C'est au cœur de Mesnay, village qui touche Arbois, dans une petite ferme comme on n'en voit pas souvent dans les grands médias, que la Confédération paysanne de Franche-Comté a rendu publiques ses propositions d'évolution du cahier des charges du comté. Samuel Etiévant et son associé y élèvent trente montbéliardes sur 68 hectares – dont 5 de céréales consommées par le troupeau – répartis en une quarantaine de parcelles étagées de 300 à 600 m d'altitude. Les unes sont à deux pas, d'autres à 5 km, conduisant les deux paysans à déplacer la salle de traite mobile sur les pâturages, afin que les vaches soient toujours à l'herbe, tout en leur évitant la fatigue du trajet vers l'étable.
Dotés d'un droit à produire 180.000 litres de lait par an, ils sont, avec 2800 litres potentiels par hectare, loin du plafond de 4600 litres énoncé par l'actuel cahier des charges. Autonomes, ils ne se fournissent pas à l'extérieur en fertilisants : « la dernière fois qu'on a acheté de l'engrais, c'était 200 kg d'ammonitrate en 2006 », dit Samuel. Depuis, le compost de fumier produit sur la ferme suffit à amender les prairies, tandis que le purin d'une cuve de 100 m³ suffit à donner un coup de pouce au démarrage des céréales au printemps.
Quand on lui demande si tout cela est viable, il rigole : « largement ! je ne suis pas malheureux avec 1500 euros par mois en comptant les avantages qu'on a à côté... » Il est la démonstration vivante qu'une petite ferme tournée vers l'autonomie est rentable en zone comté. C'est d'ailleurs le crédo de la Conf' qui veut depuis longtemps limiter la taille des exploitations après avoir défendu le plafonnement des aides PAC
200.000 litres de lait par an
Cette réflexion incite le syndicat à proposer une limite qui se décline en quantité à produire par unité de main d'œuvre : 200.000 litres par personne, avec une dégressivité de 10% par travailleur supplémentaire, et un maximum à 820.000 litres par an et cinq personnes. Sur 2700 fermes à comté, 2200 produisent moins de 500.000 litres, une quinzaine plus d'un million de litres, la plus importante 1,6 million...
La dernière assemblée générale du CIGC
Guy Mottet espère qu'on pourra « prouver que l'augmentation de la taille met en danger, à terme, la qualité du comté ». Pour Gérard Coquard, une mesure de l'actuel cahier des charges tend à lier ces deux aspects : lors de la traite, le premier jet de lait doit tiré à la main : « il faut garder ce contact entre l'humain et l'animal », explique-t-il. L'inscription de la limitation pourrait-elle conduire au démantèlement de très grosses fermes ? « On n'a pas encore discuté de la formulation, l'adaptation n'est pas encore dans le débat, mais ce ne serait pas si compliqué de trouver des solutions », ajoute-t-il. « Le débat est le même dans la société : qui remet en cause le fait que les compagnies aériennes se bouffent les unes les autres ? C'est un dogme », dit Guy Mottet.
Limiter les fertilisants azotés (les nitrates) à la parcelle
L'affouragement en vert, autrement dit le fait d'apporter aux vaches de l'herbe qu'on vient de couper, est contesté par la Conf' qui aimerait l'interdire avant le 1er juillet pour que les vaches aillent au pré. Pour l'heure, le CIGC songe à interdire l'affouragement en vert avant le 1er juin et le limiter à 75 jours par an. La Conf' aimerait aussi proscrire l'affouragement en maïs vert, tout en permettant une période d'adaptation pour les fermes qui l'utilisent aujourd'hui. L'argument agronomique et environnemental de la monoculture du maïs laissant nus les sols en hiver, ce qui les érode, lessive l'azote et consomme des pesticides, est également économique : un mélange avoine-vesce-trèfle est bien plus rentable.
Destinée à combattre la pratique considérée comme « déviante » de l'affouragement en vert, auquel on a d'autant plus recours que le troupeau est grand et les pâturages loin de l'étable, la proposition d'obliger chaque élevage d'avoir 70 ares par vache à moins de 2 km du point de traite, a été discutée par le CIGC dont l'assemblée générale du 1er décembre a acté un minimum de 50 ares. Il n'a en revanche pas encore discuté de la proposition de limiter les fertilisants azotés (les fameux nitrates) à la parcelle au lieu, comme aujourd'hui, de les plafonner en regard de la surface totale de la ferme. Les enjeux environnementaux de cette revendication sont manifestes.
La taille des coopératives et des ateliers de fromagerie est également dans le collimateur de la Conf' qui veut un plafond de trente fois la taille moyenne de ferme, soit 9 millions de litres de lait que dépassent déjà 15% des ateliers, le plus gros en transformant 25 millions. Une telle mesure renforcerait l'actuel plafonnement du nombre de cuves et de leur capacité. Elle n'empêche pas aujourd'hui certaines coopératives, comme les Monts de Joux qui traitent 100 millions de litres, d'avoir plusieurs ateliers dont certains travaillent irrégulièrement. « On atteint aujourd'hui une taille critique », dit Guy Mottet en rappelant les vagues successives de fusions de coopératives qui sont passées de plus de 500, dans les années 1970, à 125 aujourd'hui, sans oublier 32 ateliers n'appartenant pas à une coop. « On veut que les paysans continuent à contrôler la première transformation », explique Guy Mottet en s'appuyant sur l'idée selon laquelle « à partir d'une certaine taille, la gestion de la coop échappe à l'adhérent ». Ce point n'a pas encore été traité par le CIGC.
Interdire la destruction chimique des prairies
La Conf' propose également de faire passer de quatre à six mois la durée minimale d'affinage du comté. « Cela correspondrait à ce qui se passe sur le terrain, la moyenne aujourd'hui est de huit mois », expliquent ses militants. Ceci étant, plus d'un tiers (38%) des comtés sont vendus avant six mois d'affinage. « Ces comtés sont concurrentiels avec des copies », explique Gérard Coquard qui est « partisan qu'on aille dans le haut de gamme ».
Dans la même veine, le syndicat propose d'interdire le glyphosate, le CIGC l'entend en actant l'interdiction de la destruction chimique des prairies. Il faudra encore discuter pour évoquer sa proposition d' « exiger des aliments complémentaires sans glyphosate ». Le CIGC, qui a interdit les OGM il y a une dizaine d'années, est également sollicité par la Conf' pour interdire les plantes mutées résistantes aux herbicides ainsi que les néonicotinoïdes. La discussion n'a pas encore eu lieu...
Vice-président de la fédération régionale des coopératives laitières, Mathias Bouillet explique « partager les réflexions » du syndicat. Il dit être persuadé qu'il « faut produire différemment, plus qualitatif. Le défi des années à venir est le retour à quelque chose de plus simple, mais ce sera sans doute moins facile à faire partager sur le terrain où tout le monde n'est pas à même de comprendre... Il ne faut pas limiter la taille des ateliers pour se faire plaisir, mais avec des valeurs... »