Gaétano, gilet jaune et militant CGT : « la population est derrière nous »

« Si on y avait été plus tôt, on aurait pu construire quelque chose », dit cet ancien délégué syndical d'une usine bisontine qui a très vite participé à un groupe sur l'ouest de l'agglomération. Jeudi, une quinzaine de ses membres sont venus dans le centre-ville à la rencontre des passants.

Gaétano, gilet jaune et militant CGT : « la population est derrière nous »

Les « Gilets jaunes » ne sont pas forcément là où les attend, à bloquer des carrefours, ouvrir des péages autoroutiers ou manifester en voiture. Jeudi matin, un petit groupe a arpenté à pied le centre-ville de Besançon pour aller à la rencontre « des gens ». A peine avaient-ils posé le pied sur la place de la Révolution, que deux voitures de police venaient s'enquérir de leurs intentions.

Parmi ces manifestants sans banderole ni badge mais immédiatement reconnaissables, une jeune femme ayant manifesté en 2006 contre le CPE, des autoentrepreneurs, des salariés, un chômeur, la plupart de moins de 40 ans. Passant par là, je m'approche, me présente, suis interrogé sur éventuel soutien. Je réponds en évoquant le photographe de Radio-Bip, victime d'insultes racistes et envoyé à l'hôpital, la pommette fracturé par un coup de poing. Spontanément, tous condamnent cet acte qui représente un côté obscur du mouvement.

Au sein du groupe, Gaétano, jeune retraité, ancien délégué CGT d'une usine bisontine à la tradition ouvrière revendicative, Augé-Diehl, semble jouir de l'estime et du respect des ses jeunes camarades. Pour Factuel, c'est surtout l'occasion de l'interroger (ultérieurement) sur son approche d'un mouvement qui a très vite suscité la réserve des directions syndicales. D'abord parce qu'elles n'aiment pas être débordées, mais aussi en raison du caractère raciste, homophobe ou sexiste de certaines de ces composantes influencées voire infiltrées par l'extrême-droite.

Ecoutons-le.

« Je me suis engagé là-dedans parce que j'ai vu que c'était une solution. Du côté syndical, on a du mal à rassembler les gens. C'est une aubaine pour démarrer quelque chose de nouveau. Je me suis engagé dans quelque chose qui tient la route. Le problème, c'est que le gouvernement ne nous entend pas. Il n'y a personne pour discuter. Le risque, c'est que ça aille dans tous les sens... Je vois le gouvernement mettre par exemple en avant la Norvège, mais là-bas, il y a 70% de syndiqués ! Et on a tout vendu en France, comme en Italie... »

Comment sont les gilets jaunes vus de l'intérieur ?

« Quelques uns sont méchants, d'autres plus revendicatifs. Par site, ça s'est souvent divisé en deux clans : ceux qui veulent casser et ceux qui veulent construire. Des gens qui n'ont pas peur disent qu'il faut casser pour qu'on nous voie... C'est un nouveau mai 68. Si le gouvernement ne l'entend pas, il est cuit... Ça faisait un moment que j'attendais l'étincelle. Je disais à mes copains, mais quand les gens vont-ils se réveiller ? Là, ils le sont. »

« Le point de ralliement, c'est les salaires »

Il y a des expressions, des attitudes homophobes, racistes...

« Dans mon clan, on est contre ça... Jeudi matin, quand on a ouvert les portes de l'autoroute, à Valentin, on a demandé. Ils nous les ont ouvertes. Pareil à Chemaudin. On est des pacifistes. Il y a des gens qui arrivent et qu'on ne connaît pas. On est en train de gérer ces gens-là, de droite ou d'extrême-droite... On leur fait comprendre ce qu'on veut... Bon, il faut aussi voir comme on est soutenu. A Valentin, on est ravitaillé par les gens qui amènent des packs d'eau, de la nourriture. La population est derrière nous. Le point de ralliement, c'est les salaires. Moi, j'ai 1500 euros par mois, mais au gouvernement, c'est par jour qu'ils les ont... »

Comment votre groupe s'est constitué ?

« Par contacts. Je devais être à Chateaufarine le 17. Avec un pote, on est resté coincé vers la jardinerie Baudouin et ça a frité. On a fait la police [de la circulation] pour ceux qui voulaient forcer pour se rendre à la zone industrielle. On a vu des jeunes mecs au volant, certains défoncés, qui voulaient forcer, faisaient crisser les pneus... »

Comment gérer ?

« C'est impossible... Un jeune s'est fait sortir de sa voiture et casser la gueule. Il y a des abrutis... »

Il n'y a pas de culture syndicale ?

« Ils n'en ont pas. Les gens ne savent pas où ils vont. Dans le groupe où je suis, il n'y a pas de leader. Ils n'ont pas de position, ne savent pas où ils vont... »

« Ils n'ont pas l'idée de faire quoi que ce soit,
ils sont largués dans la fosse aux lions »

Cela passe-t-il par écrire des revendications ?

« Ce va se décanter. Il devrait y avoir des réunions... C'est moi qui ai donné l'idée d'aller en ville... L'accueil a été correct. Les gens n'attendaient que ça... Ils nous voient, s'arrêtent discuter, nous disent qu'il faut continuer. A la télé, ils disent que ça s'essouffle, c'est de bonne guerre... Notre démarche est de ne pas emmerder ceux qui vont bosser... On est bien 200 entre Valentin et Chateaufarine... »

Savent-ils que vous êtes militant CGT ?

« Oui. Ils n'aiment pas trop. Au début, je n'ai pas mis de gilet jaune pendant deux ou trois jours. Ils n'aiment pas être tutorés. Ils ne veulent pas que la démarche soit renommée par rapport à une position syndicale ou politique. Mais ils n'ont pas l'idée de faire quoi que ce soit, ils sont largués dans la fosse aux lions. Ils se sont sentis poussés par le nombre. Il y a aussi des référents qui se sentent pousser, ils ont un R sur leur maillot jaune... J'ai dit au groupe que dans quelque temps, les instances syndicales allaient se réveiller. Ils m'ont répondu : mais on ne veut pas ! J'ai alors dit : vous ne pourrez pas avoir gain de cause si on ne se positionne pas, il faut vous rencontrer, discuter, écrire ce que vous voulez... Il devait y avoir une réunion de référents hier soir... »

N'en est-on pas là parce que mobilisations des dernières années n'ont pas débouché ?

« Oui. Il y a un blocus national de la gouvernance française. C'est le gouvernement qui bloque tout. Il n'y a pas qu'en traversant la rue qu'on trouve du travail, encore faut-il que ton patron te garde ! Les élus, ils devraient essayer un CDD d'un an ou deux... Et maintenant, avec trois signatures syndicales, tu fais passer n'importe quoi... »

La CGT semble en train de revenir dans le jeu...

« Au début, elle a cru à un truc d'extrémistes. Elle voit maintenant qu'il aurait fallu y être dès le départ. Si on y avait été plus tôt, on aurait pu construire quelque chose... Maintenant, dans le mouvement, on entend dire qu'il faudrait au gouvernement des gens de la population qui tournent, faire des assemblées citoyennes... »

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