Ehpad de Montain : l’exigence de respect des salariées

Le débrayage d'une heure a été l'occasion d'une confrontation des logiques entre le personnel de la maison de retraite et un cadre de la Croix rouge venu de Paris pour défendre « le retour à l'équilibre pour pérenniser la structure ». Les grévistes ont dit que ce n'est pas « le marche ou crève qui emmène une équipe ».

Moment intense d'émotion quand une gréviste de l'Ehpad Clair Jura de la Croix rouge à Montain s'empare du micro : « la crise ne légitime pas le non-respect pour les personnes ». Photos DB

Sur le parking de l'Ehpad Clair-Jura de Montain, une vingtaine de salariées en grève, des familles de résidents, des habitants des alentours venus en soutien... La directrice dont le départ est réclamé par les employées s'engouffre dans le bâtiment en laissant le délégué national adjoint aux personnes âgées de la Croix rouge, Nicolas Garnier, seul avec un huissier de justice : ils resteront dehors durant l'heure du débrayage.

L'affirmation de la directrice indiquant au Progrès que la famille du vieux monsieur confiné dans sa chambre pour les repas durant cinq semaines était d'accord, a choqué. Il avait pris la mesure comme une punition et sa fille est là pour dire sa vérité à Nicolas Garnier : « mon père a des travers de route, c'est désagréable pour les autres, j'en conviens. J'avais demandé à la directrice s'il pouvait simplement être mis à une table à part. Malgré l'avis du gérontologue et de deux médecins, elle n'a pas voulu... »

« Nous arrivons au travail avec une boule au ventre... »

Tout juste syndiqués depuis quelques semaines, les salariées se taisent. Par « peur des attaques personnelles », dit Lakdar Benharira, secrétaire général du syndicat CGT de l'action sociale du Jura qui se fait leur porte-parole : « vous attendez un signe, vous interpellez depuis deux ans sur votre souffrance ». Il s'adresse au représentant de l'institution : « s'il doit y avoir restructuration, on veut bien l'entendre, mais on veut du respect ». Puis il lit le texte écrit par le personnel : « au quotidien, nous arrivons au travail avec une boule au ventre... »

Invité par Lakdar Benharira à parler aux grévistes, Nicolas Garnier les invite à « discuter des faits » avec la directrice...

 

Le syndicaliste invite Nicolas Garnier à s'exprimer : « je vous invite à nous solliciter, avec Mme Bretagnela directrice, pour discuter des faits, je suis ouvert ». Il énumère les actions entreprises pour prévenir les risques psycho-sociaux, les rendez-vous à venir avec l'inspection du travail et le cabinet FACTFranche-Comté Amélioration des Conditions de travail, antenne régionale de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail... Lakdar Benharira le coupe : « Vous vous obstinez à imposer quelqu'un dont ils ne veulent pas... J'ai parlé avec l'inspectrice du travail qui vous a conseillé FACT il y a bien longtemps. Si vous voulez dialoguer avec les salariés, d'accord mais pas avec Mme Bretagne ». En écho, les grévistes appuient son propos. Le rejet est patent. A nos confrères de France 3, elle dira : « Je ne comprends pas... Ma volonté que chaque professionnel intègre [une] exigence de rigueur se heurte à une incompréhension des personnels ».

« Une logique de retour à l'équilibre »

Christian Mouhat, le médecin coordinateur, prend à son tour le micro : « est-il normal qu'un résident de la Croix rouge puisse rester seul dans sa chambre cinq semaines contre l'avis de deux médecins ? » Nicolas Garnier avoue ne pas connaitre précisément la situation précise et renvoie aux « bonnes pratiques et à la qualité des soins dont la Croix rouge est garante ». Puis il parle gestion : « nous sommes dans une logique de retour à l'équilibre pour pérenniser la structure. On ne recherche pas le profit. L'ARS nous recommandait de réagir vivement... »

 

