A la barre de la cour d'appel de Besançon, la carrure de Joris Mauvais impressionne. En boxe, il concourrait deux ou trois catégories au dessus de Patrice Malavaux, assis à quelques pas sur le banc des parties civiles, un peu tendu. Le jeune agriculteur de 32 ans a fait appel de sa condamnation, le 1er mars dernier par le tribunal de grande instance de Montbéliard, à trois ans de prison dont 16 mois ferme pour avoir frappé Jean-Michel Houser, un habitant de Charmauvillers, le 10 janvier, et le garde pêche de la Franco-Suisse le lendemain. Son visage en sang avait fait la une des journaux.
Les spectateurs de ce premier procès avaient relevé une forme d'arrogance de la part de Joris Mauvais, suivie de sa sidération à l'énoncé du jugement. Patrice Malavaux se souvient également avoir été, avec son avocat, encerclé par une trentaine de personnes menaçantes venues soutenir l'agriculteur condamné. L'intervention énergique de la procureure avait fait baisser la tension et le garde-pêche et son conseil avaient été exfiltrés sous escorte du palais de justice une demi-heure plus tard.
C'est dans une tout autre ambiance que s'est tenu le second procès. Une vingtaine de gardes-pêche sont venus soutenir pacifiquement Patrice Malavaux et sa famille. Sorti de prison le 5 avril, Joris Mauvais fait profil bas, reconnaît avoir donné quelques coups, présente des excuses. Au président Franck Taisne-de-Mullet qui lui demande doucement « ça remonte où ? », il répond : « ça faisait des semaines qu'on parlait de moi dans les médias, sur Facebook... J'ai perdu mon sang froid... »
« Surveiller la pêche, les pollutions des rivières et de leur bassin versant... »
Il avait, le 20 décembre, épandu sur la neige le lisier d'une autre ferme que la sienne, le GAEC Pierre, tenu par deux frères septuagénaires. Le délit avait été filmé. « Je travaillait gratuitement pour eux parce leur cuve débordait, je connais les règles : on ne peut pas épandre sauf cas de force majeure », explique-t-il. Plus tard, il dit : « Je ne me reconnais pas dans ces actes, j'étais épuisé par le travail dans deux fermes et on me mettait sur le dos l'étiquette d'agriculteur-pollueur... » Le président souligne que c'est le GAEC Pierre qui a été verbalisé. Joris Mauvais répond : « J'étais sous leurs consignes, c'est eux qui m'ont dit d'épandre... »
Jean-Michel Houser, le voisin subissant le ruissellement de purin, l'avait interpellé le 10 janvier. Mauvais dit l'avoir seulement bousculé, l'homme de 68 ans dit avoir subi des coups. Il avait chuté, s'était enfui en courant, le visage tuméfié, deux côtes cassées... Un témoin auditif de la scène a entendu ses « cris de peur ».
Le lendemain, quand Patrice Malavaux vient voir Joris Mauvais vers 17 heures, avec sa voiture de service et en uniforme, ce n'est pas pour le verbaliser, mais pour lui remettre un texte de la chambre d'agriculture expliquant l'interdiction d'épandage qu'il avait préparé à son intention. Une pluie de coups s'abattra sur lui pendant plusieurs minutes.
Etait-il dans ses fonctions ? « Mes prérogatives sont de surveiller la pêche, les pollutions des rivières et de leur bassin versant », répond-il aux juges. Quelques jours plus tôt, le 3 janvier, il avait prévenu Joris Mauvais : « la tempête Eléonore était annoncée, on attendait beaucoup d'eau, je lui avais dit de ne pas épandre quand il pleut... »
« Je conçois qu'on ne soit pas trop apprécié de certains... »
Le tabassage est enregistré par le portable que Patrice Malavaux a enclenché avant de s'approcher de Joris Mauvais. Le président demande pourquoi. Réponse : « C'est une consigne de notre employeur : on peut le faire par sécurité quand il y a un risque potentiel avec un contrevenant... » Le matin même, le garde-pêche avait reçu la visite du voisin blessé la veille et compris que l'agriculteur était « parti en vrille ».
Quand il va le voir, il le salue mais s'entend répondre « ta gueule, je vais t'éclater... » et le tabassage commence : « j'ai pris deux claques, je pensais que ça allait s'arrêter, mais il ne m'a pas laissé partir... » Il reçoit des coups de poings, de pieds, a une côte cassée... Il aura dix jours d'incapacité et témoignera le visage encore gonflé à Montbéliard. Le président : « comment l'expliquez-vous ? » Le garde-pêche : « je veux bien croire qu'il y avait une pression médiatique, qu'il avait pété les plombs... » Le président : « Quand avez-vous été libre de quitter les lieux ? » Malavaux : « Je ne devais plus bouger, il est parti, j'ai rejoins ma voiture, mon entourage n'a pas compris comment j'avais pu conduire jusqu'à la maison... »
Le président : « comment sont les relations habituelles ? » Le garde-pêche : « je conçois qu'on ne soit pas trop apprécié de certains, mais j'ai de bonnes relations avec des agriculteurs qui se plaignent des pratiques polluantes. Je n'ai pas de mauvaises relations avec les paysans... »
« Je reconnais les violences. Je regrette sincèrement mes faits et gestes... »
Le magistrat appelle Joris Mauvais à la barre : « qu'avez vous à dire après ça ? » L'agriculteur joue franco : « je reconnais les violences. Je regrette sincèrement mes faits et gestes. Ce n'est pas moi... » Le président : « et les documents qu'il vous a apportés ? » Joris Mauvais : « je les ai lus, je les connaissais... Je n'ai pas vu son écusson... »
Un enjeu de ce procès en appel est la reconnaissance ou non des circonstances aggravantes que sont les faits que les violences ont été portés « par représailles » sur un témoin ou sur personne en charge d'une mission de service public. D'où la question de l'assesseur Ardiet : « pourquoi les contestez vous alors qu'il vient vous remettre des papiers ? A quel titre cela peut-il être sinon de garde-pêche ? Surtout qu'il vous dit "je fais mon boulot". »
Me Sandrine Arnaud, l'avocate de l'agriculteur, intervient : « il n'a jamais dit qu'il était là comme garde-pêche... » Le juge : « ça veut dire quoi un garde-pêche disant "je fais mon boulot" ? » Joris Mauvais : « Je vais répondre... Quand l'a-t-il dit ? » Le juge : « peut-il y avoir un doute sur la qualité dans laquelle il vient ? Doit-il venir avec un huissier ? » Joris Mauvais : « c'était des papiers de 2016, j'en ai toutes les semaines des papiers... » Me Arnaud lui pose une question : « vous avez 140 têtes de bétail, votre GAEC a-t-il été verbalisé pour épandage ? » Joris Mauvais : « Jamais... On respecte... » Sourires et frémissements dans les bancs du public...
