Cyril Keller, nouvelle tête à la CGT du Doubs

Délégué syndical chez Faurécia depuis 2005, puis secrétaire de l'union locale de Montbéliard depuis 2006, il succèdera vendredi 1er mars à Maxime Guillemin qui était secrétaire général de l'union départementale depuis 2001.

cgt-keller-guillemin

« C'est un gars qui va cueillir des olives en Palestine sur ses fonds propres, il correspondait bien à nos valeurs. » Dans la bouche de Maxime Guillemin, secrétaire général de l'union départementale de la CGT du Doubs depuis 2001, c'est un sésame. Cyril Keller, 39 ans, va le remplacer vendredi 1er mars lors de prochaine réunion de la commission exécutive du syndicat, instance mensuelle d'une trentaine de militants de tous les secteurs. Il est le représentant d'une nouvelle génération de militants syndicaux, très tôt confrontée à la précarité. Après douze années d'animation par un technicien du secteur public (Maxime Guillemin vient d'EDF), voici avec Cyril Keller un pilote qui vient du privé et du pays de Montbéliard.
Il s'est retrouvé délégué syndical central chez Faurecia en 2005, quasiment du jour au lendemain, dans des circonstances dramatiques : le décès subit du titulaire du mandat, Jean-Luc Falconi, d'un accident vasculaire. Cyril Keller était rentré chez l'équipementier automobile  six ans auparavant et s'était presque aussitôt syndiqué à la CFDT qu'il quittera peu après pour un désaccord dans la conduite de la négociation salariale annuelle. En décembre 2005, il était devenu secrétaire de l'union locale CGT de Montbéliard.

Cueillir les olives en Palestine...
« J'y suis allé en 2005, on nous appelle les Internationaux... On était huit Français sur dix jours, en bordures des colonies israéliennes, sur des oliveraies volées aux Palestiniens. On négociait avec les autorités et les colons pour que les Palestiniens puissent faire une demi-journée ou une journée de cueillette. Ils n'y seraient pas arrivés sans nous... C'était dix jours fabuleux. Tous les ans, je me dis qu'il faut que j'y retourne... C'est un peuple qui a le coeur sur la main. C'est un combat à mener, qui m'a permis de rencontrer des Palestiniens, mais aussi des Israéliens ayant une autre vision... »  

D'où venez-vous ?

Je suis né à Montbéliard dans une famille d'ouvriers de Peugeot. Ma mère travaillait à Bart, mon père à Sochaux. Il est ensuite parti, en 1981, à La Garenne, il revenait tous les week-end, puis on l'a suivi. Il a ensuite travaillé à Vernon (Eure), puis Poissy et Cergy-Pontoise. On habitait un dixième étage à Courbevoie, face à la Défense. J'ai fait ma scolarité en région parisienne, suis passé par le privé parce que j'étais turbulent, j'ai terminé à Eragny-sur-Oise, près de Conflans-Sainte-Honorine, avec un BEP de modeleur-mécanicien.

C'est quoi modeleur-mécanicien ?
Avant toute pièce coulée de fonderie, il faut faire le modèle en résine ou en bois, on fait du fraisage, du tournage, puis un moule en sable. On travaille au micron ou au centième de millimètre. On fait des pièces de voiture, des bouchons de bouteilles de parfum...

Où avez-vous travaillé ?
D'abord chez Cointet, à Seloncourt, un sous-traitant de Faurécia. Puis j'ai eu une période d'intérim chez Peugeot-Motocycles, Peugeot Japy, Trécia (Etupes), Trévest (Etupes, Leclerc-Montbéliard... Je prenais ce qui se présentait. J'ai fait l'armée en 1993, de l'intérim de 1995 à 1999...

Vous connaissez bien la précarité.
Ce n'est pas facile... Avant, on pouvait choisir, ce qu'on ne peut plus aujourd'hui. Avant l'armée, j'ai travaillé à Poissy, je n'étais pas un salarié modèle, pas très ponctuel, je prolongeais mes vacances. Aujourd'hui, quand vous êtes jeune, vous n'avez pas envie d'une vie à la chaîne...

Et vous êtes embauché en 1999...
...chez Faurécia à Baulieu, comme contrôleur de pots d'échappement.

En quoi cela consiste-t-il ?
Contrôler de visu 500 à plus de 1000 pots par jour, contrôler un pas de vis en vissant dévissant, avant que ça parte au montage. Puis j'ai été en production sur une ligne à fabriquer des collecteurs : ce qui sort du moteur... C'est bruyant, sale...

Comment est-ce entre collègues ? Sympa ?
Oui, quand même, mais de moins en moins, ça a un peu changé, on n'est plus dans les mêmes conditions de travail. Par exemple, avant, on arrêtait une heure avant le départ en vacances [de l'usine] pour casser la croûte ensemble, chacun ramenait un truc. Avant, on prenait le temps de discuter deux minutes, de parler du foot... Aujourd'hui, la façon de travailler a changé, on dépend de celui qui est avant nous, ça complique les relations...

