Neuf soignants suspendus demandent leur réintégration en justice

Après que l'urgence à suspendre la suspension d'un agent de CCAS n'a pas été reconnue, le tribunal administratif de Besançon tenait audience jeudi 7 octobre pour examiner les recours de soignants du CHU et des hôpitaux de Pontarlier et Lons-le-Saunier qui, selon leur avocat, ne demandent qu'à travailler. Me Fabien Stucklé a notamment invoqué l'urgence sociale que représente la privation de salaire, et l'urgence à faire fonctionner les hôpitaux. Sur le même sujet, une QPC a été transmise à la cour de cassation par les Prud'hommes de Troyes : la procédure de vérification constitutionnelle de l'article 14-2 de la loi du 5 août dernier est lancée...

Me Fabien Stucklé au sortir de l'audience

Ils sont neuf à réclamer ce jeudi 7 octobre leur réintégration et le versement de leur salaire. Neuf soignants suspendus par les hôpitaux de Besançon, Pontarlier et Lons-le-Saunier parce qu'ils n'ont pas justifié de l'obligation vaccinale édictée par la loi du 5 août dernier. Ils ont saisi en référé, autrement dit en urgence, le tribunal administratif de Besançon et sont représentés par Me Fabien Stucklé que sa consoeur Anne-Sylvie Grimbert est venue soutenir. Ils font partie des rares avocats à porter des procédures de ce genre, tant devant le juge administratif qu'aux prud'hommes, et du coup ne chôment pas.

La procédure est écrite, mais Fabien Stucklé tient à plaider à l'oral devant le vice-président Laurent Boissy. Histoire de tenter de faire passer par le verbe la dimension émotionnelle de dossiers très particuliers. « Que dois-je vous dire ? Comment attaquer ce gros monstre qui dévore tous ces soignants depuis quelques semaines ? Comment faire naître ce doute sérieux ? Il est urgent de suspendre les suspensions, de faire preuve de pragmatisme plutôt que d'absurde. »

« Peut-on aujourd'hui en France respecter les choix ? Tous les juristes y ayant réfléchi ont pointé les incohérences, les attaques liberticides de cette loi inique et ses conséquences : l'angoisse… »

L'avocat déroule alors son argumentaire : « Le vaccin est un produit en phase expérimentale qui n'empêche pas d'être contaminé ni de contaminer. Il n'est pas obligatoire dans l'Education nationale... Les soignants, avec leur compétence et leur expérience, ne peuvent plus soigner les malades alors que l'épidémie n'a jamais été aussi basse... Ces soignants sont montés au front il n'y a pas si longtemps, ils se sont débrouillés avec les moyens du bord. Ils ont donné du temps, de la passion, ont été applaudis. Et là, on les pointe du doigt, on les discrimine... Ils sont sur un chemin de justice, épineux et angoissant. Ils ont fait des choix au regard de leur état de santé, des contre-indications comme le risque de thrombose. Ils ne sont pas antivax : ils sont tous vaccinés dans la salle et on leur fait un mauvais procès. En revanche, on réfléchit à l'état du droit, de la loi votée par une poignée de parlementaires au cœur de l'été. Peut-on aujourd'hui en France respecter les choix ? Tous les juristes y ayant réfléchi ont pointé les incohérences, les attaques liberticides de cette loi inique et ses conséquences : l'angoisse... Cette loi conduit à se priver des forces vives. On sent la volonté farouche de défendre des libertés si chèrement acquises... » Et de citer cet « infirmier anesthésiste de Lons-le-Saunier qui ne peut plus soigner, ces médecins de soins palliatifs dont le service est aujourd'hui fermé, un service ambulant qui se transportait dans les différents services : le Dr A vient d'être contacté par des familles en détresse... Cette aide-soignante de vingt ans d'ancienneté, cette manipulatrice radio, cette sage-femme, ces techniciens de laboratoire, tous ont la volonté de travailler... »

« L'absence de motivation dans les décisions de suspension »

Fabien Stucké sait la fragilité de sa position après une récente défaite devant le même tribunal où il défendait l'agent d'un CCAS intervenant auprès de personnes âgées. C'était certes avec un autre juge, mais avec un dossier qu'il dit avoir récupéré in-extremis. Alors, « est-ce perdu d'avance ? Non, nos demandes sont trop sérieuses et quand les gens me disent que je suis leur dernier espoir, je leur réponds que c'est le juge le dernier rempart... Il y a une absence de motivation dans les décisions de suspension ! L'urgence est caractérisée dans le contexte de l'augmentation des prix de l'énergie et j'ai du mal à concevoir qu'on dise aux gens qu'ils peuvent se passer de leur traitement : il y a une urgence sociale ! Il y a aussi urgence à permettre aux services de soins de fonctionner...»

