Forêts : la biodiversité plus importante que la productivité

Quatre marches parties de Perpignan, Strasbourg, Mulhouse et Valence, se dirigent vers la plus grande chênaie d'Europe, à Tronçais (Allier) où se tiendra un grand rassemblement le 25 octobre. L'une vient de traverser la Franche-Comté. Il s'agit d'alerter des menaces que fait peser l'industrialisation de l'exploitation forestière...

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Ils sont entre trente et cinquante par jour à converger vers la forêt de Tronçais où ceux qui iront au bout espèrent être un millier le 25 octobre pour un vaste « Rassemblement pour la forêt », quelques années après la création du collectif associatif et syndical SOS Forêts. Ils sont partis à pied à la mi-septembre de Strasbourg ou Perpignan, une semaine plus tard de Mulhouse et début octobre de Valence. L'itinéraire parti de Mulhouse a traversé la Franche-Comté en longeant la vallée du Doubs, est entré en Côte d'Or ce week-end, doit ensuite traverser la Saône-et-Loire avant d'arriver dans l'Allier où se niche ce qui est considéré comme la plus belle chênaie d'Europe.

La projection du film Le Temps des forêts, des animations, des conférences permettent à chaque étape des échanges entre ceux qui marchent, un jour ou davantage, et ceux qui sont visités. L'idée est de parler de la transformation en cours de la gestion forestière, de faire prendre conscience des risques qu'une gestion purement économique fait peser sur la biodiversité, quitte à saborder les outils de gestion publique des forêts.

Ancien forestier à Oyonnax, Guy a choisi de marcher sur l'itinéraire parti de Mulhouse. Randonneur buissonnier, il marche quand son agenda lui permet. Trois jours ici, quatre là : entre les deux un aller-retour en Bretagne pour marier sa fille. Des habitants proposent le gîte. Des liens se tissent.

La réserve intégrale le Laissey...

Laurent Brunner, forestier sur le premier plateau du Doubs, a pris la responsabilité d'organiser les trois étapes qui précèdent l'arrivée à Besançon, le 3 octobre. « Je m'occupe de la logistique, voir avec les collègues qui peut aider. J'ai aussi fait le parcours avant pour faire du repérage... » Le tracé est ainsi passé par la réserve biologique de Laissey qui va devenir intégrale à la fin de l'année. Là, sur 140 hectares, dans la vallée du Doubs à cet endroit très escarpée, il a prévu une petite halte pédagogique.

Il s'agit d'expliquer les chênes pubescents de l'adret et les œillets de Grenoble de l'ubac, les « endroits qui ne voient pas le jour et ceux qui reçoivent beaucoup de lumière », la station de vigne sauvage qui a résisté au phylloxera et bénéficie d'une protection nationale... Le site accueille aussi onze espèces de chauves-souris vivant dans des grottes qui furent des mines de fer... Que signifie le classement en réserve intégrale ? « Il s'agit de ne pas y récolter de bois, de ne pas y chasser sauf le grand gibier quand il met la pression sur les espèces protégées... »

Des oiseaux, des insectes, des mammifères, des champignons...

On est au cœur de l'une des questions que la Marche pour la forêt veut mettre en avant, la biodiversité. Une biodiversité mise à mal quand la forêt est considérée comme une « usine à bois » avant de l'être comme écosystème. Cette problématique aura été au centre de la conférence de l'écologue Alain-Claude Rameau qui a longtemps travaillé au CRPF. Auteur d'un livre coup de gueule, argumenté et passionnant, Nos Forêts en danger, il en fustige les définitions officielles utilitaristes, dont celle de la FAO.

Pour lui, dans une forêt, coexistent différentes hauteurs de végétation, des mousses et lichens aux grands arbres en passant par la « strate herbacée » et les arbustes. A chaque hauteur « correspondent des espèces animales et végétales spécifiques ». Des oiseaux aux insectes, des mammifères aux champignons... Et même quand il n'y a pas d'arbres, dans une lande ou une clairière, c'est encore la forêt... 

Devant une quarantaine de personnes, en soirée au FJT des Oiseaux, il développe ce qu'il a résumé dans l'après-midi à la Gare d'eau : une forêt doit aussi avoir des bois morts : « 20 à 30% de la biodiversité y est liée, il en faut environ 25 m³ par hectare... » Il suggère, avec Bernard Chevassus-au-Louis, une piste pour que les financiers envisagent la forêt autrement que comme un gisement de minerai : estimer le montant des services rendus par la forêt à société - autour de 950 euros par hectare et par an : « pour une fois, on a des chiffres à opposer aux économistes qui se fichent pas mal du lys martagon... »

La dénonciation des coupes rases

C'est pour tout cela qu'Alain-Claude Rameau dénonce les coupes rases « interdites en Suisse, limitées à un hectare en Allemagne ». Il défend l'idée de laisser « vieillir les forêts au lieu de diminuer sans cesse l'âge d'exploitation des arbres ». Il propose de laisser pousser le « sous-étage », de « privilégier la régénération naturelle » plutôt que de cultiver intensivement les arbres comme des poireaux, de mélanger les essences, de laisser deux à six arbres sénescents par hectare...

Et surtout de ne pas repousser la sensibilité : « la forêt peut m'émouvoir, ça m'étonne encore 50 après... »

Le lendemain, au départ de l'étape pour Thoraise,  on découvre des têtes nouvelles au côté des randonneurs de la veille qui ont choisi de poursuivre la route. Jean-Paul Grosbois, longtemps en charge de la forêt de Chailluz, ouvrira la marche. Il a repéré quelques stations pour faire des haltes et parlera notamment ripisylve le long du parcours... 

Philippe Berger, garde-forestier à l'ONF en Haute-Saône et secrétaire national du Snupfen-Solidaires, est de la partie. Son syndicat est en pointe dans l'organisation de la marche sur Tronçais, ne serait-ce parce que la bataille en cours pour un autre rapport aux forêts, passe par la défense d'outils publics tels que l'ONF dont la privatisation est redoutée. Il permet ainsi aux forestiers d'être assermentés pour dire, par exemple, quels arbres peuvent être « prélevés ». Une attribution qui pourrait bien être retirée... 

La veille, le débat brouillon et passionné qui avait suivi la conférence, a beaucoup tourné autour de la façon d'agir collectivement. Exactement le but recherché. Cela fait quelques années que les forestiers sont sortis du bois pour dire que la forêt n'est pas leur seule affaire mais celle de l'humanité...

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