« Nous sommes tous salariés de l'Assurance maladie », plaisante François Bonnet. Ce n'est formellement pas exact, mais il y a du vrai dans cette boutade du directeur général de Jussieur-Secours qui ferait s'offusquer des médecins ou des dentistes libéraux conventionnés si on la leur appliquait. A tel point qu'on pourrait moquer leur « pudeur de gazelle », tant il est juste que c'est bel et bien la Sécu, donc les cotisations sociales de tout un chacun, qui les paie tous.
Le secteur des ambulances est régi par une convention tarifaire conclue en 2003 avec l'Assurance maladie. Elle définit son « modèle économique », dit François Bonnet. La convention collective des transports et un accord cadre salarial national signé en 2000 complètent un dispositif contractuel auquel il faut ajouter la création d'un Diplôme d'Etat d'ambulancier en 2006, sanctionnant la réorganisation de la chaîne de soins dans laquelle s'insère le métier.
« Depuis 2010-2011, on est dans le n'importe quoi »
« On a peu de latitude », constate le patron de Jussieu qui exerce depuis 43 ans dont 30 de responsabilités nationales au syndicat patronal CNSA. « Nous n'avons eu de cesse, depuis 2008-2009, d'interpeler l'Assurance maladie pour revenir sur le modèle économique. Et depuis 2010-2011, on est dans le n'importe quoi. Il y a 3,5 milliards pour le transport sanitaire, mais il n'y a pas de gouvernance de l'analyse. Certains dépendent de la Sécu, d'autres du tiers-payant, d'autres de conventions de prix... Des tarifs sont déterminés par le ministre des transports, comme les taxis, et suivent l'inflation, d'autres par la Sécu avec cette convention qui nous asphyxie. Et il n'y a aucune direction traitant le transport sanitaire à la Sécu... »
Surtout, selon les départements, des accords tarifaires dérogatoires peuvent être passés entre une caisse primaire d'assurance maladie et les ambulanciers. C'est par exemple le cas en Saône-et-Loire, seul exemple en Bourgogne-Franche-Comté. Pour la seule Franche-Comté, où l'on dénombre 60.000 urgences pré-hospitalières par an, l'enveloppe allouée par l'ARS est de 5 millions, mais « tout le monde sait qu'il manque 2 millions pour le secteur », assure François Bonnet.
Pourquoi ? Parce que, explique-t-il, ces 5 millions financent 480 périodes de garde (de 12 heures chacune) par an alors que l'année en compte 730 ! Résultat : « il en manque 250, soit quasiment les périodes de garde en journée la semaine ». Que sont ces périodes de garde ? « Des permanences où l'ambulancier est sur son site de travail, doté d'une chambre de garde où il peut dormir. Sur 12 heures, l'accord de 2000 dit qu'il est payé 75% du temps. Cela correspond à peu près à l'activité réelle dans mon entreprise et ces 75% sont légitimes. Ce qui ne l'est pas, c'est l'indemnité : 22 euros le dimanche, rien le samedi, 5% la nuit au-delà 270 heures sur l'année. C'est misérable, surtout en zone urbaine où le taux d'activité est nettement supérieur à certaines zones rurales. Dans certains secteurs, ils sortent une ou deux fois par nuit, chez nous, c'est quatre à cinq fois. Et tout le monde est payé pareil... »
« Le transport en urgence pré-hospitalière a été multipliée par trois depuis 2003 »
La Sécu verse un forfait de 346 euros par période de garde de douze heures, et 40% du tarif conventionnel par transport. Mais depuis que la convention tarifaire de 2003 a été signée, « l'activité transport en urgence pré-hospitalière a été multipliée par trois », souligne François Bonnet. Pourquoi ? « En raison du vieillissement et de la concentration des plateaux techniques. Plus on sort, plus on perd d'argent... »
Cette concentration des plateaux techniques, qui conduit à la fermeture de services hospitaliers, n'est-elle pas excessive ? Le patron de Jussieu n'est pas d'accord : « On ferme des services car il faut pratiquer des actes. Et la régulation régionale du Centre 15
François Bonnet réclame donc à la Sécu « la réorganisation des gardes et un refinancement. Il y a trois grandes enveloppes pour les transports sanitaires : 1) l'ambulance, avec un véhicule équipé et deux personnes, pour 94 euros par transport, 2) le VSL à 33 euros par patient, 3) le taxi conventionné à 50 euros... Il y a quelque chose qui ne va pas... Les 2 millions qui manquent, c'est à cause de ce tarif de 94 euros, il faudrait 41 euros de plus par transport... »
Paierait-il alors les salariés 100% de leur temps de travail ? « Pas loin... 65% des coûts de l'entreprise représentent la masse salariale... »
« Il n'y a plus qu'une gestion purement comptable... »
Des ambulanciers grévistes assurent qu'il les a incités à faire grève plutôt le week-end, mais il nuance : « Je n'ai pas dit ça, j'ai dit que l'ARS ne veut pas relever les tarifs, renvoie sur l'Assurance maladie qui renvoie sur la CNAM... Et quand on sort des gardes, on est réquisitionné... J'ai fait le point avec l'ARS qui me dit que ça ne se passe pas si mal, donc elle laisse filer. J'ai dit aux salariés qu'il valait mieux qu'ils concentrent leur grève sur les périodes de garde, car c'est ça qui fait le plus mal à la tutelle... »
Le patronat veut revoir l'accord tarifaire quand les salariés veulent renégocier l'accord-cadre. François Bonnet ne dément pas : « J'ai dit à l'ARS qu'il fallait un accord dérogatoire à l'accord tarifaire, il y en a au cas par cas dans plusieurs régions... »
Le président délégué de la CNSA a lui aussi perçu les signaux montrent que le mouvement peut s'étendre : « Je suis inquiet, ça commence à cliver dans l'entreprise où tous disent que ça doit changer, mais divergent sur la méthode... J'ai écrit en février au directeur de l'ARS qu'il ne respectait pas les ambulanciers... Toute l'Europe a réglé les problèmes des ambulanciers, sauf la France où on prend plus soin de la chaîne du froid que du transport des patients... On a des problèmes pour recruter. Avant, il y avait de l'enthousiasme, il n'existe plus. Il n'y a plus qu'une gestion purement comptable... »