Dominique Olivier : «le nucléaire n’est plus tabou»

En charge du débat sur la transition énergétique à la CFDT, Dominique Olivier, ancien de Michelin-Clermont-Ferrand, était jeudi 18 avril à Besançon avec une quarantaine de militants. Il préside aussi le groupe de travail «impacts sociaux de la transition énergétique» du débat national et doit rédiger en six semaines une synthèse des travaux.

Dominique Olivier, CFDT chimie-énergie

Un temps chimiste en recherche et développement chez Michelin à Clermont-Ferrand, Dominique Olivier a animé les CHSCT du fabricant de pneus en tant que coordinateur santé-sécurité-environnement de la CFDT, gérant notamment les questions relatives aux risques industriels. Il est secrétaire confédéral, permanent, après avoir été penfant douze ans l'un des principaux dirigeants de la fédération chimie-énergie. Il est également pilote du débat sur la transition énergétique de la CFDT, et préside le groupe de travail «impacts sociaux et transition professionnelle» du débat national sur la transition énergétique porté par le ministère de l'Écologie. Il était ce jeudi devant une quarantaine de militants de la CFDT retraités pour parler de cet engagement et de ses enjeux.

Vous avez été un militant syndical dans une grande entreprise. Désormais permanent, n'êtes vous pas un peu un apparatchick ?
Vu l'étendue des champs à appréhender, il n'est pas possible pour une grande fédération professionnelle, pour la négociation collective ou la dimension européenne, de ne pas être disponible de 7 heures à 20 heures tous les jours. Je ne suis pas exactement dépendant de l'appareil : je suis devenu un dirigeant de la fédération chimie-énergie... 

Nucléaire : «la CFDT est plus pragmatique que le gouvernement»
«Sur le mix énergétique, la question du rééquilibrage se pose surtout en France à cause des 75% de nucléaire dans la production d'électricité. L'option de la CFDT est plutôt 60% entre 2025 et 2030 car on a une connaissance du problème de l'intérieur. On a en tête l'âge et l'état des centrales, la gestion des personnels, la gestion de la transition des personnels. Notre schéma est plus pragmatique que celui du gouvernement. Il est caricatural de proposer de mettre les gens des centrales sur le démantèlement : ce ne sont pas les mêmes métiers. Il faut une filière française et européenne du démantèlement.»

Quelle est votre mission de président de groupe de travail du débat national sur la transition énergétique ?
Je suis l'un des quelques cent animateurs du débat qui se tient dans sept domaines. Mon groupe de travail a un mois et demi pour rendre un rapport sur la question des impacts sociaux.

Comment faire la synthèse de ce type de discussion ?
On rentre dans un débat avec des ambitions et des convictions. On en ressort transformé. Les orientations qu'on avait pressenties sont remises en cause, infléchies par le débat. Dans le frottement avec les autres participants, on est obligé de changer de point de vue, de moduler nos options...

Par exemple ?
Je vais prendre un thème sociétal : la vitesse sur route et autoroute. Un syndicat n'a pas vocation à avoir une position là-dessus, mais quand des parties disent qu'on peut économiser des vies ou de l'énergie, on ne peut pas dire "ce n'est pas notre sujet". S'il y a des arguments valables, on devra partager le point de vue de ceux qui proposent de baisser de 10 km/h toutes les vitesses : 120 sur autoroute, 80 sur route, 30 en centre-ville... Je ne vois pas pourquoi le syndicalisme le refuserait.

Pourquoi accepterait-il ?
Pour l'intérêt général...

Marc Blondel, l'ancien secrétaire général de FO, disait que le syndicalisme n'était pas en charge de l'intérêt général, mais de l'intérêt des salariés...
On essaie de faire les deux. C'est sur la route qu'il y a le plus de salariés morts au travail... Dans le débat, FO ne soutien aucun comrpomis. La CGT est très impliquée, a peu de différence avec nous, sauf sur le nucléaire...

Jean-Claude Graff, ancien de PSA : «J'ai appris des petites choses simples, par exemple que les appareils domestiques consommant le plus sont les anciens réfrigérateurs... Je pensais plutôt que c'était la télé allumée qu'on ne regarde pas tout le temps... Je vois se dessiner la transition énergétique comme un argument pour combattre la crise. Quand je vois que 95% du déficit commercial est constitué par l'importation d'énergies fossiles...» 
Jean-Louis Lavie, ancien de l'AFPA : «Nous les retraités sommes la preuve du développement durable ! Cela fait deux ans qu'un petit groupe travaille ces questions à partir notamment des transports. Des gens disent qu'ils ne retrouvent plus leur bus avec les travaux du tram ! Une dame demandait par exemple une petite navette quand il n'y a plus de bus... Ces réunions déclenchent des réunions de quartier. Sur les déchets, les gens veulent surtout qu'on leur explique.»  
Gérard Pavageau, responsable développement durable de la CFDT retraités du Doubs : «On a visité en groupe les bâtiments témoins qui montrent comment économiser l'énergie. On va programmer de nouvelles visites...» 