« Il n'y a aucune exception de force majeure : c'est interdit d'épandre sur la neige, même quand la cuve est pleine... »
Après trois quarts d'heure d'instruction à l'audience, les parties civiles plaident la confirmation du jugement de première instance. Me Chassard, avocate de M Houser, évoque la disproportion des âges et tailles entre son client, absent pour raison de santé, et Joris Mauvais.
Pour Patrice Malavaux, Me Landbeck évoque le contexte de la pollution, assure qu' « il n'y a aucune exception de force majeure : c'est interdit d'épandre sur la neige, même quand la cuve est pleine... ». Il ajoute qu'il n'est « pas possible de ne pas savoir que [son client] était au travail : il avait sa voiture de fonction, son uniforme et quand il l'a dit, Joris Mauvais a répondu qu'il ne travaille que quatre mois par an... »
L'avocate générale Agnès Cordier évoque d'emblée un « déchainement de violence » et des « épandages parfaitement irréguliers ». Elle trouve « audacieux de prétendre que le GAEC Pierre est responsable », estime « normales les verbalisations », considère que « le travail de Patrice Malavaux ne consiste pas qu'à verbaliser, mais aussi à faire de la prévention. Il a tenté de le faire, mal lui en a pris ». Elle requiert trois ans de prison dont la moitié avec sursis.
Pour la défense, Me Arnaud avance que Joris Mauvais « reconnait parfaitement les violences ». Evoquant les regrets de son client qui peuvent paraître artificiels, elle assure à la cour : « vous savez bien que les moins coupables sont ceux qui se défendent le plus mal... » Assumant les responsabilités civiles, elle tente de dégonfler les circonstances aggravantes au pénal : « il n'y a pas de violence sur témoin car il n'a pas porté plainte ».
400 signatures de soutien en faveur de Joris Mauvais
Elle plaide presque la provocation puisque ce sont MM Houser et Malavaux qui « sont venus voir » son client. Elle pointe les « lacunes de l'instruction » qui n'a pas entendu assez de témoins selon elle. Elle souligne que Joris Mauvais « connaît la qualité de garde-pêche » de Patrice Malavaux qui « est à l'origine des articles de presse ». Autrement dit, les lanceurs d'alerte n'ont pas à se plaindre s'ils prennent des coups... D'autant que « capter une conversation est illégal et révélateur de l'intention de M Malavaux ». D'ailleurs, « il se prend en photo avant d'aller à l'hôpital » et n'a « jamais dit [à Mauvais] de le lâcher ou de le laisser partir... »
Elle considère surtout que le garde-pêche n'était « pas dans l'exercice de ses fonctions » et qu'il était « loin des cours d'eau dont il a la garde » quand les faits se sont produits. Invoquant curieusement l'article R 211-50 du code de l'Environnement, elle assure que Patrice Malavaux a « outrepassé ses fonctions » et n'est « pas habilité à constater des infractions ». Elle assure enfin que le procès de son client n'est « pas celui de l'agriculture ni celui de l'épandage », assure que l'affaire est « exceptionnelle » et ne « se reproduira pas ». Elle est « d'accord avec une peine forte » mais souhaite qu'elle soit entièrement avec sursis. Elle laisse à la cour une liasse de 400 signatures de soutien en faveur de Joris Mauvais.
Parlant en dernier, il réitère ses excuses à MM Houser et Malavaux, exprime des « regrets sincères » dit qu'il n'est « pas violent », qu'il « rend service » et, ému, lâche : « j'accepte d'être là et n'en veux à personne d'être là... »
Le jugement est mis en délibéré au 5 juillet. Me Arnaud fait sortir Joris Mauvais par une autre porte que la principale.
Hors du tribunal Patrice Malavaux se dit soulagé. Il trouve que Joris Mauvais a changé depuis le procès de Montbéliard et espère qu'il est sincère. Il souhaite une prise de conscience plus large des dégâts des épandages sur la neige. Plusieurs gardes-pêche venus encourager leur collègue défendent l'interdiction totale des épandages de mi novembre à mi avril, et pas seulement sur la neige ou par temps de pluie. La raison en est simple : dès lors que la végétation est en sommeil, les nitrates des lisiers ne sont pas consommés par elle et vont directement dans les eaux souterraines à travers le karst...