Le samedi 17 novembre 2018, ils étaient des centaines de milliers à se retrouver sur le macadam. Une colère, froide, spontanée, tenace, principalement organisée sur les réseaux sociaux avant de s’improviser sur le terrain. Révoltés contre la hausse du prix de l’essence, puis très rapidement contre le coût de la vie en général, anonymes, salariés, retraités, mères de famille isolées, souvent en dehors des cercles militants traditionnels, se sont ainsi découverts et font ont fait cause commune. Le temps d’une journée pour certains, des douze derniers mois pour d’autres.
Dans la capitale comtoise, cet élan s’était massivement concrétisé à Chateaufarine, Beure, Valentin, ou encore Chalezeule. Toutes les entrées stratégiques de l’agglomération avaient été prises. Une semaine, puis deux, avant que les forces de l’ordre ne procèdent à l’expulsion parfois musclée des plus téméraires. Cette stratégie poussera à l’adoption des grands cortèges et leurs lots de heurts en plein centre historique, à mesure que la répression policière et l’absence de réponses aux revendications se multipliaient. Aujourd’hui, si les chiffres sont moindres, la situation demeure.
Révolution, temps d’une remobilisation
Alors que la date s’annonçait forte au moins en symboles, les autorités ont choisi la fermeté. C’est ainsi qu’une pléiade de lieux avait été ciblée par des arrêtés d’interdiction de manifestation afin d’empêcher les regroupements. Mais au petit matin le samedi sur le rond-point Mallarmé, ils étaient une centaine sur cet espace parmi les derniers encore préservés. Le raz-de-marée de 2018 ne s’est pas réitéré, mais bien des « anciens » sont de retour. La plupart tenteront une action « filtrage » sur la route de Larnod, mais ils seront repoussés par les gendarmes.
Retour place de la Révolution à 14h00, où la foule se rassemble petit à petit. Une banderole exhorte au « Référendum d’Initiative Citoyenne » (RIC), des pancartes dénoncent la fraude fiscale ou la casse du service public, quand plusieurs drapeaux, dont chiliens et catalans pour soutenir leurs soulèvements, ou LGBT, se mêlent aux étendards tricolore et comtois. La plupart des manifestants sont masqués, parfois à l’aide de simples keffiehs ou comme quelques-uns du fameux visage Anonymous, au milieu de syndicalistes, retraités, et familles avec enfants.
La ville a été pavoisée de graffitis, visibles sur tout le parcours, à l’instar d’une publicité dédiée au salon Studyrama rue des Boucheries avec le mot « immolation » - référence au geste d’un étudiant de Lyon -, ou d’une baraque de chantier rue Victor Hugo siglée « les barricades bloquent les routes mais ouvrent la voie – G.J. » Place Pasteur se trouve la mobilisation de l’association « A.C. - agir contre le chômage », afin de lutter contre la nouvelle réforme d’indemnisations ; elle sera rejointe vers 15h00, formant un ensemble homogène de plus de 500 personnes.
Par rapport aux trois derniers mois, le regain est notable. Les porte-voix fulmineront abondamment durant toute la journée, scandant « travail, consomme, et ferme ta gueule », « on est là », « Macron, tête de con, on vient te chercher chez toi », « Besac’, debout, soulève-toi », ou encore « anti, anti-capitalistes. » Pétards et fumigènes seront également de la partie, surtout lors du passage du tunnel de la citadelle vers 16h30. Si bien qu’arrivés à la préfecture, les protagonistes se satisfont de la météo clémente, de l’humeur joyeuse, et surtout de l’absence jusqu’alors totale des forces de l’ordre.
Le cortège, encore fort de centaines de membres débarque devant un dispositif sécuritaire d’une vingtaine d’uniformes une fois à Chamars. La confrontation en est restée au simple face-à-face jusqu’à presque 18h, interrompant la circulation des transports en commun. Les gradés présents affichaient la carte du dialogue, à l’image du nouveau directeur de la sécurité publique Michel Klein qui n’a pas hésité à donner de sa personne dans de longues prestations orales. Il y a eu près d’une heure de stand-by avant la dispersion.
Mallarmé, l’impossible retour
Le soir même, ils sont une petite cinquantaine sur leur nouveau « camps de base » du rond-point de Mallarmé. Un feu de joie est allumé à l’aide de plusieurs palettes, alors qu’un filtrage est réalisé sur les voies notamment à l’aide de pneus géants afin de baliser le goulot. Les usagers restent compréhensifs et aucun incident n’est à déplorer. La nuit se termine au coin du brasier, entre musique, casse-dalles et longs débats. Dès le lendemain dimanche, rebelote. Ils sont aussi nombreux, souhaitant persister dans leur démarche d’occupation… comme aux origines.
Là aussi, la circulation avait été en partie altérée mais pas bloquée comme parfois rapporté. Mais en début d’après-midi, la réaction des autorités ne s’est pas fait attendre. Cette fois vers 15h30, un escadron de gendarmerie mobile intervient sans sommation ni discussion appuyée pour dégager la place. Manu militari, les gilets jaunes sont délogés et deux confrères de Radio Bip entravés dans leur fonction (voir le communiqué de la rédaction de Radio Bip / Média 25). Une équipe municipale s’évertuera à effacer les dernières traces de passage, alors que les plus téméraires repartent brièvement pour la place de la Révolution.
Pour les protagonistes, s’il est encore trop tôt et « déplacé » de tirer un bilan à chaud sur l’année écoulée, reste une conclusion en demi-teinte quant à l’anniversaire. Si certains considèrent qu’un noyau dur mais fragile s’est peut-être reconstitué à cette occasion, beaucoup perçoivent que la traversée du désert risque d’être longue. Car si le mouvement est loin d’être en déroute à Besançon et qu’un sursaut a bien été enregistré ce week-end, l’adhésion massive initiale n’est en aucun cas reconstituée. Comme pour Hong-Kong, les figures espèrent qu’un prochain « pic » arrivera.