Jean Jouzel à Chaussin : « il est indispensable de changer de mode de développement »

Le paléo-climatologue était invité de la communauté de communes de la Plaine jurassienne pour vulgariser les travaux du GIEC dont il est vice-président. « Il y a une absolue nécessité de lutter contre le réchauffement. On n'en a plus que pour vingt ans au rythme actuel », explique-t-il en pointant les limites de l'accord de Paris.

Jean Jouzel : « Pour l'agriculture, cela signifie qu'il ne faudra pas faire de stockage de surface car il y aura moins de précipitations et plus d'évaporation. » (Photos Daniel Bordur)

Prenez une sécheresse dans une dictature du Proche-Orient au tournant du siècle, une révolution en Tunisie dix ans plus tard, tenez compte des rivalités géopolitiques pour le contrôle des gazoducs vers la Méditerranée, puis observez les conséquences de la guerre en Syrie et de quelques autres sur leurs voisins, l'Europe, le pays, la région. Notez les déclarations incantatoires des élus FN dans les collectivités, les positions ambigües de certains de leurs collègues LR, et les réflexes inquiets qu'elles suscitent. Remarquez les élans de solidarité venus surtout de la société civile...

Quand on entend Jean Jouzel expliquer que « certains chercheurs estiment que la sécheresse de 2000 a joué un rôle dans la déstabilisation de la Syrie », on acquiert la conviction que les questions globales et locales sont intimement mêlées. Que l'économie et le changement climatique sont politiques, et qu'il est relativement urgent que nous en prenions la mesure. C'est ce qui fait notamment agir Guy Savoye, vice-président au développement durable de la communauté de communes de la Plaine jurassienne. Depuis une trentaine d'années, il tente de relier les deux bouts de la réflexion et de l'action, du global et du local. Non sans mal, puisqu'il vient d'en démissionner.  

Le local, c'est par exemple d'avoir convaincu ses collègues élus communautaires d'être « la première comcom à offrir pour 8 euros aux habitants des composteurs revenant à 60 euros. Près de 900 ont ainsi été distribués... Les solutions doivent partir de la base, des citoyens ». Le global, c'est d'avoir invité à Chaussin, 1700 habitants, des grands noms de la vulgarisation scientifique : Claude Lorius, Jean-Marie Pelt, Albert Jacquard, et, le 14 janvier, Jean Jouzel, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le fameux GIEC.

« On peut discuter du rôle des activités humaines sur le réchauffement, pas sur la composition de l'atmosphère ».

Glaciologue et paléoclimatologue, Jean Jouzel balaie d'emblée le climatoscepticisme : « On peut discuter du rôle des activités humaines sur le réchauffement, pas sur la composition de l'atmosphère ». Or, l'augmentation de la vapeur d'eau, plus 20% en vingt ans, « contribue à l'augmentation de la température ». Tout comme l'augmentation des émissions de gaz carbonique, de méthane, du dioxyde d'azote entraîne « plus de chaleur dans les basses couches de l'atmosphère ».

Si l'on constate davantage d'étés caniculaires, il relativise : « 93% de la chaleur va dans les océans ». Cependant, les mesures sont là : « le niveau des mers augmente de 3 millimètres par an dont 1 mm dû à la dilatation causée par l'augmentation de la température, le reste à la fonte des glaces : 1 mm celles du Groenland, 1 mm celles de l'Antarctique ouest... » Il passe rapidement sur « l'acidification des océans, faible mais avec une incidence sur le corail et les coquillages » Il souligne quelques conséquences qui pourraient, à terme, être redoutables : « La fonte de la calotte du Groenland d'ici 1000 ans ferait monter de 7 mètres le niveau des mers... Un mètre de plus, c'est 14% du territoire du Bangladesh... 40 centimètres de plus, ce sont 200 millions d'habitants qui devront quitter leur lieu de vie... » 

Ce n'est pas tout car les effets sont réels sur la biodiversité : « de nombreuses espèces ne se déplacent pas au rythme du déplacement du climat, par exemple les arbres... » Selon le scénario médian du GIEC, les forestiers sont ainsi confrontés à la perspective de la réduction de 90% de l'aire de répartition de l'épicéa d'ici 40 ans... (Factuel.info en a parlé ici). C'est aussi le cas des rongeurs et des primates. L'agriculture sera impactée, mais pas toujours ni partout négativement : « L'Ukraine ou la Sibérie du sud gagneront en rendement pour les céréales, mais ils diminueront dans des zones tropicales et tempérées ».

