est le serpent qui se mord la queue », admet Marie-Paule Belot.
Outre l'accompagnement des personnes âgées, des salariés accompagnent des familles, en prévention ou en protection de l'enfance. Ce sont des techniciens en intervention sociale et familiale. Il peut s'agir d'accompagner le retour progressif d'enfants à la la maison après un placement, de médiation, de soutien à la parentalité : « il y a souvent des parents seuls, sans réseau, beaucoup ont quitté leur région pour travailler et sont isolés... On a aussi une grande amplitude horaire, des trous dans la journée de travail et un secteur étendu », dit Isabelle.
Il y a enfin des assistants qui font l'interface entre les usagers et les intervenants de terrain qu'ils contactent au téléphone pour les adresser ici ou là. De l'aveu même de la directrice, ce serait bien qu'il y ait 20 salariés par assistant, or chacun en a plutôt 35 ou 40...

Pour de nombreuses salariées, les ennuis ont commencé lors de la constitution d'Eliad, il y a deux ans. Née de la fusion de l'Assad (Doubs) et de la Fassad (Haute-Saône), l'entreprise a « perdu depuis 200 salariées », explique Sylviane Maxel, représentante CFDT. « On était environ 700 dans chaque département, on est environ 1200 aujourd'hui pour 869 équivalents-temps-pleins ». De nombreuses femmes travaillent à temps partiel, rarement choisi, pour des salaires bas. C'est la rançon d'un métier jeune qui a mis longtemps à se structurer. Le syndicalisme n'y est pas présent partout, salarial comme patronal. Du coup convention collective et plan de formation sont récents, a minima.

Alors forcément, « quand les plus bas salaires casquent », dit Sylvie Barthe, la colère n'est pas loin. L'organisation du travail est aussi mise en cause. L'appel de salariés, souvent au dernier moment, pour une intervention urgente, est usant. Sylviane Maxel est favorable à une équipe spécialisée, l'équipe mobile, mais « elle ne fonctionne pas comme on voudrait ». Celles qui en font partie travaillent en effet à heures fixes et « on s'est aperçu à l'usage que qu'il n'y avait pas assez de remplacement pour remplir les horaires, ce qui finit par coûter cher », explique Marie-Paule Belot.

A l'entendre, la réorganisation réclamée par les salariées ne serait pas chose aisée car les interventions urgentes naissent des nombreux imprévus : retour d'hôpital, accident, etc. « Il y a une part d'inconnu dans notre métier », dit-elle. « On pourrait définir des secteurs adaptés aux domiciles des salariées qui se croisent souvent. Les financeurs ont demandé qu'on travaille là-dessus », dit Sylvie Barthe. Peut-être le sujet viendra-t-il à l'occasion de la réunion mensuelle dont les salariées ont obtenu le retour après une décision de l'espacer : « c'est un moment d'échanges de pratiques, sur les difficultés, on ne se rencontre parfois que là, même des salariées travaillant chez le même usager », souligne Virginie Coupat, membre CGT du CE et du CHSCT.

  • Sollicitée par Factuel.info, Christine Bouquin, la présidente du Conseil départemental du Doubs, a réagi par un communiqué où elle dit « rester soucieuse de la continuité et de la qualité du service ». On peut le lire ici. Nous avons aussi sollicité Yves Krattinger, son homologue de Haute-Saône, qui n'a pas retourné notre appel.

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