La CGT veut mobiliser contre l’ANI

Des délégués d'entreprises de Besançon expliquent à travers les mutations qu'ils vivent, leurs craintes de voir les négociations devenir encore plus compliquées si le texte signé par le MEDEF, la CFDT, la CFTC et la CGC est transposé dans la loi.

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L'accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier par le MEDEF, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC doit, pour entrer en application, devenir une loi. La veille de la présentation du projet de loi au conseil des ministres, ceux qui s'y opposent manifesteront dans quelque 170 villes de France dont sept en Franche-Comté. En première ligne, la CGT entend peser sur le débat parlementaire qui suivra, y compris en menaçant la France de recours devant l'Organisation internationale du Travail sur les modalités de licenciement, ou la charte des droits fondamentaux sur les nouvelles règles en matière de mobilité.

Pour prolonger
- le texte de l'ANI
les 52 amendements de Gérard Filoche, inspecteur du travail
- l'ANI vu et commenté par les experts juridiques de la CFDT
- l'analyse de l'ANI par l'union syndicale Solidaires
- le décryptage de l'ANI par le MEDEF

« L'ANI est un accord gagnant-perdant, le MEDEF a gagné ce qu'il voulait : plus de mobilité, de flexibilité, de précarité, de liberté de licencier », s'exclame Jacques Bauquier, représentant du syndicat au Conseil économique et social.  « Aujourd'hui, les patrons ont déjà tous les droits pour licencier », dit José Aviles, secrétaire de l'union locale de Besançon. « Il y a 145 ruptures conventionnelles par mois dans le Doubs. Comme conseiller du salarié, neuf personnes sur dix que j'assiste sont en rupture conventionnelle. Et j'entends des employeurs dire ouvertement : soit vous êtes d'accord avec la rupture, soit vos conditions de travail vont se dégrader. Avec une rupture conventionnelle, le salarié va toucher au chômage 57,4% de son salaire contre 80% en cas de licenciement économique ».

« Laisser des droits pour avoir de nouvelles fabrications »

Yvan Caillier, délégué syndical à FCI, craint l'assouplissement des règles de négociation : « Pour avoir de nouveaux produits à fabriquer dans l'entreprise, les salariés doivent laisser des droits : la direction a proposé un accord de flexi-compétitivité consistant à laisser 9 jours RTT à sa main, un gel de salaire de deux ans, des congés d'ancienneté, 30 suppressions d'emplois indirects... On a réussi à garder 3 jours RTT à notre main, ramener le gel des salaires à un an, et 15 suppressions au lieu des 30, mais la période de volontariat pour partir a commencé avec une indemnité de neuf mois de salaire pour qui partira avant le 31 mars, six mois au 30 avril, deux mois au 31 mai... Il y a la queue à la DRH... » Pour Jacques Bauquier, l'ANI va mettre les délégués dans une situation encore plus défensive : « l'ANI va déroger à l'ensemble des règles qui restent aujourd'hui, le patron n'aura plus besoin de passer par un PSE, un plan de sauvegarde de l'emploi... »
« Si l'ANI passe, on pourrait à l'avenir nous proposer un accord de maintien de l'emploi avec baisse des salaires ou augmentation du temps de travail sur deux ans », anticipe Olivier Grimaitre, délégué à la Mission locale. En redressement judiciaire, elle a déjà perdu sept postes et n'a pas eu quatre CDD renouvelés, d'où des conséquences sur les conditions de travail  : « On est de plus en plus sollicités par les jeunes, mais de moins en moins à les accompagner, on a de moins en moins de temps à consacrer à chacun, on va faire de plus en plus d'abattage, moins les écouter, moins travailler à leur projet professionnel ». Il voit un avantage à l'ANI : « sur les complémentaires santé, ça ira plus vite... »

Un patron dénonce la « flexirigidité »

Gaetano Colajanni, délégué chez Augé-Diehl, craint des dispositions facilitant « le salariat avec plusieurs employeurs ». Pascal Descamps, délégué à l'ADDSEA, ne voit pas l'avenir en rose : « la mairie nous redonne le marché des correspondants de nuit non plus pour 3 ans, mais pour 20 mois, et avec 70.000 euros de moins... Quant aux contrats d'objectifs, ils sont à budgets constants sur trois ans, autrement dit une baisse alors que les salaires sont gelés depuis 2009 ». Jacques Bauquier embraye : « on nous dit qu'on est trop payés, mais c'est parce qu'il y a une pression sur les salaires qu'on est en crise ! » 
Mardi à Besançon, le défilé s'arrêtera devant les locaux du PS : « La députée Barbara Romagnan veut bien nous voir, Eric  Alauzet (EELV) aussi, mais le PS ne répond pas », dit le militant qui table sur les amendements des parlementaires pour modifier l'accord signé par des « syndicats minoritaires ». De son côté le MEDEF a annoncé qu'en ce cas, il retirerait sa signature. Propos de campagne interne pour la succession de Laurence Parisot ? Pas sûr, l'accord n'est pas bien vu par tous les patrons. Olivier Passet (Groupe Xerfi), dans Les Echos du 23 janvier, parlait d'un accord de « flexirigidité » qui « verrouille un peu plus les possibilités d'insertion des outsiders (les hors marché du travail) », dénonçait la taxation des CDD, le blocage de « l'accès des chômeurs au marché du travail via des temps partiels courts ».

La CFDT : « l'avancée des complémentaires santé »

La CFDT, qui s'est une fois encore mouillée en signant un texte refusé par FO et la CGT, mais aussi la FSU et Solidaires, ne risque-t-elle pas de vivre des remous internes, comme lors de la réforme des retraites ? « Pour l'instant, ça se passe bien, nos antennes sont sorties, on n'a rien vu, pas une lettre, pas un mail », dit Gérard Thibord, l'un des responsables régionaux. Il défend pour sa part le fait que ce soit « la première fois qu'on prend autant en compte les non CDI, toujours oubliés des négociations ». Il souligne aussi l'avancée que constituera la généralisation des complémentaires santé, « obligatoires à partir de 2016 ».
Il sait bien qu'avec l'ANI, se pose la grave question de la hiérarchie des normes entre « loi et contrat : il est clair que la loi est au dessus, mais le législateur peut-il aller au delà ? »
Au delà, c'est à dire, comme dans les pays les plus libéraux, que l'employé et l'employeur sont à égalité lorsqu'ils discutent d'un contrat. Sans la médiation de la loi ou d'une organisation collective. Se joue aussi une large part des relations entre le PS et les salariés les plus en pointe dans le mouvement social. Ceux-là même qui pourraient lui faire défaut aux prochaines élections.  
 

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