« La saison d'enneigement va continuer à diminuer.
Pour l'eau, on connaîtra une baisse des étiages en été
et une baisse des ressources en hiver. »

Et en Franche-Comté ? Jean Jouzel affiche une diapo pleine de courbes s'arrêtant en 2013 sur Arc-et-Senans : « les étés sont plus marqués, les hivers plus irréguliers... La saison d'enneigement diminue et va continuer à diminuer. Pour l'eau, on connaîtra une baisse des étiages en été et une baisse des ressources en hiver. Pour l'agriculture, cela signifie qu'il ne faudra pas faire de stockage de surface car il y aura moins de précipitations et plus d'évaporation. Les conflits d'usage vont être plus tendus... ». Il montre des cartes de France et d'Europe : « A la fin du siècle les étés caniculaires pourraient être à 6 ou 8 degrés de plus que la moyenne du 20e siècle. Il y aura des problèmes de ressource en eau en été. Imaginons les réfugiés climatiques en Méditerranée... »

 

Il n'est pas optimiste : « il y a une absolue nécessité de lutter contre le réchauffement car on est clairement sur le scénario émetteur... » Autrement dit, émetteur de gaz à effet de serre. Conséquence : « pour rester sur une tendance inférieure à un réchauffement de 2°, la condition indispensable est de changer de mode de développement. On n'en a plus que pour vingt ans au rythme actuel... »

Que pense-t-il de l'accord de Paris sur la COP 21 ? « Malgré des engagements, on est loin du compte. On est parti pour augmenter nos émissions de carbone de 10% en 2030 au lieu de les diminuer de 20%. On prévoit 55 milliards de tonnes au lieu de 40, mais si on ne faisait rien on était sur 65... » Il s'emporte un peu du non engagement du secteur aérien : « c'est une incitation à dépenser ! Faut pas déconner ! » Ce secteur n'a beau représenter que « 3 à 4 % » des émissions, s'il ne s'engage pas, « il ne restera rien pour les autres ».  A quelques kilomètres de l'aéroport de Tavaux, sous perfusion des collectivités qui « subventionnent » une compagnie low cost, il fallait le dire. Présent, le maire de Dole et député LR Jean-Marie Sermier lâche en aparté son désaccord, mais ne dit rien publiquement...

« On pourrait baisser le chauffage ?
Il pourrait faire moins chaud, ça commence par là ! »

Jean Jouzel n'est pas optimiste mais il garde espoir : « c'est dans la société civile, les OGN, les associations, le système éducatif que les choses se passent. Un levier est l'efficacité énergétique qui nécessite 600 milliards de dollars par an, c'est à peu près équivalent aux subventions aux énergies fossiles... Quant à notre loi de transition énergétique, elle est ambitieuse, mais dure à mettre en œuvre ». C'est ce qu'illustre la première question de la salle qui est plutôt une imploration car le public n'est pas loin de transpirer : « on pourrait baisser le chauffage ? Il pourrait faire moins chaud, ça commence par là ».

L'indépendance du GIEC est soulevée par une auditrice. Le scientifique s'explique : « il y a 1000 candidats pour 250 postes d'auteurs du rapport général du GIEC... Chaque rapport est écrit par dix personnes, à Genève, payées par les gouvernements qui ne se mêlent pas de la rédaction. Le travail sur le rapport dure trois ans entre nous, avec une approbation par l'ONU : les gouvernements ne peuvent pas en changer le fond, seulement quelques phrases sur la forme. Je suis très favorable à l'interaction entre scientifiques et responsables gouvernementaux car la conséquence, c'est que le rapport du GIEC devient le livre de chevet des négociateurs... »

« Changer de mode de vie est possible et enthousiasmant :
il faut abandonner le pétrole et le charbon, faire de la recherche... »

Qui seront les gagnants et les perdants du réchauffement ? « Il y a un risque d'accroissement des inégalités. Le réchauffement diminue les endroits où il fait bon vivre. Dans les pays riches, les couches pauvres seront plus vulnérables. Il n'y a qu'à voir la répartition des revenus des 15.000 morts de la canicule de 2003 : ils sont inférieurs à la moyenne... »

La voiture électrique est-elle propre ? « Il faut regarder l'ensemble du cycle de vie : l'énergie grise. Les batteries doivent s'améliorer... L'important, c'est la façon dont l'électricité est produite : nucléaire, renouvelables, biomasse ». Qui de l'hydrogène ? « Il est intéressant parce qu'il produit de l'eau, c'est intéressant si des éoliennes produisent trop d'électricité... »

Pourquoi la COP 21 a choisi l'objectif de limiter le réchauffement à 2° ? « Au-delà de 3°, la glace du Groenland fond à l'échelle de 1000 ans et c'est inacceptable. Aucun secteur économique ne peut dire que ce n'est pas son affaire, il y aura très peu de gagnants... Il suffit de changer de mode de vie, je dis aux jeunes que c'est possible et enthousiasmant : il faut abandonner le pétrole et le charbon, faire de la recherche... »

 

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