La véloroute, les associations ne sont pas contre. Mais à condition de limiter autant que possible les atteintes à la biodiversité et les destructions environnementales. Or, le trajet choisi par le Département n’évite aucun de ces écueils, y compris en zone Natura 2000 « Vallée de la Saône ». En faisant le choix de longer la Saône pendant 19 km (sur une section de 42 km), donc d’artificialiser des chemins de halages ou de prairies, il conduira à la destruction de zones hébergeant de nombreuses espèces animales : oiseaux, batraciens, chauves-souris, papillons, etc.
Dans son avis rendu le 11 mai dernier, défavorable au projet, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) estime que le Département ne respecte pas suffisamment la séquence ERC (pour éviter, réduire, compenser). Il recommande d’adopter plus souvent la démarche d’évitement, notamment pour des sites de reproduction du Courlis cendré, de la Pie-Grièche écorcheur ou encore du Râle des genêts, trois espèces d’oiseaux protégées. Le CNPN dénonce aussi des mesures compensatoires concernant « des espaces déjà protégés » ainsi que la « mise en îlot de vieillissement de bois de 3,5 ha sur un secteur très en pente, où la gestion/exploitation est impossible. Les autres mesures sont dérisoires et insuffisantes en considération des enjeux biologiques ».
Des conceptions de la nature bien différentes
Avant d’opter pour ce tracé, le Département avait étudié 36 variantes. Pour justifier son choix final, il explique dans un communiqué en date du 21 juillet qu’« actuellement, entre Corre et Port-sur-Saône, [l] es usagers empruntent les routes ouvertes à la circulation, avec des risques de sécurité routière avérés par rapport à des infrastructures en site propre ». De leur côté, les ONG de protection de l’environnement ont également travaillé et publié fin juin un avis et des propositions « pour un tracé écologiquement responsable qui préserve la vallée de la Saône ». Elles proposent d’adopter une dizaine de variantes issues du document de travail du Conseil départemental, afin de donner « aux 25.000 cyclistes prévus en 2028 le loisir et le bonheur de profiter de ce cadre sans pour autant être responsables d’avoir détérioré un milieu si riche ». Selon eux, l’argument sécuritaire n’est pas fondé, car il suffirait de faire « des aménagements pour les cyclistes sur les routes existantes pour y remédier », indique Marc Goux, membre du collectif SOS Loue et rivières comtoises.
Malgré un communiqué de presse intitulé « Aménagement de la Voie bleue en Haute-Saône : une démarche de concertation et de respect de la biodiversité exemplaire menée par le Département », aucune des quatre associations de FNE 70 n’a été consultée en amont, ni même Haute-Saône Nature Environnement, qui a pourtant l’habitude de travailler avec le Département. La collectivité ne répond pas non plus aux sollicitations des journalistes. Résultat, la proposition du Département est intégralement remise en cause par les ONG. « Yves Krattinger [le président du Conseil départemental de Haute-Saône] a une certaine conception de la nature, dans laquelle c’est à elle de s’adapter. On n’est pas sur la même longueur d’onde », résume Annette Lapalus, de FNE Haute-Saône. Les ONG rappellent l’importance de protéger la biodiversité et les zones humides à l’heure de la 6ème extinction de masse. « Certaines espèces ont besoin d’un espace de quiétude de 500 m autour de leur nid pour se reproduire, qu’elles ne pourront plus avoir avec les nombreux passages de vélos, de piétons parfois accompagnés de chiens, de véhicules à moteur lorsque les voies aménagées ne disposent pas de barrière, etc. », souligne Marc Goux.
Elles redoutent également les HAP, les hydrocarbures aromatiques polycycliques contenus dans les goudrons, qui risquent de polluer la Saône, et la consolidation des berges qui empêchera la rivière de divaguer et donc de se régénérer, et coûtera cher en entretien. Leur proposition privilégie donc un éloignement des berges, et lorsque c’est inévitable, un revêtement en concassé plutôt que du macadam. « De plus, on regrette que le tracé proposé par le Département ne traverse que peu de villages, alors que cela permettrait aux touristes de découvrir la région et faire leurs achats dans les commerces locaux », signale Marc Goux. Les ONG soulignent également que les précédents tronçons réalisés dans le département ont provoqué de gros dégâts environnementaux, comme la destruction d’une centaine d’arbres séculaires en amont de Corre, et n’ont pas été fermés à la circulation de véhicules à moteur comme le nécessite pourtant la réglementation en matière de véloroutes.
Si à la suite de l’enquête publique, qui devrait se dérouler prochainement., le préfet autorise ce projet, les associations se disent prêtes à saisir le tribunal administratif. D’ici là, elles préparent un nouveau communiqué de presse pour répondre à celui du Département, qui les accusait de proposer un « tracé purement dogmatique » et s’interrogeait « sur les motivations réelles de ces associations vis-à-vis du développement de notre département ! »