Parmi les « très nombreux moyens » de droit repris dans ses conclusions écrites, il en cite un : l'article 30 de la loi de 1983 dit qu'il ne peut pas y avoir de suspension de fonctionnaire sans traitement : « elle percute la loi du 5 août 2021 ». Et d'ajouter : « il y a la loi du 5 août et la façon de l'appliquer : le secret médical n'existe plus, les DRH peuvent recueillir des informations de santé, demander aux gens de s'expliquer sur leur caractéristiques vaccinales... Et on vous suspend. J'aurais aimé de la bienveillance, mais qu'on ne me dise pas que les plaignants ont participé à leur préjudice ! Il y a aussi absence de décret d'application dont on n'a eu manifestement que faire : il n'est arrivé que le 22 septembre, postérieurement aux suspensions ! On n'entend plus parler de l'avis de la Haute autorité de santé... La loi du 5 août devait être la concrétisation du rapport du comité scientifique où il devait y avoir une procédure contradictoire, or cela n'a pas été le cas, et d'autres rapports du comité scientifique ont été établis sur des bases erronées... Pourquoi ? Par amateurisme ? Si oui, c'est grave. Si non, c'est volontaire et alors c'est du trafic d'influence, ce dont les conspirationnistes peuvent se saisir. Il y a d'ailleurs une plainte devant le tribunal de Paris...  » De ce qui précède, Me Stucklé conclut à un « doute sérieux sur la légalité de la loi du 5 août ».

Respect de la vie privée et du secret médical ou prééminence de la santé publique ?

Mais il n'a pas fini, souhaite évoquer le secret médical et le respect de la vie privée : « j'ai honte de plaider là dessus en si peu de temps... Comme si le respect de la vie privée ou le secret médical étaient moins importants que la santé publique. Le citoyen sous la robe d'avocat a peur... » Il dénonce la « discrimination à l'égard des non vaccinés » qui peut induire le fameux « doute sérieux quant à la constitutionnalité de la loi du 5 août », plus particulièrement son article 14-2 qui a conduit le Conseil des Prud'hommes de Troyes à transmettre à la cour de cassation la demande de QPC dont l'a saisie un salarié suspendu. Dans ce cas, « il y a urgence impérative à suspendre la suspension ». Me Stucklé se réjouit enfin de la récente décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a suspendu la suspension d'un salarié en arrêt maladie de longue durée !

Prenant la parole beaucoup plus brièvement, son contradicteur, Me Thibaud Bouchoudjian, avocat des hôpitaux de Lons-le-Saunier et Besançon, n'est pas dans l'opposition totale : « je partage certaines craintes de Me Stucklé ». Cependant, il rejette la « critique de la loi » et s'adresse au « juge de la décision administrative » qui « n'a pas été saisi d'une demande de QPC ». Et pour cause, il ne peut y en avoir qu'une, et elle a été faite à Troyes.

Il souligne que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat se sont prononcé pour la « conventionnalité » de la loi du 5 août, autrement dit sa compatibilité avec le droit européen. Et s'il admet qu'on puisse invoquer la non discrimination, il estime qu'elle se limite aux transports... Quant à l'urgence, il assure que « les établissements de santé n'y sont pas insensibles ». Mais il veut aussi considérer cette question « au regard de l'intérêt général sur lequel le Conseil constitutionnel s'est prononcé en estimant qu'il doit primer ».

La décision doit être rendue « au plus tard lundi » 11 octobre, date d'une nouvelle audience où d'autres soignants suspendus demandent leur réintégration.

Une procédure sur le fond est également engagée qui peut prendre 18 mois. L'audience au fond pourrait être avancée de plusieurs mois en cas de décision de référé suspendant les suspensions...

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