On a du mal à imaginer que le marché des droits à polluer est aussi incontrôlable que les marchés de capitaux...

C'est comme une bulle. Quand ça va péter, ça fera des dégâts : des délocalisations extrêmes. C'est pour ça que la CFDT, avec la CES Confédération européenne des syndicats : CFDT et CGT y adhèrent, revendique une taxe aux frontières de l'Europe. Elle est compatible avec les règles de l'OMC : si l'Union européenne le fait, ce sera pour la sauvegarde de l'environnement et de la santé des populations. La CES est souvent d'accord avec le Parlement européen, beaucoup moins avec la Commission européenne qui affiche des principes libéraux et ne veut pas d'entorse au libre échange. On a aussi un problème avec les états et les syndicats scandinaves qui sont opposés à cette taxation car ils craignent des rétorsions des Chinois dont ils consomment davantage de produits que nous.

Ça paraît désespérant...
Il y a d'autres efforts à envisager avec l'accélération de la dégradation du climat qui risque d'entraîner le chacun pour soi. Beaucoup de gens n'imaginent pas, nous qui vivons en pays tempéré où l'on peut accepter quelques degrés de plus même si on aura une désertification du Grand sud, des problèmes pour le vignoble, que d'autres régions du monde ne pourront pas le supporter. Cela entraînera des mouvements de populations qui vont poser des problèmes à l'Europe. Les tensions et conflictualités qui en découleront sont des menaces pour la paix mondiale. J'ai par exemple dit au député François Brottes (PS, Isère) que j'étais contre l'usine à gaz de sa proposition de loi sur la tarification progressive de l'énergie (bonus-malus). Je lui ai dit que c'était une faute politique et démocratique de le faire avant que le débat sur la transition énergétique soit finalisé. Cela revient à court-circuiter le débat, cela pourrait être téléphoné par le Président... Ça a été retoqué au sénat par une alliance PCF-UMP, puis au Conseil constitutionnel...

Vous craignez que le débat sur la transition énergétique n'aille pas au bout ?
J'ai des inquiétudes. Un retard de trois mois ne serait pas très gênant si la concertation est sérieuse. Mais un des problèmes est le suivant : y a-t-il des choix structurants ou sommes-nous dans l'eau tiède avec des inflexions a minima. Dans ce cas, ça ne nous va pas.

Il y a déjà eu des grands messes, on a l'exemple du Grenelle...
Le Grenelle a quand même donné deux lois et 270 décrets dont une partie induit des changement conséquents. On ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Je regrette le rejet de l'écotaxe, le retard sur la taxe poids lourds qui va entrer en vigueur à l'automne et pour laquelle on a perdu trois à quatre ans. La production réglementaire et normative du Grenelle va dans le bon sens, même s'il a mis de côté l'énergie. Cette fois, le nucléaire n'apparaît plus comme un tabou.

Le Grenelle n'a pas donné grand chose sur le plan agro-environnemental...
Le plan Ecophyto est un échec. On a formé plusieurs dizaines de milliers d'agriculteurs sans changement des pratiques : c'est un problème !  J'étais négociateur du Grenelle dans le groupe santé-environnement. On était parti pour une réduction de 50% de phyto à 5 ans, on l'a repoussée à 10 ans qu'on ne tiendra pas. Le milieu agricole tient un discours paradoxal. Pare exemple, sur les algues vertes en Bretagne, ils disent que l'Etat est responsable car il n'a pas mis de réglementation en place, mais ils se battent quand on essaie d'en mettre une ! Et ils viennent d'obtenir que les porcheries ne soient plus soumises à autorisation mais à déclaration. Le Foll l'a accepté la semaine dernière...

L'accord de sécurisation de l'emploi (ANI) sera difficile à appliquer là où le syndicalisme est faible...
C'est difficile de mettre les pratiques syndicales dans un accord... Regardez les ruptures conventionnelles : c'est un compromis entre deux parties. Des salariés peuvent avoir envie de partir et de sécuriser leur transition, mais il y a aussi des entreprises qui imposent des ruptures. Dans l'ANI, le côté opérationnel, chantage dont on a parlé, ce n'est pas utile de l'évoquer : quand ça va mal, il n'y a pas besoin que le patron l'exprime, les salariés sont conscients des réalités... Chez Michelin, un accord de compétitivité avait préfiguré l'ANI. Quand il y a une baisse d'activité, les salariés doivent prendre des congés en plus, et quand il y a besoin de travailler davantage, rendre ces jours avec 25% à la charge de Michelin...

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