Happening pour les rivières comtoises à Besançon

Alors que le SAMU de l'environnement Bourgogne-Franche-Comté se lance en découvrant des pollutions sévères et inattendues dans la Loue (hydrocarbures, ammonium, phosphates), quelques militants ont organisé une action choc pour la sauvegarde des rivières comtoises sur le pont Battant.

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« Les billets, c'est des vrais ? » Deux ados hilares lorgnent les photocopies de coupures de 100 euros alignées à côté d'une forme ressemblant à un grand poisson posé sur pont Battant. Bricolée avec du plastique et des matériaux de récupération, la forme est sensée figurer une truite à l'agonie. « Voici Garalo, poisson à moitié mort du Doubs », présente Christine Abt, jeune prof de lettres classiques, dans une petite sono.

Une passante, qui n'a pas entendu la harangue, a les yeux fixés sur la marionnette à la nageoire de chabot. Inquiète, elle interroge : « il est arrivé quelque chose ? » On réalise qu'elle a imaginé que quelqu'un s'était jeté dans le Doubs. On la rassure, elle poursuit son chemin. Soudain, le visage de l'un des deux ados s'éclaire : « Les billets, ça veut dire que les rivières meurent à cause de l'argent ? »

Entre temps, Philippe Henry, enseignant-chercheur à la fac de sciences et militant de la défense de l'environnement, s'est coiffé d'un bonnet affublé de longs fils verts symbolisant les algues filamenteuses qui ont pris possession de nombreux cours d'eau. Il dénonce les épandages excessifs de lisiers d'une minorité significative d'agriculteurs qu'il évalue à 20%. « Il y a jusqu'à 5kg de nitrates par mètre cube, ça produit des zones où les plantes nitrophiles sont en excès : rumex, ortie, pissenlit... C'est très différent de ce que fait par exemple Denis Narbey, paysan bio, qui épand des lisiers à la teneur inférieure à 1kg/m3. »

Éprouvettes et bandelettes

Ce happening se déroule mercredi 20 septembre et fait s'arrêter de nombreux passants. Des lycéennes se font même photographier avec la poisson ! Il s'agit notamment de prolonger le lancement du SAMU de l'environnement Bourgogne-Franche-Comté qui s'est tenu la veille à Ornans. SAMU pour service d'analyse mobile en urgence. Le lancement a été l'occasion de former une cinquantaine de personnes à la traque à la pollution. A la manœuvre, ou plutôt aux éprouvettes et aux bandelettes, Bruno Haettel, directeur scientifique de la fédération des SAMU de l'environnement.

En guise d'exercices pratiques, quelques analyses d'eau ont été effectuées en plusieurs points de la vallée de la Loue : source bleue de Vuillafans, cascade de Syratu, amont et aval de la station d'épuration d'Ornans. Les résultats sont édifiants : ammonium quasi absent en amont de la Step, très concentré 500 m en aval : « pas besoin de chercher très loin, sauf s'il y a une source souterraine, c'est à voir avec un hydrogéologue ».

Les enquêtes du SAMU de l'environnement

Que s'est-il passé ? La découverte d'un polluant ne désigne pas immédiatement, ni aisément, sa provenance. Une enquête doit alors être conduite pour la déterminer. Photos, relevés topographiques, coordonnées GPS, cartes géologiques et hydrogéologiques, plans des réseaux d'assainissement, battues de terrain... font partie de la panoplie des méthodes utilisées pour remonter à la production du problème. 

« L'ammonium est le premier élément minéral issu de la dégradation de l'azote organique, il peut aussi bien venir du lisier que d'excréments humains, d'eaux usées domestiques comme de l'agriculture... Ensuite, il se dégrade en nitrite et les algues filamenteuses arrivent », explique Bruno Haettel que nous avons contacté par téléphone. Témoin d'un déséquilibre, l'ammonium peut contribuer à la prolifération de plantes et de bactéries générant une eutrophisation des eaux qui se raréfient en oxygène, allant jusqu'à l'asphyxie des poissons...

Sur le pont Battant, Christine Apt lit son son mobile le message que Bruno Haettel lui a adressé. Il résume les résultats des analyses : hydrocarbures à la source bleue qui est également hyperchargée en phosphates et en nitrates, nitrites et phosphates à Sytaru...

Les mortalités piscicoles de l'été dans le Haut-Doubs

Adhérent de l'association de pêcheurs Truite pontissalienne lac Saint-Point, Philippe Débois est également sur le pont bisontin pour témoigner et promouvoir une pétition après les pollutions estivales. « Tout est parti des pollutions successives sur le Drugeon, des mortalités piscicoles à la mi-juillet entre Vuillecin et le Pont rouge. Il y a plainte de la fédération de pêche et enquête de gendarmerie. Quinze jours après, il y a eu une nouvelle pollution aux hydrocarbures, on ne connaît pas le coupable, mais une des hypothèses est que ça pourrait venir de la zone industrielle de Dommartin... Le Doubs est également pollué à Pontarlier, au pont des Chèvres où un égout crache et des poissons crèvent depuis fin juin. On a prévenu les services municipaux depuis deux mois, mais on n'a rien, aucun retour... »

Toujours au micro, Christine Apt poursuit son numéro avec un pistolet à eau en plastique coloré. Pince sans rire, elle le point sur le petit groupe d'auditeurs qui s'est formé : « si c'était l'eau de Syratu, je pourrais tuer quelqu'un... Euh, je rigole ». On sent l'improvisation, c'est sa première intervention, mais elle percute. Elle l'a montée en urgence pour qu'elle ait lieu avant les marches sur la Loue du week-end, en compagnie de Justine Cagnan, étudiante en écologie qui envisage de travailler dans la protection des rivières.

« Philippe Henry a proposé une manif, on a décidé de faire quelque chose et on a fabriqué ce poisson », explique Christine Apt. « J'ai été sensibilisée à l'écologie par mes parents, mon père a été dans la police de l'eau dans les années 1990 à une période où c'était déjà déprimant, comme aujourd'hui. J'ai travaillé en Alsace où les gens sont plus sensibles à l'écologie, et quand je suis revenue en Franche-Comté, j'étais contente de revoir la Loue... Mais dans quel état je l'ai trouvée ! Quel scandale ! Comment les offices de tourisme peuvent-ils encore la vendre ? »

Philippe Débois s'interroge sur la production record de comté qui atteint désormais les 60.000 tonnes. « On demande que les paysans passent en bio, ceux des Gras ou de Chapelle des Bois qui y sont, s'en sortent bien. Je ne suis pas en guerre contre les paysans, mais il faudrait qu'ils arrivent à changer leurs pratiques. Le comté est en limite de production, alors ils font presque tous des petits fromages à côté avec du lait qui n'est pas acheté au même prix... » Il fait même le lien avec l'usage du casse-caillou : « il s'agit d'augmenter les surfaces agricoles pour produire plus... Mais les troupeaux de 20 - 25 vaches des années 1970 sont passés à 60 ou 80 vaches aujourd'hui... »

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