On attendait Daniel Prieur sur le casse-cailloux. Le président de la chambre d'agriculture Doubs-Territoire-de-Belfort n'a pas déçu lors de la dernière session, vendredi 24 novembre à Besançon. « Qui dit aménagement de chantier dit travaux connexes et casse-cailloux. Du coup, les extrémistes de part et d'autre s'en donnent à cœur joie. J'invite à la sagesse et au respect des écosystèmes, mais surtout des agriculteurs... Le casse-cailloux n'est pas le casse du siècle ».
Fermez le ban. On reconnaît la faconde de l'éleveur de Pierrefontaine-les-Varans. On souligne aussi sa façon de se mettre au centre en faisant mine de rejeter les « extrémistes », catégorie où il a bien envie de mettre les écolos, les scientifiques, les agronomes, et quelques paysans irréductibles qui ne comprendront jamais rien. Ce faisant, il psychologise une question qu'il transforme en problème d'individus. Les bons, les sensés, les sages au centre ; les gueulards et les provocateurs aux extrêmes.
Partition maintes fois entendue, parfois ambigüe
Pour le coup, il rejoue une partition maintes fois entendue, parfois ambigüe, variant avec l'auditoire. Il aurait pu dire, comme l'a fait l'homme qui monte dans le syndicalisme majoritaire, le secrétaire général de la FDSEA du Doubs, Christophe Chambon, le 10 novembre devant une salle comble à Orchamps-Vennes : « On ne peut plus soutenir » ceux qui font n'importe quoi... Il ne l'a pas fait. Sans doute le président Prieur doit-il tenir un subtil équilibre entre les différentes tendances de sa profession et surtout de son syndicat, entre les productivistes et les modérés, les réfléchis et les réacs...
Reste qu'il doit aussi montrer, en direction de la société dont il se pique de saisir les tendances à l'œuvre, un sens des responsabilités qui devrait lui donner le courage de préférer les lanceurs d'alerte, qui ne se lancent jamais sans précaution dans l'arène, aux saccageurs et aux démolisseurs. Il sait le faire, lui qui a « mouillé le maillot » comme il aime à le dire, pour accompagner il y a quelques années une timide mais nécessaire réorientation des aides PAC en direction de l'élevage extensif qui prenait un peu aux céréaliers. Lui qui défend avec énergie la vertueuse organisation de filière de l'AOP comté face aux prédateurs de l'industrie financiarisée.
« Les Français aiment les agriculteurs, mais commencent à douter de l'agriculture »
Il a d'ailleurs montré qu'il sent bien qu'il se passe quelque chose de plus grave que ce qu'il pouvait craindre dans les dérapages provoqués par la mise en coupe réglée de l'univers paysan par la mondialisation. « Tu as tout résumé d'une phrase : les Français aiment les agriculteurs mais commencent à douter de l'agriculture », dit-il en s'adressant à Claude Monnier qui avait eu juste avant des propos lucides sur l'état des choses agro-rurales : « Quand nous étions jeunes, la société civile était peu impliquées dans nos domaines. Aujourd'hui, elle s'implique, dans l'agriculture, l'environnement... J'ai le sentiment que nos organisations professionnelles agricoles, que le monde agricole, ne sont pas assez réactifs, pas assez moteurs. On apparaît davantage pour éteindre les incendies que comme force de proposition. On doit faire notre autocritique ».
L'assemblée l'écoute, un peu interdite. L'éleveur de Croix (Territoire de Belfort, à mi chemin de Montbéliard et Porrentruy), poursuit : « Il faut travailler vers l'agriculture bio, diminuer les phyto, accélérer les choses.... Car si les agriculteurs sont plutôt bien ressentis par la société, l'agriculture un peu moins... On doit avoir une réflexion sur l'évolution des techniques en polyculture-élevage depuis l'après-guerre... Voir qu'aujourd'hui, on fait davantage de cultures sous couvert, plus de matière organique et moins de pesticides... Ça fait un peu baisser la productivité, mais augmenter la qualité. Ça vaudrait le coup de regarder, car ça existe ici ou là dans nos secteurs... »
« On a encore besoin de phyto là où l'on ne sait pas faire autrement »
Bien vu, mais personne ne relève, hormis la petite phrase soulignée par Daniel Prieur qui en tire une leçon un peu éculée : « il faut communiquer, être à l'écoute des consommateurs ». Il met cependant les pieds dans le plat d'une vraie question de fond : « faut-il virer l'UIPP de Coop de France ? » Dit plus précisément : faut il exclure de la structure de représentation politique de la coopération agricole l'Union des industries de la protection des plantes ? Autrement dit le syndicat des fabricants et marchands de pesticides !
Poser la question n'est cependant pas encore y répondre car Prieur s'empresse de tempérer : « il faut aller vers un contrat de solution. On a encore besoin de phyto là où l'on ne sait pas faire autrement... Et n'oublions pas que Nicolas Hulot a été fabriqué par Rhône-Poulenc... » Reste que dans un des départements parmi les moins gros consommateurs de pesticides comme le Doubs, la question est moins porteuse d'enjeu que dans les secteurs de grandes cultures céréalières qui en font grand usage. Et la filière comté, en interdisant les OGM, a suscité dix ans plus tard la relance d'une production régionale de soja : 12.000 hectares (32 q/ha) en Franche-Comté contre 55.000 pour le maïs (100 q/ha) dont 43% pour le fourrage.