Et si la motion de censure passait…

Négation de la délibération autant qu'aveu de faiblesse politique, le recours à l'article 49-3 de la constitution de la Cinquième république est exactement ce que de nombreux démocrates ne veulent plus.

Le recours à l'article 49-3 de la constitution de la Cinquième république est exactement ce que de nombreux démocrates ne veulent plus. Le 49-3 dit qu'un texte de loi est adopté sans vote si aucune motion de censure n'est déposée dans les 24 heures et votée 48 heures plus tard. C'est l'outil qui permet à l'exécutif de tordre le bras au législatif. L'instrument qui transforme les parlementaires de la majorité en godillots... ou en frondeurs. L'objet juridique qui contredit la séparation des pouvoirs et donc leur équilibre.

Bref, le 49-3 est l'antithèse du parlementarisme. La négation de la délibération. L'expression de l'autoritarisme. L'aveu d'une faiblesse politique. C'est, disait François Hollande en 2006, « une brutalité, un déni de démocratie, une manière de freiner et d'empêcher le débat parlementaire ».

20 février 2015._ Comme tout le monde s'y attendait, la motion de censure a été repoussée. Reste que les circonstances et l'analyse qui ont conduit à l'écriture de ce commentaire distancié n'ont pas changé.
Le recours au 49-3 serait, dit un ténor de l'opposition, vite oublié. C'est possible. Ce qui le sera sans doute moins, c'est la béance du fossé qui ne traverse pas que la gauche, mais sépare ceux qui aspirent à être ou rejoindre l'élite - politique ou plutôt économique et financière -, et les citoyens.

Dans Le Coup d'Etat permanent, François Mitterrand avait souligné en 1964 qu' « en remplaçant la représentation nationale par l'infaillibilité du chef, le général de Gaulle concentre sur lui l'intérêt, la curiosité, les passions de la nation et dépolitise le reste ». Puis il a lui même concentré sur lui l'intérêt, la curiosité et les passions... Laissé les bons sentiments et les calculs remplacer la politique, mis en orbite Bernard Tapie et Sylvio Berlusconi.

Si la constitution a maintes fois été modifiée depuis 1958, le 49-3 est resté, symbole du verrouillage institutionnel. Le spectacle des luttes de pouvoir, des gestes et des postures, a pris le pas sur les débats et les arguments. Invoquer « l'esprit du 11 janvier » - qui montrait que les républicains tiennent à leurs valeurs - pour faire passer en force un texte qui, selon ses critiques, renonce à certaines de ces valeurs, c'est faire prendre des vessies pour des lanternes. C'est mettre sur le même plan des fondamentaux qui ne se discutent pas et des dispositions qui justement se discutent entre gens partageant ces fondamentaux.

Si la soixantaine de députés socialistes opposés à la loi Macron avaient de la suite dans les idées, qu'ils aient eu l'intention de voter contre ou de s'abstenir, ils voteraient comme les communistes la motion de censure de la droite et du centre. On a dit qu'ils s'exposeraient à une dissolution. C'est une possibilité, ce n'est pas la seule. L'autre étant le changement de Premier ministre : nous en avons parlé ici même il y a quatre mois. L'article 50 de la constitution a d'ailleurs prévu la démission du gouvernement en cas de succès d'une motion de censure.

On a aussi dit que le PS volerait en éclat si le gouvernement tombait. Serait-il en pire état qu'aujourd'hui ? Ne risque-t-il pas d'ores et déjà l'éclatement avec la poursuite de sa politique libérale ? Ne risque-t-il pas de continuer à creuser le fossé avec une bonne part de son électorat populaire comme on l'a vu lors de la législative d'Audincourt ? Referait-il son unité sur un autre programme et avec qui ?  

Quant à la dissolution, l'article 12 dit que le Président peut la prononcer après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées. Mais pour ce faire, il faudrait qu'il y ait un Premier ministre... Choisirait-il à nouveau un Manuel Valls censuré pour évacuer les affaires courantes et préparer les législatives anticipées ? Un tel acte signerait-il la fin du PS d'Epinay ? Le retour de la stratégie dite de troisième force scellant l'alliance au centre et à droite ? La gauche de la gauche aurait-elle le temps d'entreprendre une recomposition à la Syriza avec les frondeurs ? L'UMP saurait-elle digérer le résistible retour sarkozyste pour empêcher l'extrême droite de prendre sa place ?

Nul doute que les têtes de l'exécutif ont mis tout cela en équation. Et préparé le spectacle où ils incarneront le bien face au mal, où le 49-3 pourra toujours servir à nouveau. On ne sait jamais, avec ces parlementaires qui prennent au sérieux les engagements sur lesquels ils ont été élus ! 

 

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