Edwy Plenel : « on a tous rendez-vous avec notre époque »

Le fondateur de Médiapart vient parler de la république à l'invitation de Barbara Romagnan, jeudi 1er juin à Besançon. Anti-présidentialiste, il craint l'hégémonie d'une assemblée godillot, salue la « fidélité » de la candidate à ses engagements, et se veut « lanceur d'alerte » face à une gauche éclatée.

Edwy Plenel « quelle raison y a-t-il de mettre des candidats de la France insoumise face à Barbara Romagnan, Caroline de Haas ou des candidats issus de la majorité municipale de Grenoble ? Personne ne gagnera à ce jeu-là ». (Photo d'archives Daniel Bordur)

Alors comme ça vous venez soutenir Barbara Romagnan...

Je ne soutiens pas de candidature individuelle, mais tout ce qui relève d'une dynamique collective conjuguant la question démocratique, l'urgence sociale et l'écologie. Il y a un enjeu évident pour Barbara Romagnan : c'est donner acte à ceux qui, pendant les cinq années écoulées, n'ont pas démérité de nos espoirs. Elle a eu le courage durant ce mandat décevant de dire non, de paisiblement refuser la déchéance de nationalité, la loi travail, l'état d'urgence : tout ce qui a bouleversé la gauche dans sa diversité. On ne peut pas reconstruire le futur sans donner acte du passé. La nouvelle donne politique, c'est le risque d'une majorité godillot, une logique hégémonique. C'est le premier enjeu, et pas seulement à Besançon, face au fait présidentiel. La deuxième raison, c'est dire que le pire, pour ceux qui veulent la relance de la gauche, serait de sombrer dans le sectarisme, la division, les plaisirs mesquins des petites différences. De ce point de vue, Barbara Romagnan fait partie de ceux qui sont restés fidèles aux engagements pris devant les électeurs

Quelle sera la forme de votre intervention ?

Je vais mardi à Colombes parler de la construction des communs, puis aux côtés de Caroline de Haas parler de la liberté de la presse. A Besançon, je parlerai de la république et de ce qui nous rassemble. Je ne viens pas soutenir un parti ou faire campagne pour quelqu'un, mais soutenir une dynamique...

La frontière est parfois ténue entre journalisme et politique. Vous êtes engagé dans le journalisme : quelle est pour vous la différence avec la politique ?

On a tous rendez-vous avec notre époque. Dans le chamboule-tout que nous vivons, il serait dangereux que celui qui a profité de cet accident démocratique, je veux dire Emmanuel Macron, qui a profité d'un vote de raison plutôt que de conviction, ait les mains libres. Ce serait une régression terrible de se retrouver face à une une assemblée soumise au pouvoir présidentiel. Barbara Romagnan est une candidate loin d'être servile ou d'aliéner son indépendance. J'ai vu comment elle était dans ses actes, respectueuse du soucis démocratique... Je serais ravi que Manuel Valls passe aux oubliettes de l'histoire tant il a humilié la gauche... 

Quand vous dénoncez le sectarisme, vous parlez de Mélenchon et des Insoumis ?

Ceux qui se sentent visés se sentiront visés... Quand on lutte dans une entreprise, on n'est pas sectaire, on lutte avec ses camarades. Le sectarisme, c'est une histoire de riches, de gens installés tranquilles... Jamais au premier tour la gauche n'avait été aussi faible, aussi divisée. C'est irresponsable de ne pas se parler, de ne pas se rassembler. Jamais la gauche, dans ses composantes radicale, gouvernementale ou écologiste, n'a été autant d'accord sur autant de points...

... le problème, c'est aussi la gauche libérale...

C'est bien le point de désaccord avec Macron. Sur la transition écologique ou la loi travail. Il faut aider ses soutiens à les prendre aux mots ! François Bayrou ne disait pas autre chose dans son dernier livre, réclamant de nouveaux acteurs de la représentation. Y compris ce pouvoir là a besoin d'une opposition intelligente...

C'est de votre part un engagement dans le champ politique...

Le journalisme n'est pas hors du champ politique. Simplement, je n'ai aucun engagement partisan. Nous, à Médiapart, avons construit un dialogue avec la société, Barbara Romagnan s'est exprimée chez nous, comme Pouria Amirshahi ou Caroline de Haas...

Jean-Louis Legalery est votre relai bisontin avec Barbara Romagnan ?

Il est dans son comité de soutien... Il est parmi les premiers abonnés de Médiapart et je suis venu plusieurs fois à Besançon où il y a un réseau Médiapart...

Médiapart semble avoir un contentieux avec les Insoumis...

Je suis très choqué quand j'entends certains Insoumis traiter de traitre toute personne avec une étiquette socialiste...

Dans la gauche traditionnelle, on n'a pas été tendre avec Mélenchon et ses soutiens... La gauche ne doit-elle pas se reconstruire autour de lui après le résultat qu'il a fait au premier tour ?

Ne tombons pas dans l'illusion de l'élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon a bénéficié du vote utile à gauche, il n'est pas propriétaire de ses 19,6%. C'est une erreur de croire que les votes sont ficelés. Il a eu des votes de gens ayant voulu voter à gauche, comme François Hollande en 2012. J'en donne acte : Jean-Luc Mélenchon a été en tête et celui que cela oblige, c'est lui ! Etant numéro un, il devait parler à tout le monde de la 6e république, de la transition écologique, du refus de la régression sociale, de la demande de refondation de l'Union européenne... Il y avait de quoi faire une campagne commune. Mais quelle raison y a-t-il de mettre des candidats de la France insoumise face à Barbara Romagnan, Caroline de Haas ou des candidats issus de la majorité municipale de Grenoble ? Personne ne gagnera à ce jeu-là. Je suis un lanceur d'alerte. Je suis un anti-présidentialiste, et j'ai même une antériorité vu le travail que j'ai fait sous François Mitterrand. Un bon journal dit quelques vérités à ses lecteurs. Je mets en garde contre cette logique. J'ai l'impression que Jean-Luc Mélenchon a transformé un succès formidable en défaite politique. Il devait être l'homme du rassemblement... Nous avons deux logiques hégémoniques à l'œuvre : la logique hégémonique présidentielle d'Emmanuel Macron qui veut une majorité parlementaire, la logique hégémonique au sein de l'opposition où certains disent c'est nous et personne d'autre.

N'y a-t-il pas une contradiction de fond entre les mouvements comme En Marche ou la France insoumise d'une part, et les partis d'autre part ?

Les partis ont des procédures, des commissions de contrôle, des droits de tendance et de courant. Je crois peu à l'uniformité. Une leçon à tirer du 20e siècle, c'est que les coups portés l'émancipation comportent de grands risques. C'est ce que je constate sur les réseaux sociaux, y compris parfois dans les commentaires à Médiapart : une culture d'exclusion...

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