Dix jours de grève pour le droit de se syndiquer

Quarante des 180 salariés de la fonderie Castmetal de Colombier-Fontaine, près de Montbéliard, ont cessé le travail le 20 avril pour réclamer l'arrêt de six mises à pied conservatoires d'adhérents de la CGT qui vient de créer une section syndicale. Des militants sont venus les soutenir de toute la région.

Les mis à pied posent devant l'usine où ils n'ont plus le droit de mettre les pieds.

« S'en prendre à un seul militant de la CGT, c'est s'en prendre à toute la CGT ». C'est ce que des responsables et des délégués CGT de l'Aire urbaine Belfort-Montbéliard et de Franche-Comté sont venus dire, mercredi 29 avril aux quarante grévistes de Castmetal, fonderie employant 180 personnes à Colombier-Fontaine, près de Montbéliard. Ils ont cessé le travail lundi 20 avril et ne l'ont pas repris depuis. Dix jours auparavant, cinq d'entre eux ont été mis à pied à titre conservatoire : « on nous reproche un harcèlement moral sur un salarié depuis trois ou quatre mois, en fait, depuis qu'on a créé le syndicat », explique Fuat. Trésorier du syndicat, il retouche les bavures des pièces à la meule, un métier physique : certaines machines, qu'il faut tenir à la main, font jusqu'à 9 kg. D'autres fois, il porte une grosse pièce jusqu'à la meule qui tourne sur un axe fixe...

Le harcelé serait un ouvrier qui a refusé l'adhésion à la CGT qui lui a été proposée : « il n'a pas voulu, on n'a pas insisté. Mais depuis, il ne veut plus discuter avec nous, il mange seul à l'atelier. Le chef a fait un rapport car il n'était pas bien... » Comme quatre autres syndiqués, Fuat a été convoqué à un entretien individuel : « le patron m'a demandé si j'avais un problème avec cette personne. J'ai répondu que je n'en avais aucun, ni professionnel, ni personnel, même si elle ne me dit plus bonjour. Quand un chef d'atelier ne me salue pas, ce n'est pas du harcèlement moral ! En fait, la direction utilise cette histoire contre la CGT. Il arrive qu'on s'engueule entre ouvriers, mais ça ne sort pas de l'atelier... »

« Lundi 20 avril, on s'est réuni à 5 heures du matin et on a tous été d'accord : on ne va pas se laisser faire, on fait grève. Et on ne lâchera rien jusqu'au 4 mai, date de la décision de la direction », dit Laurent Devis. Depuis, un sixième salarié, également syndiqué à la CGT, a été mis à pied. « Les conditions de travail sont plus dur depuis le changement de direction en 2008 ou 2009 », dit un gréviste qui déplore que « les ouvriers sont souvent vus comme des esclaves et n'ont rien le droit de demander... »

« Trop de ruptures conventionnelles... »

La direction ne « communique pas »
La direction de l'entreprise veut-elle se payer le syndicat ? Frédéric Prado, le directeur du site que nous avons eu au téléphone, répond aimablement que « décision est prise de ne pas communiquer ». Nous lui indiquons qu'écrire un article sur un conflit sans le point de vue d'une des parties pose problème : « c'est une position que nous assumons », répond-il. Nous insistons, il tient bon : « je ne répondrai pas aux questions ».

« Depuis deux ans, il y a un peu trop souvent des ruptures conventionnelles », ajoute Fuat pour qui ce sont des licenciements déguisés. Un jour, un gars est convoqué, on lui propose un chèque et il s'en va... « On a sollicité la CFDT qui existe depuis plusieurs années dans l'entreprise, mais on n'a pas de communication avec eux », dit Laurent Devis, le représentant de la section CGT en cours de construction. En cours parce que depuis 2008, un syndicat, fut-il représentatif au niveau national, ne peut être reconnu dans une entreprise dont il était absent qu'après des élections professionnelles où il doit obtenir 10% des voix. Chez Castmetal, le scrutin est programmé le 17 juin et le protocole électoral doit être signé le 4 mai, le jour où la direction doit rendre sa décision de licencier, ou pas, les mis à pied.