Quand vous syndiquez vous ?
Dès ma première année chez Faurecia. Chez Peugeot-Motocycles, j'avais participé à un mouvement d'intérimaires piloté par la CGT qui avait créé un bureau d'embauches que le syndicat remettait à la direction. C'était symbolique, mais déjà on revendiquait l'embauche des intérimaires. Quand je suis arrivé à Faurecia, il y a eu une période où il y a eu davantage d'intérimaires, 250 à 300, que de permanents en production... Je me suis syndiqué à la CFDT.

Pourquoi ?
Un délégué CFDT de mon équipe m'avais demandé, j'ai dit oui. Puis sur les négociations salariales suivantes, je n'étais pas content, la CGT m'a proposé d'adhérer, j'y suis allé. Après, des copains nous ont rejoints, même celui qui m'avait syndiqué à la CFDT !

Quand prenez-vous des responsabilités ?
Aux élections suivantes, en 2000, je suis élu délégué du personnel, puis ensuite au comité d'entreprise et au CHSCT. J'ai fait tous les mandats, toutes les formations... Je me suis battu contre tous les plans de licenciements depuis 2000, mais on a perdu 500 emplois... En 2009-2010, on a fait embaucher 40 intérimaires en CDI ou en formation professionnelle. On les réunissait tous les samedis, on a montré qu'on était soudés, mis la boîte devant ses engagements éthiques : certains avaient douze ans d'intérim !

Comment vit-on l'intérim ?
On n'est jamais sûr du lendemain, on a une épée de Damoclès en permanence au dessus de la tête, les contrats sont à la semaine près. On ne peut pas faire de crédit pour acheter la maison, un coup on est salarié, le lendemain on est aux allocations de chômage... La précarité n'est pas vivable aujourd'hui. Avant, pour beaucoup de jeunes, c'était un choix, on gagnait même un peu plus avec la prime de précarité. Mais quand on a 40 ans et une famille... Certains redeviennent intérimaires après un licenciement : Faurecia est passé de 250 intérimaires à 15, pareil chez Peugeot.

Le secrétariat de l'union locale, c'est quelles autres responsabilités ?
L'interprofessionnel : tous les métiers, des interventions sur d'autres conflits, apporter du soutien, organiser des manifestations à partir d'appels nationaux... La première que j'ai organisée, c'était contre le CPE en 2006, avec de grosses manifestations à Montbéliard comme il n'y en avait pas eu depuis longtemps. Puis il y a eu le mouvement des retraites, les plans de licenciements...

L'union départementale, c'est un changement d'échelle ?
C'est un mandat différent, je découvre Besançon, d'autres pratiques syndicales. C'est plus politique, ça engage davantage la CGT. Au niveau interlocuteurs, on passe du sous-préfet au préfet...

Vous serez dans la rue, le 5 mars, contre la transcription dans la loi de l'accord national interprofessionnel signé par le MEDEF, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC...
Il faut réussir cette journée, c'est un premier pas, puis élargir le mouvement. Il y a un réel danger pour les salariés : travailler plus pour gagner moins. C'est la casse du code du Travail... Ces trois organisations syndicales ne sont pas majoritaires et ce n'est pas au MEDEF de dicter sa loi. On ira ensuite à la rencontre des députés et des sénateurs avec nos arguments : ne pas aller à l'encontre des chartes internationales signées par la France.

Avez-vous vu les responsables des autres syndicats ?
On les a tous invités, y compris les signataires, mais ils ne sont pas tous venus ! C'était pour préparer le 5 mars... Des responsables CFDT m'ont dit qu'ils n'étaient pas favorables à cet accord, des syndiqués, des élus dans les boîtes...

Avez-vous un engagement politique ?
Non, j'essaie de ne pas mélanger. Je suis proche du Front de gauche, je vote, mais je n'ai pas d'engagement dans un parti, pas de carte... A l'union locale de Montbéliard, on continue à se battre contre l'extrême droite, le Front comtois, les identitaires, les néo-nazis. Vendredi, j'étais devant PSA pour distribuer des tracts face à Marine Le Pen, pour dire aux gens que ce n'est pas la solution.

Elle a l'adhésion de certains ouvriers, comment l'expliquez vous ?
Il va falloir que ce gouvernement soit vraiment à gauche si on ne veut pas laisser la place au FN. Beaucoup de salariés se sentent abandonnés, mais quand on lit le programme du FN, on voit bien qu'il va à l'encontre des intérêts ouvriers, par exemple, le FN est pour la retraite à 65 ans... C'est inquiétant, dangereux, à la CGT, on prend nos responsabilités.

Des délégués CGT sont passé au FN...
LE FN a comme mot d'ordre de faire de l'entrisme. Mais on a fait comprendre qu'on ne peut pas être à la CGT et au FN. 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !