Jacques Ricciardetti, candidat du RN pour les municipales à Besançon est un fidèle de l'église Sainte-Madeleine, monument emblématique du quartier Battant. Ce que l’on sait moins, c’est que les messes y sont consacrées à un rite catholique conservateur. Certes affiliée au diocèse, la paroisse est dédiée à la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP). Définie comme « traditionaliste », cette institution a été fondée par d’anciens membres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSX), quant à elle intégriste et d’extrême-droite.
Observant le rite dit « tridentin », mais ne souhaitant pas rompre avec le Vatican, la Fraternité Saint-Pierre s’est implantée à Besançon dès sa création nationale par Mgr Lefebvre en 1988 et compte d’autres antennes régionales à Dole et à Belfort. Elle est actuellement forte d’une communauté de 300 fidèles dans le Grand Besançon d’après nos estimations, de trois prêtres dans la ville et de deux bâtiments annexes, la chapelle Saint-Jean-Bosco et la maison Sainte-Odile. La Fraternité sacerdotale Saint-Pierre de Besançon a aussi la charge de l’enseignement confessionnel à l’école hors-contrat Saint-Anselme et tisse un partenariat avec le groupe de scoutisme Notre-Dame. Son panneau d'affichage mentionne en bonne place une conférence organisée le 10 mars au centre diocésain par l'Action française, officine royaliste, sur les « ravages et conséquences de la pornographie »…
Nous avons pu constater à plusieurs reprises la présence de Jacques Ricciardetti à la messe de la Madeleine, notamment le dimanche 26 janvier 2020. Pendant près de deux heures, il participera pleinement aux cantiques et prières, parmi quelque 250 autres ouailles. Le rite se caractérise par plusieurs éléments, comme la génuflexion, des ecclésiastiques placés dos à l’assemblée, une liturgie exprimée en latin et la communion à même le sol.
La composition de cette assemblée est hétéroclite, mais les fidèles semblent très soudés. Un habitué a immédiatement repéré pendant l’office les néophytes que nous étions. On trouve une bonne moitié de familles, un tiers de plus de 50 ans, et quelques groupes de jeunes venus spécifiquement à ces offices qui attirent au-delà de Besançon. Il n’est pas rare de voir sur les voitures stationnées aux abords des autocollants du sacré-cœur de Jésus, des étendards tricolores, et les logos des fraternités Saint-Pierre, mais aussi celle de Saint-Pie X.
Rendez-vous avec Dieu et... avec la politique
À l’issue de cette cérémonie à laquelle nous avons assisté, peu avant midi, nous avons aussi pu observer les liens forts que l’élu entretient avec la communauté. Il s’attardera longuement sur le parvis, multipliant les poignées de main et les discussions. Mais le rendez-vous avec Dieu est aussi l’occasion d’un engagement plus politicien. Ainsi plusieurs sources rapportent des « tractages réguliers du RN aux abords immédiats de l'église après la messe ». C’est ce que relève d’abord un Bousbot
Sollicité par mail, un dignitaire de la fraternité Saint-Pierre nous enverra ce message : « Ce tractage malheureux et déplacé est arrivé une seule fois et j’ai fait savoir à qui de droit que cette façon de faire — pour laquelle je n’avais naturellement donné aucun accord — était totalement inappropriée à la sortie d’une église qui doit rester un lieu électoralement neutre ; puisque nous accueillons des personnes de diverses sensibilités et préférences politiques, il est important que l’église soit la maison de tous et que le prêtre demeure également un homme pour tous (c’est pourquoi je n’affiche pas mes opinions et mes options en matière électorale). »
Quant au diocèse, il prise peu le mélange des genres. Bras droit de l'archevêque, le vicaire épiscopal Michel Bruard indique à Factuel que « la distribution électorale ne peut faire l’objet d’une opposition tant qu’elle s’effectue normalement sur la place publique. Mais à l’intérieur d’un lieu de culte, à ses abords immédiats, ou sur le parvis, l’expression doit être réservée à la vie de l’Église et pas à la politique ».
Une laïcité à géométrie variable
Officiellement, le RN proscrit explicitement les prières et processions « de rue », prône l’extension du principe de neutralité religieuse à l’ensemble de l’espace public et des citoyens, ou encore l’interdiction des subventions à des associations « communautaristes » ou promouvant cette « sensibilité ». Sollicité lundi 3 février et relancé à plusieurs reprises, Jacques Ricciardetti n’a jamais répondu à nos questions sur ces points.
Lors d'un débat sur la laïcité sur France 3 Franche-Comté avec le sénateur de Saône-et-Loire Jérôme Durain (PS) et le maire de Vesoul Alain Chrétien (AGIR), diffusé le 1er décembre 2019, il esquivait les développements de fond, annonçant cependant que « si son parti venait au pouvoir il y aurait des réformes », considérant que les frictions contemporaines l’y encouragent.
Réunion publique pour la campagne européenne de 2019 à Besançon. Jacques Ricciardetti au côté de Gilbert Collard, Thierry Mariani et Julien Odoul. (Ph Toufik-de-Planoise)
Rebondissant sur la polémique organisée par son collègue et président de groupe au conseil régional, Julien Odoul, Ricciardetti affirmera à plusieurs reprises que « 70 % des gens suivent notre façon de penser. C’est-à-dire que les accompagnatrices scolaires ne devraient pas être voilées en France, ça me paraît le minimum de la laïcité. Son couvre-chef marque une soumission religieuse et une revendication politique, ce n’est pas la loi, mais c’est ce que tout le monde réclame. »
Nous souhaitions savoir si d’après Jacques Ricciardetti ces positions doivent également s’appliquer à sa propre chapelle. Notamment concernant l’utilisation du parvis de la Madeleine, partie intégrante de l’espace public, à des fins paroissiales comme le dimanche 19 mai 2019, lors de la procession annuelle de la Fête-Dieu dont la réapparition en 2013 avec habillements et chants sacrés en pleine rue avait suscité l’incrédulité. Ou encore la participation de membres — certes minoritaires et âgés — aux prières de rue de SOS Tout-Petits, comme en 2010 sous escorte du Front comtois, ou en 2011 où il était invoqué un « droit divin supérieur à la loi de la République ».
Nous aurions aussi pu l’interroger sur les comportements de certains de ces colistiers, notamment ceux d’un tandem très actif dans les tractages et collages d'affiches. Le premier, Jean-Baptiste, est un étudiant en droit, référent de la section « Génération nation » Jura (le mouvement de jeunesse du RN), responsable départemental de la communication du parti et en charge du canton de Saint-Amour. Réagissant à un fait divers, il déclarera le 16 janvier dernier sur Twitter : « qu’ils [les disciples de Mahomet] font ce que leur prophète a toujours fait : pillage, esclavage et viol » (voir ici). Le deuxième, Théo, s’est aussi illustré, lorsqu’un opposant a publié le 1er février 2020 une capture d’écran de son compte Facebook le montrant photographié le 30 juillet 2019 grimé en membre du Klu Klux Klan et réalisant un simulacre de salut fasciste (voir là).
Une proximité ancienne entre foi et pouvoir
Jacques Ricciardetti est maire de Tressandans depuis 2001, une petite commune de 35 habitants située près de Rougemont. Un premier engagement à 36 ans qui ne va plus le quitter, enchaînant depuis deux autres mandats municipaux en 2008 et 2014. D’abord sans étiquette puis membre du FN devenu RN en 2018, il devient délégué du parti de Marine le Pen pour le département du Doubs. En 2015, il est également élu conseiller régional de Bourgogne–Franche-Comté et vice-président de groupe.
Caractérisé par ses positions axées sur « le quotidien », il s’est construit une réputation loin des clichés sulfureux et des dissensions qui ont déchiré l’une des premières forces politiques du pays. Mais il n’a jamais caché ses convictions religieuses, assumées comme fin janvier dans un « portrait chinois » dressé par MaCommune.info.
Une archive confirme une proximité ancienne entre foi et exercice du pouvoir. Jacques Ricciardetti participait ainsi à la quatrième édition de la marche pour la vie, le 20 février 2008 à Paris. Cette manifestation contre l’avortement se définit comme « apolitique et aconfessionnelle », bien que très largement soutenue par une litanie d’organismes cultuels, et dont les participants n’hésitent pas à aller jusqu’à la prière de rue en marge du cortège. Interviewé en portant son écharpe tricolore, l’élu reconnaîtra y être « présent en tant que maire et catholique pour l’un des premiers droits fondamentaux qu’est la défense de la vie » et ajoutant que « l’action des élus catholiques — entre guillemets — c’est aussi le sauvetage du patrimoine et du fait religieux en ruralité. »
La plateforme qui l’interroge, Catholiques en campagne, est une coquille vide, et n’a été relayé que par le blog catholique Le Salon beige, le site d'extrême-droite Boulevard Voltaire, et Christ Roi dont l’article consacré à l’entité salue l’initiative et commente : « le Christ doit revenir en France, dans la vie des Français, dans les lois et institutions françaises. »
Une amie d’enfance de Jacques Ricciardetti témoigne : « nos familles se fréquentaient, nous vivions dans le même quartier. Nous nous sommes un peu perdus à l’adolescence, époque qui marque son engagement spirituel. Il affectionne l’ambiance religieuse austère, et ça se respecte. Jacques ne déborde pas de la ligne officielle, et s’il apprécie les personnalités atypiques il n’aime pas non plus faire de vagues. »