Forêt : « ce qui se perd, c’est le temps long… »

Avant la journée de sensibilisation aux enjeux forestiers qu'il organise dimanche 10 septembre en forêt de Chailluz, le syndicat SNUPFEN-Solidaires a invité le scientifique suisse Ernst Zurcher pour un débat de haut vol. Entre le scandale mondial de la déforestation en Amazonie et la sylviculture naturaliste qu'il a contribué à faire adopter par le canton de Neuchâtel, il s'adresse aussi aux sens...

Causerie avec Ernst Zurcher sur l'histoire de la forêt à la Gare d'eau, à Besançon... (Photos Daniel Bordur)

La forêt n'est pas une usine à bois. Ce qui semble une évidence à tant de gens qui y travaillent, y courrent, y font des observations scientifiques ou s'y promènent, n'est pas partagé par ceux qui ne jurent que par l'adaptation de la forêt à l'industrie. Celle-ci est par exemple à l'origine de l'enrésinement de nombreuses forêts, des coupes d'arbres de plus en plus jeunes qui coïncident avec les scieries modernes incapables de couper des troncs de plus de 30 ou 50 centimètres.

Au nom d'une volonté politiquement affichée d'augmenter la production de bois, collant surtout avec les désirs des lobbies, on parle de « cultiver la forêt », avec le cortège de traitements, de pesticides, de négation des sols, de mono-plantations qui accompagnent cette tendance... Bref, comme l'écrit Alain-Claude Rameau dans Nos Forêts en danger, « le bois cache la forêt » !

« La culture s'évapore, quelque chose se perd... »

Ce changement de cap de la politique forestière est contesté depuis des années par de nombreux forestiers, plus particulièrement par le syndicat SNUPFEN-Solidaires, à l'initiative du collectif SOS Forêts qui tient ce dimanche 10 septembre 2017 sa seconde « journée festive et citoyenne » en forêt de Chailluz, à Besançon. Elle a été précédée mercredi 6 d'une lecture de paysage et d'une conférence d'Ernst Zurcher, ingénieur forestier suisse qui ne rechigne pas à écouter les émotions, à convoquer les sens, pour dire son amitié pour les arbres. Il a contribué à faire évoluer la législation forestière du canton de Neuchâtel vers une sylviculture naturaliste. Autrement dit, variant essences, tailles, âges des arbres, laissant aussi faire la nature, ce qu'illustrera un forestier dans la discussion : « les geais sont les meilleurs planteurs de glands... »

Tout à la fin de la conférence, un scieur prend la parole dans la salle où se pressaient une centaine d'auditeurs : « Je regrette de ne plus voir autant de forestiers en forêt qu'avant, la culture s'évapore, quelque chose se perd... ». Figure du syndicat, technicien ONF à la retraite et intellectuel autodidacte, Sylvestre Soulié opine avant de répondre : « Ce qui se perd, c'est le temps long... On vit un moment d'hystérisation du monde social et économique sur fond de catastrophe plus ou moins consentie. Alors certains se disent : faisons des bonnes affaires tout de suite ! On supprime les forestiers parce que ce sont des emmerdeurs qui gardent une pensée critique et pensent au temps. On ne supporte plus qu'un forestier ce soit ça... »

« S'étonner, comprendre, agir »

Le temps long est l'une des dimension de l'univers des arbres, ces « géants dont les plus vieux poussent lentement, comme si leur philosophie signifiait : si tu veux durer, vas-y lentement », avait commencé Ernst Zurcher en indiquant que des ifs ont 5000 ans... Il propose d'appréhender autrement la forêt, suggère une « démarche » constituée de la trilogie « s'étonner, comprendre, agir ».

Il parle des forêts équatoriales, de la forêt amazonienne, « cœur climatique de la Terre qui risque de se transformer en désert » si on y fait des coupes pour exploiter du soja ! Il souligne que c'est « à cause des forêts que nous avons des pluies », et non l'inverse comme on a pu le croire un temps. « 45% des précipitations retournent aux nuages par évaporation-transpiration, et qu'il existe « un cycle de six ou sept évaporations-transpirations entre l'Atlantique et les Andes, et en même temps les différences de pression atmosphérique génèrent des vents entraînant l'aspiration vers l'intérieur des terres... Au point qu'on soupçonne que le phénomène alimente le Gulf-Stream... La première urgence est donc d'arrêter la déforestation. »

« Quand on fait de la sylviculture, on fait de l'idéologie »

A écouter Ernst Zurcher, il y a d'autres bonnes raisons de prendre soin des forêts. L'une est que « la photosynthèse fait de l'eau nouvelle, dans des proportions dont on n'a pas idée », une autre est qu'un « couvert forestier permanent protège les sols qui sont ainsi toujours alimentés en eau, ce qui les protège du dessèchement », une troisième est leur capacité à stocker le carbone ». D'où la seconde urgence consistant à promouvoir une « sylviculture du futur » faisant notamment « cohabiter dans la même forêt plusieurs étages, plusieurs âges et plusieurs variétés d'arbres.

Dans la salle, l'écologue Gilles Sené trouve « le mot sylviculture ambigu » dans une perspective de restauration des forêts et lui préfère celui de « foresterie ». « Ne séparons pas les deux, répond Zurcher, il ne faudrait avoir des zones où on ferait n'importe quoi et d'autres intégralement protégées. L'homme a toujours interagi avec la nature. Il faut des modes gestion forestière augmentant la biodiversité ». Introduisant le conférencier, Sylvestre Soulié avait regretté « la perspective de court terme des orientations forestières de la région » avant d'affirmer : « quand on fait de la sylviculture, on fait de l'idéologie... »

Construire en bois plutôt que le brûler...

Le scientifique suisse estime qu'une troisième urgence consisterait à « reboiser à grande échelle », notamment en Afrique en travaillant, grâce à des financements internationaux, à la construction d'une « ceinture végétale de 7000 km de Dakar à Djibouti ». Dans la salle, quelqu'un objecte : « cette ceinture verte serait vite consommée par le bétail... » Ernst Zurcher répond : « il faut y aller progressivement, envisager les questions de gestion du bétail... Les choses ne changeront pas avec les vieux, mais avec les jeunes... »

Ancien adjoint à l'environnement écolo, Benoît Cypriani interpelle Ernst Zurcher sur les besoins d'énergies renouvelables, y intégrant le bois. L'ingénieur suisse estime qu'il est préférable d'employer le bois en construction plutôt que pour le chauffage car, vu globalement, cela représente un « meilleur potentiel d'économie d'énergie, y compris avec une enveloppe interne en bois dans les pièces... »

Cypriani n'est pas totalement convaincu : « d'accord pour bâtir en bois, mais on ne pourra pas tout reconstruire en quelques dizaines d'années, et on ne pourra pas se passer de bois-énergie ». Zurcher insiste : « on peut économiser 40% d'énergie, arrêtons par exemple d'éclairer les villes la nuit... Mais comme on ne couvre pas ces 40% avec le bois, construisons en bois, en terre crue, repensons la mobilité... Les lobbies sont intéressés à ce qu'on continue comme aujourd'hui... » « N'oublions pas la paille en construction », intervient une architecte, « en Ile-de-France, avec 5% de la production de paille, on peut isoler tous les bâtiments publics... »

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !