Crise et démissions à la MGEN du Doubs

Après plusieurs mois de crise entre élus et la direction, les membres du bureau de la section du Doubs de la mutuelle MGEN ont collectivement démissionné en fin de semaine dernière. L’ancien président, Sébastien Barbati, estime avoir été poussé vers la sortie et dénonce un affaissement des principes mutualistes, une gouvernance démocratique défaillante et une gestion désastreuse des ressources humaines. Tout cela questionne l’application pour elle-même des valeurs prônées par la MGEN, celles de l’économie sociale et solidaire. Selon la mutuelle, il s’agit d’une décision personnelle, de problèmes de relations humaines et d’une situation singulière.

mgendoubs

Tout s’enchaine à partir d’un mail envoyé en février par un élu de la section du Doubs de la MGEN aux autres membres du comité local. Il s’interroge à propos d’une réorganisation importante qui modifie la relation entre les adhérents et les conseillers. « La nouvelle définition des missions des conseillers va provoquer une sorte de standardisation de la gestion des demandes de tous ordres et limiter, voire supprimer, l'accueil adhérent ; alors que le déménagement de la section du Doubs prétend favoriser les relations avec les mutualistes », écrit-il. Il regrette aussi cette « gestion d’entreprise initiée par l’équipe nationale et relayée à l’échelon régional ».

Le directeur, agacé de la forme de ce mail et de ne pas en avoir été destinataire, dit son mécontentement à Sébastien Barbati, le président de la section depuis plus de six ans. Pour apaiser la situation, celui-ci répondra au mail en recommandant aux élus de veiller à ne pas interférer sur les opérations de ressources humaines et que des informations devraient être délivrées prochainement. L’affaire aurait pu en rester là. Mais un mois plus tard, pendant le confinement, l’objet de ce mail est abordé par Sébastien Barbati lors d’une visioconférence. Il ne s’y attendait pas, mais le voilà face à des critiques véhémentes de la part des délégués de la section, la direction locale validée par la direction nationale de la mutuelle.

L’auteur du mail n’est pas présent, mais il est attaqué pendant 20 minutes par le directeur et les délégués : inadmissible d’envoyer un mail à tout le comité de section, volonté de créer le désordre, l’élu est qualifié de gauchiste, de gilet jaune, de syndicaliste, il est invité à démissionner, on lui prête l’intention de devenir président, etc. Sébastien Barbati fait alors part de sa surprise et de sa désapprobation face aux propos tenus par les administrateurs. Il contacte l’élu en question pour l’informer de la tournure malheureuse des événements et de l'incident que son mail a déclenché.

Le fossé se creuse entre élus et délégués

Hasard du calendrier, le président est convoqué quelques jours plus tard pour son entretien annuel mené par le délégué de la MGEN en charge de la région Bourgogne-Franche-Comté. Le fossé qui se creuse dans la section départementale entre élus et délégués est évoqué, mais son supérieur lui répond que « les élus n’ont pas à s’ingérer dans les affaires RH ». Le malaise s’installe, alors que pour le président de section, il ne s’agit que d’une demande légitime d’information, pas d’une volonté d’ingérence.

Sébastien Barbati rappelle alors son attachement aux valeurs mutualistes et aux principes de transparence qui devraient prévaloir dans le secteur de l’ESS (économie sociale et solidaire), qu’il transmet d’ailleurs lors de ces interventions en tant que formateur régional à l’Esper. Cet entretien ne s’arrête pas là, le président met en doute la légitimité de son interlocuteur, qui ne porterait pas ces valeurs ni les principes d’une gouvernance démocratique. « La seule chose que je devais comprendre est que j’étais dans l’erreur. Voilà le seul conseil que X peut se prévaloir de m’avoir donné. J’en déduis que mon travail de président devrait consister à cautionner des jugements sur les personnes, à dénigrer les élus, à les faire taire et à les exclure du comité de section, » écrit Sébastien Barbati dans un rapport qu’il adresse au siège à la fin du mois d’avril.

L’alerte est lancé au niveau régional

La rupture est consommée. Le lendemain de cet entretien, il rédige une première lettre de démission. Après discussion avec les élus du bureau, une démission collective est envisagée.  Considérant qu’aucun reproche ne pouvait leur être adressé, ils décident finalement de continuer. « Nous devions avoir le courage de rester et d’affronter cette situation », écrit le président dans son bilan. Il envoie un mail aux administrateurs, qui reste sans réponse. En guise de protestation, il décide de ne plus participer aux réunions. Les présidents des autres sections de la région Bourgogne-Franche-Comté sont alertés de la tournure prise par les événements dans le Doubs.

Le directeur de la section de Besançon finit par s’excuser auprès de l’élu à qui il avait tenu des propos désobligeants. Le coordinateur régional accepte une réunion en visioconférence avec Sébastien Barbati et tous les autres présidents. Mais il commence son propos en indiquant que les problèmes de la section du Doubs n’ont pas à être mis sur la place publique ». Sébastien Barbati rappelle qu’ils ne sont pas sur la place publique, mais dans une réunion avec l’ensemble des présidents de la région. La réunion suivante, qui ne réunira que les trois délégués de la section, est beaucoup plus décevante. Et houleuse.

Pour contenir les problèmes qui paraissent alors insurmontables, la MGEN décide en mai de programmer des séances de coaching avec une structure extérieure à la mutuelle. Une seule aura finalement lieu, qui ne durera que 2h30 alors qu’elle était prévue sur la journée. L’intervenante rend vite son verdict : l’équipe ne peut travailler ensemble. Le mal-être des participants est jugé préoccupant par la délégation du bureau national qui estime que la situation demande « une intervention urgente pour éviter un dysfonctionnement de la section préjudiciable ». Mais les semaines passent sans aucune nouvelle. C’est la mise au placard, le trou noir ponctué de quelques vexations. Le président ne se voit pas remettre les clés du nouveau local de la mutuelle, son bureau est mis à la disposition sans qu’il ne soit averti, pas d’invitation au repas pour fêter le déménagement….

