Fabrice Pône, le syndicalisme n’est pas un long fleuve tranquille

Le président CGT du conseil des prudhommes de Dole, 40 ans de militantisme ouvrier, avait été licencié en 2012 par C&K, l'entreprise où il était délégué syndical. Réintégré en 2017 après un arrêt favorable de la cour administrative d'appel de Nancy, il a de nouveau été exclu après que le Conseil d'Etat a demandé un nouvel examen du dossier. Une « remise en cause illicite du droit à réintégration » selon la Direccte...

f-pone

L'un est venu avec la caravane rouge de l'union locale. Deux autres ont posé sur la grille de l'entreprise une banderole « Halte à la répression syndicale ». Elle paraît neuve, mais c'est sans doute un signe de l'avoir fait confectionner en matériau semblant devoir durer. Comme si les militants CGT devaient la ressortir souvent... En cette après-midi ensoleillée du vendredi 28 septembre, ils sont une quarantaine sur le trottoir de la zone industrielle du Tumulus sillonnées par les semi-remorques, au bord de la rocade nord de Dole.

Ils ont bien choisi leur moment et ont planté leur matériel une petite heure avant que la direction et l'encadrement de l'entreprise C&K n'accueillent le maire et le sous-préfet, des responsables économiques et d'administrations, en avant-première de l'opération portes ouvertes au public à l'occasion des 90 ans de la société d'interrupteurs Jeanrenaud, l'ancêtre de l'usine actuelle. Un cadre supérieur est venu devant la grille, vérifier que tout se passe bien, que chacun reste sur son territoire...

« Une guerre sociale contre les salariés dans toute l'Europe... »

Jeanrenaud était la première entité de ce qui est aujourd'hui un groupe mondial de près de 60.000 salariés. Racheté en 1974 par ITT (le fameux groupe américain de téléphonie qui joua double jeu pendant la Deuxième guerre mondiale et fut lourdement impliqué dans le coup d'Etat militaire au Chili en 1973), l'entreprise doloise se retrouva au sein de C&K Components, créée en 1957 dans le Massachusetts (USA) et un temps sous contrôle d'ITT de 2000 à 2007.

L'animatrice de la lutte des aides-soignantes de l'Ehpad des Opalines de Foucherans, Anne-Sophe Pelletier, est parmi les syndicalistes rassemblés : « ils nous ont aidés lors de notre grève, alors on est là », dit-elle. Il y a Jacques Beauquier, du comité régional des métallos CGT, qui s'insurge contre « la recrudescence des attaques en force du patronat ». Ludovic Vanario, qui représente la fédération des métallos, dénonce « la guerre sociale contre les salariés dans toute l'Europe ». Richard Dhivers, le secrétaire de l'union départementale du Jura cite plusieurs cas de militants syndicaux « victimes de discrimination dans le département, de Tavaux à Naja dans le Haut-Jura, en passant par Artemis à Marnoz... »

Il y a aussi les camarades de travail de l'homme qui réunit ce petit monde dans cette protestation pacifique, Fabrice Pône, président du Conseil des Prudhommes de Dole et délégué syndical CGT chez C&K jusqu'à un licenciement pour faute en 2012. Réintégré cinq ans plus tard après un marathon judiciaire, il a subi une nouvelle expulsion de l'entreprise il y a quelques semaines.

« Des gens n'osent plus nous parler dans la boîte, mais ils nous parlent à l'extérieur... »

Fabrice Pône, « c'est un gars qui voudrait que les patrons fassent moins de saloperies », dit Michel, un retraité venu par solidarité. Orlando Gomes, l'actuel délégué syndical, a du mal à avaler les méthodes de son employeur : « je suis régleur, on me fait faire le ménage... Quand on est en délégation, ils nous culpabilisent... Des gens n'osent plus nous parler ou même marcher à notre côté dans la boîte, mais ils nous parlent à l'extérieur... »

Qu'est-il donc arrivé à Fabrice Pône ? Licencié pour faute en 2012, avec l'autorisation de l'inspection du travail puis du ministre qu'il avait saisi d'un recours gracieux, il avait obtenu cinq ans plus tard l'annulation de ces autorisations devant la cour administrative d'appel de Nancy qui avait censuré un premier jugement du tribunal administratif de Besançon le déboutant. Après quoi, il avait demandé, et obtenu, sa réintégration : un droit écrit en toutes lettres dans le code du travail. Mais l'entreprise y a mis un terme en juillet dernier après que le Conseil d'Etat a cassé l'arrêt de la cour administrative, lui demandant de rejuger le fond de l'affaire.

Ceci étant, C&K semble n'avoir pas respecté le droit, à tout le moins si l'on suit ce qu'a écrit la Direccte à Fabrice Pône après avoir sollicité l'avis de la Direction générale du travail au ministère : « votre réintégration aurait due être maintenue jusqu'à ce que la cour administrative d'appel rende un nouvel arrêt ». C'est pour réclamer ce maintien que la CGT a organisé cette petite manifestation contre ce que la Direccte nomme explicitement une « remise en cause illicite du droit à réintégration ».

Sollicité sur le sujet, le cadre qui accueille les visiteurs ne veut pas entrer dans les détails : « il a perdu cinq fois en justice, voyez avec la DRH... » Nous avons alors cherché à joindre Véronique Béard, directrice des ressources humaines de l'entreprise depuis 2009. En vain. Elle a été auparavant représentante du MEDEF à la CPAM et à la CARSAT, puis juriste en droit social pour l'UIMM de Franche-Comté où elle a croisé Fabrice Pône à l'occasion de la renégociation de la convention collective départementale de la métallurgie réclamée par le patronat.

Nous avons ensuite longuement rencontré le proscrit, un homme de 57 ans qui, le week-end, fait le DJ dans les soirées familiales ou associatives de la région. « Pour le fun, pour décompresser... »

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !