Enfin seule

Suite de la publication des nouvelles reçues pour notre concours "Confiné et après" qui ont obtenues le plus grands nombre de votes du jury.

J’ouvre à peine un œil. Je ne veux même pas savoir quelle heure il est. Il semble qu’il fasse beau, le soleil filtre à travers le volet de la chambre. Je suis bien dans mon lit, recroquevillée sous la couette, je garde ma chaleur comme un trésor inestimable, j’emmagasine ce bien-être repliée sur moi-même avec un restant de rêve encore accroché à la nuit. Je ne bouge pas, je fais bloc, j’apprécie ce moment matinal plein de promesses car je sais que ces promesses vont concerner mon emploi du temps du jour. Je me poserai alors hypocritement la question :

– Que vas-tu faire en attendant le retour de Jean-Jacques ?

La réponse sera simple : je ne ferai rien ! Absolument rien ! J’ai beaucoup trop travaillé dans ma vie pour continuer dans cette voie en temps de confinement. Ce mot nouveau et merveilleux résonne en moi comme un bienfait des Dieux, comme une suprême aubaine, comme une exception à ne pas laisser passer, comme une entorse salutaire à la pénibilité des jours. J’ai la paresse comme unique horizon et cela me suffit. Je vais rester au lit sans avoir à me justifier. Lorsque Jean-Jacques sera rentré je consentirai sans doute à me lever, enfin je l’espère.

Jacques est sympa, mais son gros défaut c’est de parler en permanence de politique et de tout expliquer par l’attitude lamentable des syndicats face au gouvernement. Il passe avec une aisance déconcertante de la CGT à la SFIO avant d’enchaîner avec FO et la CFDT. Aucune centrale syndicale ne trouve grâce à ses yeux. Il tente bien de m’en convaincre, mais je lui fais comprendre assez vite que je m’en fous totalement. Ce à quoi il réplique que je suis une mauvaise citoyenne, ce dont je me fous également. Quand il ne parle pas de politique, Monsieur se repaît de séries américaines bien débiles comme » Mission impossible » , Shades of blue”, ou « the Resident ». C’est dire à quel niveau intellectuel il se situe. Moi, mes préférences vont plutôt à «  La grande librairie », « Aux pouvoirs du corps humain » ou aux « Secrets d’histoire ». Sur ce plan c’est assez difficile de trouver un terrain d’entente.

Il y a tout de même un point sur lequel il me laisse carte blanche : ce sont les courses. Je prends toujours deux paniers que je suis invitée à remplir de choses qu’il apprécie et que je suis invitée à cuisiner dans les règles de l’art. Jean-Jacques aime bien manger et ne se voit pas grossir. Mais moi, si ! Après le repas monsieur aime bien faire la sieste à laquelle je suis invitée à participer en me montrant si possible très coopérative. Ce n’est pas tous les jours que je suis disposée à la satisfaire. Alors il fait la tronche.

Voici avec qui je suis confinée 24heures sur 24. Les premiers jours ça allait encore. Au bout d’une semaine il y a eu quelques frictions. Pour changer d’atmosphère il a sagement décidé d’aller voir sa mère. J’ai apprécié cette initiative. La maison est redevenue calme et je profite pleinement de cette petite période de tranquillité.

 Le téléphone sonne. Il est 7 heures du matin. C’est Jean – Jacques. Je demande d’une voix mal assurée ce qu’il y a.

– J’ai pris la voiture pour rentrer, commence-t-il. Mais je suis tombé sur un contrôle de flics. Ils n’ont pas voulu me laisser passer en raison du confinement et ils m’ont fait faire demi-tour. Je suis donc en quarantaine chez ma mère pour je ne sais combien de temps et je ne sais pas quand je pourrai être à nouveau à la maison. Tu te rends compte ?

Bien qu’encore endormie, je me rends parfaitement compte de la situation. Je vais passer, par la force des choses, de la vie de couple à la vie de célibataire. Il y a quelques années j’avais fait l’inverse en me mettant en ménage avec Jean-Jacques. Et, réflexion faite, je ne suis pas contre ce petit retour vers le passé.

– Oh, mon pauvre chéri, fais-je. Ce n’est vraiment pas de chance. Nous allons être séparés chacun de notre côté, c’est vraiment pas de bol, c’est triste, surtout qu’on ne sait pas combien de temps tout ça va durer !

– Ben oui ! Je m’en veux vraiment d’être venu voir ma mère. Si j’avais su je serais resté avec toi, avoue-t-il tout ému.

– Tu as raison mon chéri. Mais il faut voir aussi le bon côté des choses. Comme ça tu pourras t’occuper d’elle. Elle va être contente d’avoir sa fiston rien que pour elle, elle ne te voit pas si souvent.

Jean-Jacques m’a donné raison, a dit que j’étais un amour, ce dont je n’ai jamais douté et nous nous sommes promis de nous appeler souvent.

J’ai raccroché. 

– Alors là, bravo Martine ! me suis-je dit. Chapeau bas ! Tu as fait fort. Quelle tristesse dans la voix, quelle émotion ! Quelle comédienne ! Tu es vraiment la reine des faux-culs. Tu n’as même pas eu le courage de lui dire que cette petite séparation allait te faire des vacances. Tu devrais avoir honte de ton hypocrisie !

C’est vrai, quand je me parle à moi-même je suis tout à fait intraitable et je n’hésite jamais, si besoin est, à me faire quelques reproches bien sentis. Je ne me laisse rien passer. C’est dur, mais je m’y fais !

