Cité Brûlard à Besançon : place aux déconstructeurs

Le quartier des 408 est encore habité par plusieurs dizaines de familles, mais la démolition de la première des trois barres de ce quartier populaire a commencé. Il y en a pour trois ans de travaux et le maire a promis aux habitants qui subissent bruit et poussière d'accélérer le relogement...

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Haut dans le ciel, le soleil tape fort sur la dalle de la cité Brûlard ce lundi 9 juillet. Il est 14 heures, midi selon l'astre, et l'ombre du bâtiment 15-27, celui qui longe l'avenue, n'est pas bien large malgré ses douze étages. C'est là que se sont regroupés quelques uns des derniers locataires pour assister ensemble à la drôle de cérémonie qui se prépare à quelques pas, de l'autre côté d'une clôture amovible, sous une grande tente sonorisée.

Rompu au contact avec les habitants des quartiers, le maire Jean-Louis Fousseret s'est arrêté un instant pour écouter. Les récriminations pleuvent. « Chiens méchants, cocaïne, dealers, squatters... Vous privilégiez les murs aux humains », lance un homme d'une cinquantaine d'années. « Je ne suis pas d'accord, répond l'élu, c'est pour ça qu'on va changer vos conditions de vie, je sais très bien qu'il y a des problèmes... » Sur un ton mi badin mi amusé, il me désigne à l'attention de son interlocuteur après m'avoir salué : « il ne faut pas lui parler, c'est un provocateur... » Bien sûr, il en faut davantage pour empêcher un échange entre un journaliste et des habitants.

Un quartier où l'abstention fut majoritaire aux municipales

Un voisin évoque les nuisances du chantier de préparation de la déconstruction qui a commencé en février : « je rentre du travail à 2 heures du matin, les travaux commencent à 7 heures, je ne peux pas dormir... » Le maire promet d'accélérer le relogement des 83 familles habitants encore sur place. A ses côtés, le président de Grand-Besançon-Habitat, Pascal Curie, opine. Également vice-président de l'aggloen charge de la prospective, de l'aménagement et de la stratégie du territoire, responsable du groupe LREM du conseil municipal, il observe l'empathie du maire, indéniablement talentueux dans l'échange avec l'électeur potentiel.

Longtemps bastion de la gauche, comme de nombreux quartiers populaires, la cité a fini par se résigner à l'abstention. Lors des élections municipales de 2014, la participation avait plafonné à 41% au premier tour dans le bureau de vote Lamartine, du nom de l'école maternelle, 43% au second tour. Seul Planoise avait moins... Alors socialiste, Fousseret avait obtenu 38% au premier tour, à peine plus de 50% au second, soit 230 voix sur un quartier ayant compté 1500 habitants pour la seule cité...

La cité Brûlard s'appelle aussi, dans toute la ville et même au-delà, les 408. C'est le nombre de logements construits à la va-vite de 1959 à 1962 dans deux premières barres pour loger des populations ouvrières venues de la campagne et des rapatriés d'Algérie. Comme partout, il y a le confort, moderne pour l'époque : eau courante, eau chaude, chauffage collectif, salle de bains... Et la colline boisée de Rosemont juste derrière. Une troisième barre sera construite peu après et bien que l'on atteigne 588 logements, on continuera à parler des 408.

Le spleen des habitants face aux démolisseurs

Les mutations issues des crises économiques ont transformé le quartier, modifié sa sociologie. Les classes moyennes l'ont délaissé, le chômage l'a envahi, l'économie souterraine a fait vivre quelques familles. Une réhabilitation au rabais a vu la suppression d'une centaine d'appartements et la création de bruyantes coursives. La police s'est plaint d'un plan d'urbanisme entravant ses enquêtes. La maison de quartier a été incendiée puis reconstruite, la supérette délaissée puis rouverte.

Quelques caïds ont défrayé une chronique prompte à décrire les 408 comme un repère de voyous. Beaucoup ne se reconnaissent pas dans ce portrait, souffrent de l'image dégradée qui leur colle injustement aux basques. L'école maternelle Lamartine, implantée au milieu des trois barres, n'a jamais été dégradée. Le quartier a vécu des fêtes mémorables au cours desquelles la diversité des origines et des cultures s'est révélée au grand jour. A entendre les derniers habitants évoquer leurs souvenirs, à écouter ceux qui se sont confiés à notre confrère Clément Jeannin de France 3, on saisit le spleen qui étreint ceux qui voient les démolisseurs à l'œuvre. Pascal Curie l'a d'ailleurs relevé dans son bref discours au micro : « pendant longtemps, ça a été un quartier où il faisait bon vivre... »

Enseignante faisant partie des derniers locataires, Malika a les mots que d'autres ont du mal à exprimer : « les habitants ont toujours été solidaires... Certains sont déprimés de ce qui arrive, c'est un déracinement qui se prépare... Nos parents sont arrivés ici pour reconstruire la France. Ils aimeraient être relogés ensemble... » Légitime revendication de ceux qui vont perdre un environnement, une histoire, des liens... Mais revendication repoussée d'avance, comme l'explique Pascal Curie à Malika qui aimerait aller à Planoise : « On n'a pas le droit de proposer un relogement dans un quartier prioritaire de la politique de la ville... » Sauf dérogation.

Une vieille dame espère cette dérogation : « J'ai vécu à l'Amitié, puis à Planoise et je suis aux 408 depuis 42 ans dont 11 dans la première barre. Ils m'ont proposé les Hauts de Chazal, mais je vis seule, je veux être avec mes amis. Ils m'ont dit qu'ils allaient faire le nécessaire... On verra. Aux 408, on était comme une grande famille, Français, Arabes, on faisait la fête ensemble... »

« Une partie de l'histoire s'en va... »

La fête du quartier, nous y sommes allés plusieurs fois, la dernière en 2015. L'événement était simple et joyeux, enthousiasmant, mobilisateur. Il y avait de la culture et de la solidarité. De la vitalité et de la curiosité qu'on avait aussi perçues lors d'un reportage à l'école primaire de la Grette où vont les enfants du quartier. L'artiste de rue Eltono y était intervenu lors de séances toniques libérant imagination et parole. On s'interrogeait en en sortant, un peu sur le mode d'un vers d'une chanson de Thiéfaine : « Mais que devient le rêveur quand le rêve est fini ? »

Militant de la Confédération nationale du logement, une organisation de locataires représentée au conseil d'administration de GBH, Jean-Paul Esnault contemple tristement les lieux, son regard allant des habitants à la cérémonie : « C'est dommage... Une partie de l'histoire s'en va. Le problème, c'est qu'on a laissé l'incivilité s'installer, puis un jour on ne peut plus rien faire. C'est ce qui est en train de s'installer à Planoise... »

Djamel, un travailleur social qui a passé son enfance dans la cité mais n'y habite plus, a du mal à cacher son émotion en embrassant ses amis et leurs enfants. « Ce n'est pas bien cette démolition... On habite ici, on est voisins, on mange ensemble... Nos gosses sont nés ici... » Hamoudi est arrivé en 2000. Lui aussi est ému : « c'était pas un village, mais un quartier où les familles s'aidaient en tout... ». Il est aussi en colère. Où ira-t-il ensuite ? « Je ne sais pas où ils nous donneront un logement, mais pas à Planoise... »

« Accélérer le processus de relogement... »

Hammana a occupé quatre logements aux 408. « C'est notre grand père à tous », sourit Hamoudi. Hammana dit sa tristesse : « ça me fait mal... Quand t'as habité là depuis 1989... » Lui non plus ne sait pas ce que sera l'après. Il aimerait bien Saint-Ferjeux, ou Planoise pour le tram et les bus... « C'est dommage, on était bien... » Il s'arrête. Jean-Louis commence à parler au micro : « Donc nous y sommes... » Il parle désamiantage, programmation, conditions de vie, redit que « pour les habitants il faut accélérer le processus de relogement... »

Et si un objectif non dit de cette politique était la dispersion des populations dont les rêves sont jugés dangereux ? On sait en effet depuis Haussmann et la création des grands boulevards parisiens, que l'urbanisme officiel a aussi une fonction de régulation sociale. C'est parfois violent, ne serait-ce que symboliquement, dans les mots, à l'égard des classes populaires. Qu'on songe à ce geste, a priori gentil, des salariés de l'entreprise de démolition offrant des pâtisseries et du jus de fruit aux habitants et aux enfants...  

La dispersion, c'est aussi celle des squatters. A entendre les riverains, ceux-ci seraient dans les 200 à avoir occupé des appartements du bâtiment 29, tout au fond, au pied de la colline, encore chauffé cet hiver car quelques familles y logeaient encore. Squatters mais aussi toxicomanes et dealers dont la présence témoigne du délabrement économique et social, éducatif et psychologique. Un professionnel nous montre des photos qu'il dit avoir prises à l'intérieur. On y voit des centaines de seringues sur une table basse entourée de canapés défoncés. Certaines sont dans des bocaux, comme si les junkies savaient les risques de contamination. D'autres sont à même le sol.

Plusieurs habitants nous disent la même chose. Ils ont peur pour leurs enfants. La cérémonie vient de se terminer, la plupart des officiels sont partis quand une altercation à l'entrée de l'immeuble attire notre attention. Des habitants tentent d'empêcher des jeunes de pénétrer. En vain. On nous explique : évacués du 29, ils cherchent d'autres lieux dans la barre du 15-27... Digicodes et interphones ont été cassés... Et ce ne sont pas les appartements vides qui manquent... Pascal Curie est encore là, il n'a rien entendu, se fait raconter. Il réagit : « On est au courant de la situation... Vous pouvez contacter le service médiaction... »

 

Le bâtiment 15-27 sera le dernier démoli.

 

Le grignotage du bâtiment 13 commence...

 

Fête du quartier en 2015

 

Les travaux de démolition de l'auto-pont, avant les travaux du tram, en janvier 2011...
L'épicerie sociale du quartier, en 2015..

 

 

 

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