Eaux souterraines, faire face au risque d’épuisement…

Deux habitants du Doubs sur trois sont dépendants des eaux souterraines. Une proportion qui va augmenter parallèlement à la diminution du stockage dans les nappes… L'hydrogéologue Guillaume Bertrand propose d'y réfléchir avec le recul de l'observation de deux situations : recherche scientifique et anticipation en Suisse, pénurie et déni au Brésil… 

Une grotte, quelque part dans le massif jurassien à la frontière franco-suisse… (Photo Daniel Bordur)

« Les eaux sous-terraines sont prises en tenaille entre le changement climatique et nos usages… » Enseignant-chercheur en hydro-géologie au laboratoire Chrono-Environnement de l'université de Franche-Comté, Guillaume Bertrand est de ces profs qui sortent le savoir de la tour d'ivoire académique. Les recherches qu'il a menées en Suisse et au Brésil avant de travailler sur la tourbière de Frasne sont au coeur d'une conférence grand-public qu'il a donnée mardi 26 mars à Besançon devant près de 200 personnes. Il insiste sur l'importance de la pluridisciplinarité, intégrant tant les  sciences dites dures que les sciences humaines, tant l'objet de ses observations - les eaux souterraines - nécessite des approches variées et concrètes.

Dans le Valais suisse, près de Sierre, la forêt alluviale protégée du bois de Finges, poussant sur un cône de déjection, a été un terrain de détermination du type d'eau, souterraine ou superficielle, utilisée par les différentes espèces d'arbres selon leur situation plus ou moins proche du Rhône et selon la saison. Le fleuve est alimenté par le glacier du même nom qui a perdu 2 km depuis un siècle, et pourrait avoir quasiment disparu d'ici 2100 selon plusieurs scénarios envisagés par le GIEC.

Le niveau du Rhône baisse en hiver quand le glacier gèle, monte en été quand il fond, ce qui a une incidence quant à l'alimentation de la nappe d'eau souterraine. Le travail des scientifiques a notamment consisté à chercher à savoir où les arbres s'alimentaient : dans la nappe (eau glaciaire) ou dans le sol (eau pluviale) ? Pour le déterminer, des géo-chimistes sont intervenus, prélevant la sève brute et utilisant la différence isotopique entre les deux types d'eau…

Partage de la ressource ou compétition…

Les aulnes et saules à proximité du fleuve se partagent la ressource, les premiers s'alimentant dans le sol, les seconds dans la nappe. Plus loin de la rive, là où la hauteur de la nappe varie avec la saison, ils puisent l'eau du sol en hiver, et davantage l'eau souterraine en été… Plus loin encore du Rhône, les pins et les cerisiers sauvages de la forêt sont quant à eux en compétition pour aller chercher surtout de l'eau souterraine… 

Que se passera-t-il si la température continue d'augmenter ? Par exemple si le débit du Rhône est modifié, au point d'impacter le rechargement de la nappe souterraine ? Là, il faudra continuer à chercher, faire notamment intervenir des pédologues, les spécialistes des sols car leur nature peut être une variable importante. Quoi qu'il en soit, les Suisses ont commencé depuis plusieurs années à prendre des dispositions pour financer, après votation, donc débat public, la « troisième correction » du fleuve… 

A Récife, métropole de 4 millions d'habitants au bord de l'Atlantique, c'est paradoxalement à la pénurie d'eau que la population, notamment les plus pauvres, est confrontée. La désorganisation du service public de stockage et de distribution est aggravée par la transformation en égouts à ciel ouvert des nombreux canaux de la ville qu'on appelle aussi la Venise brésilienne. A tout cela, s'ajoutent la perspective d'une augmentation de 55 centimètres du niveau de l'océan entre 1993 et 2033 qui correspond, en raison de la géologie locale, à une diminution de 20 mètres du niveau d'eau douce souterraine.