Dans une déclaration au mégaphone, Cyril Keller, le secrétaire de l'union départementale CGT du Doubs, a « exigé que la direction reçoive une délégation », la levée des mesures disciplinaires et le paiement des jours de grève. Laurent Devis nous confie qu'en ce cas, le travail reprendrait dans la foulée. C'est que neuf jours de grève, c'est difficile. Ayant attiré plus de cent personnes, le « barbecue solidaire » est donc bienvenu pour le moral. « Je suis là pour soutenir mon mari. Il revenait d'un arrêt pour accident du travail le jour où il a été mis à pied, ça a été un choc, je l'ai emmené d'urgence chez le psy », dit Serpil.

Soutiens de Champagnole et Strasbourg

Des plaquettes de freins de trains...
Jusqu'en 2013, Castmetal s'appelait AFE (Aciéries et Fonderies de l'Est) depuis le rapprochement entre les deux sites de Colombier-Fontaine et Sainte-Suzanne. Les deux sociétés sont aujourd'hui dans le groupe SAFE dont le siège social est à Lyon et la holding en région parisienne. Il est présent dans une vingtaine de pays de plusieurs continents. Travaillant notamment avec des fours à induction, l'usine de Colombier-Fontaine est spécialisée dans les aciers au carbone et les aciers faiblement alliés, peut-on lire sur le site du groupe. On y fabrique notamment des plaquettes de frein de trains... Une réorganisation des ateliers est prévue pour l'automne.

L'accès de l'usine est symboliquement empêché par sept salariés débonnaires d'une société de gardiennage. La conversation s'engage parfois avec des grévistes. On leur donne même à boire... Durya, l'épouse d'un gréviste, est aussi du déplacement. Contrairement à Serpil qui ne travaille pas, Durya est en CDD chez PSA. Elle analyse la situation sur le plan humain : « On sent la fatigue sur leur visage, les uns ont les nerfs, ça influe sur les enfants, c'est difficile pour la famille ». Elle en est persuadée : « c'est un coup monté, un prétexte... » Serpil ajoute : « ce qui nous encourage, c'est le fait qu'ils sont innocents, que les associations, la mosquée, les amis nous soutiennent... J'ai mis mes enfants chez les grands-parents, ils sont contents, mais on est très touchés par cette histoire ».

Maria Alves est venue de Champagnole pour apporter le soutien du collectif liberté-répression syndicale de la métallurgie.  Aziz Bouabdellah, membre du bureau de la fédération de la métallurgie apporte un soutien national : « on parle de dialogue social au niveau du Medef et du gouvernement, mais on vit davantage de la répression sociale. Ce qui est remis en cause ici, c'est le droit de créer un syndicat d'entreprise. C'est une stratégie pour éviter un vrai dialogue. J'ai aussi créé un syndicat à Strasbourg, les patrons n'ont pas l'habitude d'avoir un banlieusard en face d'eux. Un syndicat ne vient jamais par hasard dans une entreprise. A la fédération nationale, on a recensé une soixantaine de militants dans ce cas. Les directions essaient de mettre ça sur les relations entre personnes, mais c'est la CGT qui leur pose problème... »

L'origine turque de nombreux salariés de Castmetal joue-t-elle un rôle dans le conflit ? Aziz Bouabdellah sourit « syndicaliste plus diversité, c'est la cerise sur le gâteau ! » Pour Fuat, l'origine n'a rien à voir : « c'est une question de conditions de travail et de relations sociales. Nous, les Turcs, on aime bien le travail lourd, difficile. On est là pour travailler, rendre service, pas pour être esclaves... Ils veulent juste nous attaquer pour qu'on n'ait pas d'élus... » Pour Jacques Beauquier, l'animateur régional métallurgie de la CGT, il s'agit de « sortir du Moyen âge... »

 

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