Une salariée lâche : « ce n'est pas notre bataille ». Nicolas Garnier poursuit : « le contexte de la réorganisation des plannings était nécessaire... » Un employé insiste : « ce n'est pas le sujet ». Lakdar Benharira intervient : « vous n'entendez pas ». Roger Rey, maire de Conliège et fils d'une résidente, prend alors le micro : « est-ce normal de mettre un directeur financier à la tête d'un Ehpad ? Ce dimanche après-midi, il n'y avait qu'une employée dans le service et une personne de 99 ans poussait le fauteuil d'une de 95 ans pour l'emmener aux toilettes... Manager, c'est un métier ! » Des applaudissements ponctuent ses propos.

La parole se libère

A cet instant, Fatima Zerouki avance d'un pas. Elle est aide soignante et s'empare du micro en s'adressant au délégué de la Croix rouge qui prend des notes : « la crise ne légitime pas le non-respect pour les personnes. Le relationnel est indispensable. Marche ou crève, ce n'est pas comme ça qu'on emmène une équipe... je sors d'un arrêt de travail, je mets enfin la tête hors de l'eau, mais on met en cause nos arrêts maladie... »

L'épouse de Roger Rey prend à son tour le micro : « l'autre jour, ma belle-mère pleurait dans le noir à 16 h devant son plateau repas... Je n'accuse pas le personnel... Son dentier a été cassé plusieurs fois, il y en a eu pour 1600 euros alors qu'elle a 1000 euros de retraite... On m'a répondu que c'était de sa faute alors qu'elle a un GIRtaux d'incapacité maximum ». Quelqu'un l'interroge : « c'est qui on ? » Réponse : « madame la directrice ».

Des familles de résidents et des voisins venus en soutien des salariées.

 

Très émue, Véronique Bédiot, la déléguée du personnel, prend aussi le micro : « Toutes ces choses qu'on nous met sur le dos ont un impact sur les résidents... Quand je mets des bas et que je me rends compte que je n'ai pas parlé à la personne, je ne veux plus ça... » La parole est enfin libérée. Tant de douleurs accumulées sortent enfin au grand jour, devant les collègues et les parents, les voisins, la presse...

« J'ai cru que le premier arbre était pour moi... »

Isabelle, infirmière depuis 18 ans, a vu passer quatre directeurs. Elle dit gravement : « on en a vu des restructurations et on s'y est plié, mais on connaît notre travail et notre seul objectif est le bien être des résidents... Depuis l'affaire [du monsieur confiné dans sa chambre], la directrice ne me dit plus bonjour, ne me parle plus... Quand le cadre infirmier est parti, on s'y est substitué à quatre, en ayant des ordres et des contre-ordres de la directrice qui ne faisait jamais les mêmes réponses à l'une ou à l'autre. Un soir, en juin, j'étais seule pour un incident qui a nécessité un appel au 15 et s'est bien terminé, mais j'étais paniquée, pétrifiée. Je me suis vue accusée devant un tribunal... Quand je suis rentrée, j'ai cru que le premier arbre était pour moi... »

Il y a aussi Bénédicte, une des huit salariés qui a quitté l'Ehpad depuis deux ans : « je suis partie car je ne supportais plus, j'ai trouvé une opportunité... On me rappelait chez moi pour me dire de venir plus tôt pour faire les couchers... La directrice me disait donnant-donnant, mais quand elle m'a refusé un échange de service pour une démarche, ç'a été le déclic ».

Nicolas Garnier semble avoir entendu. Il nous le dit : « j'entends le mal-être des salariés... » Nous parle du plan de prévention des risques psycho-sociaux. Nous lui disons qu'il n'a manifestement pas fonctionné. Il dit : « C'est un peu long ». Que répond-il aux « direction-démission » scandés par les salariés un instant plus tôt ? « On ne peut pas envisager de se séparer de notre directrice sur une revendication des salariés... » 

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