Epuisement de la ressource et prévention d'émeutes de la soif…

Une autre particularité géologique est la présence de deux nappes souterraines, une superficielle et une plus profonde. Les pauvres creusent à la pioche des puits peu profonds dans la première nappe où ils puisent une eau contaminée par les déchets et le sel de l'océan. Les riches ont les moyens de faire creuser des puits dans la nappe profonde, moins polluée, où l'eau est ancienne (6000 à 18000 ans). Problème : le niveau de cette nappe a baissé de 20 mètres en dix ans… Autres conséquences : des entreprises privées distribuent de l'eau acheminée de loin par camion, vendent des systèmes de dépollution, tandis que les pauvres délèguent une grand-mère de la famille armée de nombreux bidons pour faire le guet des heures durant auprès des fontaines publiques où elles attendent que l'eau coule enfin… 

On le constate, pour évaluer cette situation complexe, on a besoin de géologues, d'hydrogéologues, de chimistes… mais aussi d'anthropologues et de sociologues qui travaillent à la façon dont les humains réagissent à la situation. Or, à Récife, mais aussi à Sao Paolo, c'est souvent le déni de réalité qui l'emporte, notamment chez les plus aisés et les dirigeants politiques. Parallèlement aux campagnes incitant à l'économie d'eau, il arrive que « l'armée protège les sièges des compagnies publiques d'éventuelles émeutes de la soif » !

80% des zones humides comtoises détruites en un siècle

Après l'écosystème rhodanien et le socio-système récifien, Guillaume Bertrand conclut par la Franche-Comté et son « socio-écosystème dépendant des eaux souterraines ». L'Agence régionale de santé a en effet évalué que 65% des habitants du Doubs dépendent d'une ressource en eau souterraine. Or, la population du département va davantage augmenter d'ici 2050 que le reste de la région (+ 15% contre + 5%) tandis que la température, qui a crû de 1° en un siècle, pourrait d'ici 2070 croître encore de 2,5 à 3°. Combinée avec une modification du régime des précipitations, la moindre quantité de neige en hiver, on va vers une diminution du débit des cours d'eau de 15 à 50% selon les cas.

Ces perspectives doivent inciter à anticiper notre rapport à l'eau dans tous ses aspects : usages, stockage, distribution… Le chercheur insiste pour sa part sur le rôle essentiel des zones humides qu'il est urgent de préserver et/ou de réhabiliter. Car 80% d'entre elles ont été détruites durant le dernier siècle… Dans la salle, une jeune femme fait part de son désarroi : comment conserver l'eau ? comment inciter les politiques à agir ?

La prise de conscience a commencé dans certains milieux, scientifiques ou militants. C'est ainsi que le pôle tourbière de Franche-Comté est l'un des plus actifs de France, que plusieurs dizaines de zones humides du massif jurassien ont fait ou font l'objet de travaux de réhabilitation, que des cours rectifiés sont reméandrés. Reste que l'on continue ici et là à assécher des marais, araser des haies, artificialiser des sols…

Sortir des cercles confidentiels

Jacques Mudry, professeur honoraire d'hydrogéologie, évoque les étiages de plus en plus fréquents, les pollutions, cite les crues d'orages qui conduisent des eaux usées dans les rivières plutôt que dans les stations d'épuration : « à Pontarlier, ça a généré une augmentation du phosphore de 50%, parallèlement à des mortalités piscicoles… » 

Un auditeur suggère de recourir davantage à l'épuration par lagunage, y compris en aval des stations d'épuration. Il s'inquiète que quarante ans après qu'on a commencé à se poser la question, on n'a toujours pas augmenté le seuil du barrage du lac de Saint-Point…

Débarquant dans le débat public par les alarmes et les alertes, la problématique reste souvent confinée aux comportements individuels, mais le débat « éco-socio-systémique » demeure confidentiel. C'est une des raisons pour lesquelles les chercheurs du laboratoire Chrono-environnement font des conférences publiques… 

 

    

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