Je regarde la pendule. Il est maintenant 7 h 30. En temps normal Jean-Jacques est déjà debout et m’invite à l’imiter.

– Tu fais le lit, ma chérie, me dit-il, mais tu le fais bien, tu fais un beau lit bien au carré, comme à la Légion, précise-t-il.

J’ai beau lui répéter que je n’ai jamais été légionnaire, il persiste. Alors je m’exécute. Avec ses draps bien tirés et ses couvertures sans aucun pli, notre couche conjugale se transforme en un espace neutre, sans vie, inutile et ridicule, vide de sens, figé dans la stupidité, incapable d’évoquer les folles nuits d’amour qu’elle connaît depuis le retour du printemps. Un lit au carré est à mon sens un outrage à la vie nocturne, une insulte aux bonnes mœurs. Mais ça, Monsieur ne veut pas en démordre.

Ce matin, il va y avoir un petit changement au programme. Je vais accorder à mes draps froissés le plaisir de garder ma chaleur et à mon matelas le droit de conserver l’empreinte de mon corps. Il est temps de reprendre de vieilles habitudes.

Ayant dit cela je replonge dans le sommeil.

À 9 h 30 j’émerge. C’est l’heure du petit déjeuner que nous ne prenons jamais au lit. Jean-Jacques n’aime pas déjeuner au lit.

– Ça met des miettes partout, fait-il remarquer.

 Ce matin il y aura peut – être des miettes partout, mais ce sera leur problème pas le mien. Si ça me gratte, je me gratterai, un point c’est tout. Il faut s’adapter et rester pragmatique.

10 h. À cette heure, en temps normal, je suis déjà toilettée, peignée et parfaitement maquillée. Compte tenu des circonstances je vais donc renoncer au maquillage et me faire une superbe queue de cheval, ce qui ne plairait pas, j’en suis sûre, à Jean-Jacques qui est très chignon. Sur ce point il faudra à l’occasion que je demande son avis à mon voisin qui est un monsieur fort sympathique et toujours de bon conseil.

Pour ce qui est de mon habillement, Jean-Jacques me veut également, dès le saut du lit, correctement vêtue.

– Tu comprends, si quelqu’un vient te voir, c’est mieux qu’on ne te trouve pas en pyjama, affirme-t-il avec un beau sourire.

Comme c’est le confinement et que personne ne risque de se pointer, j’ai pris la décision de rester toute la journée dans mon beau pyjama bleu et blanc à rayures, que je porte été comme hiver, ou à défaut, dans le vieux survêtement crasseux à trois bandes signé Adidas qu’il déteste.

Midi. D’ordinaire c’est moi qui cuisine. Mais Jean-Jacques veille à ce que nous mangions régulièrement beaucoup de légumes.

– Les légumes c’est bon pour garder la ligne et éviter le cholestérol, dit-il pour se justifier.

 Sous son autorité je fais donc régulièrement le plein de courgettes, de carottes, d’endives, d’épinards, de poivrons, d’haricots verts et de salades en tous genres. C’est pourquoi je vais mettre au plus vite un frein à cette débauche outrancière de verdure. Ce sera un régime toutefois bien équilibré, fait chaque jour de pâtes, de nouilles, de macaronis, de spaghettis, de coquillettes et de raviolis. C’est facile à faire et j’adore. Et peu importe si je grossis un peu ! Pour les fruits je me contenterai de bananes. Ça se conserve bien et c’est facile à éplucher. En ce qui concerne la boisson, je vais là encore faire une légère entorse au programme. Avec Jean-Jacques, en semaine, nous ne buvons que de l’eau, le vin étant réservé aux dimanches et aux jours de fête. Mais grâce à ce confinement et à ce célibat inattendu je sens que ça va être tous les jours la fête et que je vais à loisir pouvoir taper sans retenue dans sa petite réserve de Brouilly, de Riesling, de Juliénas et de Graves. Ce serait dommage de les laisser dormir plus longtemps.

Étant seule désormais, j’ai toute liberté pour organiser mon travail de la journée comme je le souhaite. Je ne suis plus tenue d’accompagner Monsieur en ville chaque fois qu’il va voir une exposition. Je vais gagner un temps fou et je sens que mon bouquin va en être boosté. Je vais rattraper mon retard. C’est mon éditeur qui va être content. En plus de cela je ne vais plus entend parler de politique et pourrai regarder enfin mes émissions favorites.

Mais il ne faut tout de même pas précipiter les choses. Il fait beau, il fait bon, je me suis installé une chaise longue sur la terrasse au soleil. Les doigts de pieds en éventail je regarde sereinement la vie qui m’attend. Après le repas je me suis payée, pour mieux réfléchir à la gravité de la situation, une petite eau de prune tout à fait apte à stimuler mon imagination de jeune romancière. En un mot je suis entrée de plain-pied et avec délice en période de liberté retrouvée.   La vie est belle !!!

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Aujourd’hui 36e jour de confinement. J’allume la radio pour savoir comme d’habitude où on en est de la pandémie et j’entends une speakerine imbécile annoncer de sa petite voix joyeuse :

– Compte tenu de la situation sanitaire le gouvernement a décidé de mettre fin dès aujourd’hui au confinement…

J’en reste bouche bée et ne trouve qu’un mot à dire :

– Oh non !!! Pas déjà !!!

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