« Le bureau national a décidé de me proposer de démissionner » 

Cette fois s’en est trop. Ce n’est effectivement plus possible de continuer à travailler dans ces conditions où ni lui ni les élus ne se sont sentis écoutés. « Aucune autre action du plan n’a été mise en place pour nous venir en aide malgré de multiples demandes de ma part. Je juge cela totalement irresponsable, et particulièrement inhumain », écrit Sébastien Barbati dans la lettre de démission qu’il envoie à Roland Berthillier, président de la MGEN le 19 novembre. « En lieu et place du processus d’accompagnement, le bureau national a décidé de me proposer de démissionner », relate, amère mais aussi soulagé, le désormais ex-président. Il ne partira pas seul, les 7 autres élus du bureau de la section du Doubs de la MGEN présentent aussi leur démission.

Sébastien Barbati se demande s’il n’est pas pu être visé en raison de son opposition à plusieurs mesures portées par le siège national lors d’assemblées. Il s’est opposé à la création de l’offre hospitalière de la MGEN, qualifiée dans les textes de « non-solidaire » et qui a été lancée dans le but « d’attaquer un marché » occupé par une autre mutuelle. Cela place pour lui la MGEN « comme les acteurs lucratifs dont nous condamnons les méthodes », juge-t-il. Il dénonce aussi le détricotage des solidarités, comme le déplafonnement des allocations journalières pour ne pas faire fuir les plus hauts revenus. Il critiquait aussi « une vision rétrograde de la gouvernance démocratique » en pointant le renforcement de la structuration hiérarchique au profit de l’administrateur régional. « Je redoutais une mise au pas », indique-t-il avec la crainte de voir la balance pencher toujours plus du côté de la performance économique que de la solidarité.

Renaud Devillers, l’administrateur national de la MGEN chargé de la région Bourgogne-Franche-Comté, réfute toute pression et ne souhaite pas trop s’étendre sur les problèmes internes qui ont conduit à la démission collective du bureau de la section du Doubs. « Ce qui a conduit Sébastien Barbati à démissionner de sa fonction de président relève de la situation singulière de la section du Doubs et des relations particulières qui se sont nouées entre les différents interlocuteurs », dit-il, en reconnaissant aussi des divergences de conceptions. « Il y a parfois des critiques émises. On s’attache à faire fonctionner la MGEN au mieux, en tenant informé et en communiquant les éléments nécessaires à la prise de décision, notamment aux délégués en assemblée générale, l’organe de décision majeur avec le conseil d’administration ».

Pour lui, il n’y a aucune raison de faire une généralisation à partir du cas de la section du Doubs de la MGEN, « qui se porte plutôt bien malgré la situation et la mise en place d’une taxe sur les organismes complémentaires d’assurance maladie qui va nous conduire à taxer malheureusement une fois de plus la solidarité ». Au fur et à mesure des directives européennes et des taxes imposés par le gouvernement, les mutuelles se trouvent soumis aux mêmes règles que les assureurs classique, ce qui met à mal leur pérennité économique si ces taxes ne sont pas répercutées sur les adhérents.

D’autres faits graves

Mais plusieurs autres faits graves sont mentionnés par Sébastien Barbati, comme le débarquement de la directrice d’une autre section de la région. Elle avait dénoncé dans une lettre l’organisation régionale et le manque de place qui était laissée aux élus et aux débats. Elle aurait été insultée par des administrateurs. Placé en arrêt maladie à la suite d’un burn-out, celle-ci a été démise de ses fonctions au printemps 2020 sans qu’elle n’en ait été avertie, indique Sébastien Barbati pour qui cette histoire aura été un révélateur fort, qui le pousse aujourd’hui à dénoncer dans nos colonnes cette situation. D’après lui, elle lui aurait tenu ses propos : « c’est bien le management mis en place qui m’a détruite, ainsi que la négation au quotidien des valeurs mutualistes qui sont pourtant clamées haut et fort. »

Il cite aussi un départ de la section départementale du Doubs, présenté comme une motivation personnelle alors que des reproches lui avaient été faits après l’évocation de problèmes liés aux ressources humaines. Une autre, en évoquant ces mêmes problèmes, a été traitée de folle. Il y a plusieurs années, un salarié aurait menacé de se suicider dans les locaux de la section du Doubs, etc.

Alain Girard, le président sortant de la section du Jura, ne cache pas sa solidarité à l’égard de Sébastien Barbati, pour lui, « c’est inadmissible que le siège n’ait pas essayé de régler la situation ». Sans remettre en cause sa confiance à la MGEN, il pointe tout de même certains dysfonctionnements et le risque que, « à vouloir peut-être ressembler plus aux autres, à lutter contre la concurrence, on met à mal une organisation qui fonctionnait saine qui fonctionnait bien ». Depuis septembre 2017, la MGEN, Istya et Harmonie, se sont unis pour créer le groupe VYV, qui se présente comme le premier acteur mutualiste de santé et de protection sociale en France et qui revendique 11 millions d’adhérents. Cela rend-il plus compliqué d’appliquer les principes de solidarité pourtant encore fièrement revendiqués ? Il semblerait en tout cas que les militants historiques peinent à faire entendre leur voix et leur idéal de mutualisme.

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