L'ancien député de la vague rose de juin 1981, Joseph Pinard, n'oublie jamais de rappeler qu'il est aussi agrégé d'histoire. Et qu'à ce titre il s'est intéressé à l'histoire de l'extrême-droite, et même des extrêmes-droites. L'actualité immédiate, le nouveau second tour de l'élection présidentielle autrichienne qui se tient dimanche 4 décembre, entre l'écologiste libéral Alexander Van der Bellen et le nationaliste Norbert Hofer, après l'annulation du scrutin très serré du 22 mai, fait ressortir un funeste projet de déplacement forcé de populations porté par Hitler au début de la Seconde Guerre mondiale, sur lequel il a publié en 2013 un petit livre largement largement inspiré par la thèse que l'historien viennois Stuhlpfarrer publia en 1985.
Une vingtaine d'années plus tôt, la Première Guerre mondiale avait notamment eu comme résultat le démantèlement de l'empire d'Autriche-Hongrie. Le Tyrol du sud revint ainsi à l'Italie où il s'appelle Haut-Adige. Comme les nationalistes aiment rarement les étrangers, Mussolini mena la vie dure aux germanophones du Tyrol du sud-Alto Adige de fait bilingue : allemand interdit dans l'administration, dans l'enseignement et même sur les pierres tombales, prénoms italiens obligatoires, emplois de secrétaires de mairie réservés aux Italiens. De quoi constituer à l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933, « une pomme de discorde très gênante entre Allemagne nazie et Italie fasciste », écrit Pinard.
Le projet Burgund, état autonome au sein du Reich
Les deux pays entamèrent cependant des négociations et un accord fut conclu en 1939 : le territoire restait italien, les germanophones obtenant le droit d'être intégrés au Reich, ce qu'une majorité de 69% des intéressés choisit : 185.000 sur 267.000. Restait un détail à régler : où envoyer les Tyroliens germanophones dont certains avaient été menacés d'être transférés en Ethiopie, alors colonie italienne ?
Réponse : le projet Burgund, état autonome au sein du Reich, qui devait réunir avant l'heure Bourgogne et Franche-Comté ! La Franche-Comté devait même être « regardée comme une région idéale pour l'établissement du groupe ethnique sud-tyrolien », avait expliqué dans un mémorandum le commissariat pour la consolidation de l'ethnie allemande qui s'occupait notamment des minorités allemandes de l'étranger. Il s'appuyait même sur « le caractère du paysage, la structure économique, les communications et l'ensemble des conditions de vie [qui] sont aussi proches que possible des conditions » du Sud-Tyrol. Quand on se rend aujourd'hui dans les Dolomites, on est d'ailleurs frappé par la présence dans les prés de... vaches montbéliardes. Le IIIe Reich faisait alors coup double, songeant après sa victoire de juin 1940 contre la France à réintégrer d'anciennes terres d'empire ou peuplées de descendants de Germains.
Une délégation vint sur place, imagina rebaptiser Besançon en Bolzen et Dole et Brixen. La débâcle ayant vidé une partie de la région, il était question de prendre les logements et biens des réfugiés à qui le droit au retour aurait été empêché à l'est d'une ligne Lamarche-sur-Saône (près de Pontailler en Côte d'Or) - Les Essarts (Bresse jurassienne). La chose ne se fit pas, pas plus qu'une autre hypothèse consistant à installer les Sud-Tyroliens en Crimée !
Bégaiement de l'histoire ?
Articulant comme souvent les événements historiques et l'actualité, ce qui lui est parfois reproché, Joseph Pinard fait justement remarquer que le candidat autrichien d'extrême-droite pourrait, s'il était élu, rouvrir la boîte de Pandore. Il s'est en effet prononcé en février 2015 pour le retour à l'Autriche d'une partie du Sud Tyrol italien : « Votre patrie, c'est l'Autriche », avait-il lancé à ses habitants germanophones. Dans un courrier, le correspondant du Monde en Autriche a précisé à Joseph Pinard : « Hofer
Bref, l'historien bisontin s'inquiète d'une éventuelle victoire du candidat du FPÖ qui pourrait, craint-il « déboucher, pour flatter les nostalgiques de la grande Autriche d'avant 1914, sur une crise avec l'Italie. Ce serait la porte ouverte à des revendications, notamment dans les ex-pays de l'Est, par exemple la Hongrie qui pourrait revendiquer les territoires peuplés de minorités hongroises en Roumanie. Ce serait un appel d'air pour tous les nationalismes afin de déstabiliser des Etats. N'oublions pas que les partis Fidesz et Jobbik parlent de Grande Autriche d'avant 1918. Et puisque l’appétit vient en mangeant, pourquoi une fois le Tyrol du Sud réintégré, ne verrait-on pas naître des revendications relatives à l’accès à la mer touchant Trieste qui fut autrichienne, et aussi revendiquée par l’ex-Yougoslavie. »
Fiction ? Fantasme ? Ce qu'on sait, c'est qu'il arrive à l'histoire de bégayer...