Ces micropolluants qui rendent l’eau inbuvable

Une étude à paraître dans le prochain bulletin de la Société d'histoire naturelle du Doubs montre que plusieurs centaines de molécules sont présentes dans le Drugeon à Vuillecin, le Doubs à Hyèvre-Paroisse et le ruisseau de Noironte à Ruffey-le-Château dans des quantités cumulées 60 à 150 fois supérieures aux proportions admises pour l'eau de consommation humaine.

539 molécules de micropolluants repérées dans le Drugeon à Vuillecin dont 22 métaux ou métalloïdes, 155 insecticides et leurs dérivés, 6 régulateurs de croissances, 53 fongicides, 119 insecticides, 3 nématocides, 4 rodenticides, 1 conservateur du bois, 3 antiseptiques, 10 retardateurs de flemme, 17 PCB... A Hyèvre-Paroisse, 561 micropolluants ont été repérés dans le Doubs, et 643 dans le ruisseau de Noironte à Ruffey-le-Château... C'est le résultat d'une étude de Gilles Sené, agrégé d'écologie végétale et membre du collectif Loue et rivières comtoises, que doit très bientôt publier la Société d'histoire naturelle du Doubs. Le scientifique a repris les relevés réalisés par l'Agence de l'eau en 2011 et 2012. Il ne s'est pas arrêté à la question de savoir à quelle dose ou concentration, mais a noté toutes les molécules détectées, y compris celles qui ne peuvent pas être quantifiées pour des raisons d'outil de mesure. C'est la raison pour laquelle, afin d'éviter de négliger une molécule détectée, mais pour ne pas la quantifier au seuil de détection, ce qui serait exagéré, il a divisé par deux le total obtenu.

En additionnant toutes ces valeurs, il arrive pour le Drugeon à un total de 12,7 microgrammes par litre dont 4,9 pour les herbicides, 2,3 pour les fongicides et 4,7 pour les insecticides. Il retient donc 6,36 microgrammes par litre dont respectivement 2,45 pour les herbicides, 1,16 pour les fongicides et 2,36 pour les insecticides. Il en conclut à la « présence de pollutions par des pesticides chroniques et massives dans les eaux du Drugeon », peu avant sa confluence avec le Doubs. Ces chiffres sont à mettre en regard des valeurs maximales de pesticides admises pour l'eau potable : 0,5 microgramme par litre, voire 0,1 microgramme pour les molécules.

Ruisseau de Noironte : 37 molécules dépassent la valeur seuil

A Hyèvre-Paroisse, quelques kilomètres en amont de Baume-les-Dames, les mêmes molécules ont été retrouvées, à des concentrations différentes, ainsi que 22 autres molécules dont 6 métaux-métalloïdes et 4 polluants industriels.

Dans le ruisseau de Noironte, avec un contexte agricole très différent (polyculture-élevage), Gilles Sené a relevé 435 pesticides identiques à ceux du Drugeon, ainsi que 95 autres molécules biocides. Il note surtout que 37 molécules dépassent les valeurs seuil, particulièrement les herbicides métazachlore, quinmérac, ortholuron, isoproturon, métolachlore interdit depuis 2001 ou AMPA, ce dernier étant le dérivé du glyphosate plus connu sur le nom de Round-up. Les quantités sont plus du double de celles relevées dans le Drugeon et atteignent, après recalcul, 15,1 microgrammes par litre dont 8,7 d'herbicides, 2,2 de fongicides et 7,2 d'insecticides. Il en déduit notamment « une emprise de l'activité agricole beaucoup plus large que sur les hauts reliefs du massif du Jura, comme à Vuillecin, avec des cultures de céréales exigeant, dans le contexte industriel de l'agriculture du XXIe siècle, de tels traitements dits phytosanitaires, divers et nombreux ».

Du chlodécone utilisé dans les bananeraies de Guadeloupe dans les rivières comtoises !

Militant, Gilles Sené reste un scientifique qui cherche la confrontation avec d'autres recherches, ce qui l'empêche de généraliser, notamment sur les mortalités piscicoles : «  L’étude de concentrations de pesticides sur la basse Loire montre par exemple des concentrations plus élevées pour certains pesticides, sans que la qualité des peuplements en poissons semble s’en ressentir. D’autres études (Bilan de surveillance 2010 sur le bassin de la Seine et Normandie, Agence de l’eau Seine-Normandie) montrent un décalage entre la qualité médiocre, voire mauvaise des paramètres physico-chimiques (en particulier du fait des micropolluants) et la qualité biologique (IGBN, IBD, IPR) plutôt satisfaisante des mêmes cours d’eau. Mais il ne s’agit pas du tout des mêmes biocénoses que dans notre région et les capacités de résistance à différents facteurs ne sont donc vraisemblablement pas les mêmes. Les réponses de ces différentes biocénoses étant différentes, de facto, les biocénoses des cours d’eau du Haut-Jura présentent sans doute des fragilités. Néanmoins, on ne peut s’affranchir des effets de micropolluants sur les biocénoses, comme un des paramètres à prendre en compte dans un contexte multifactoriel de paramètres acteurs de la régression de la biodiversité : eutrophisation, réchauffement climatique, transformations physiques des bassins versants, etc. »

Comment autant de molécules se retrouvent-elles dans les rivières ? Gilles Sené ne s'arrête pas qu'aux pratiques agricoles : « les eaux eaux usées, traitées ou non en station d'épuration, contiennent les molécules toxiques présentes dans les aliments des populations humaines du bassin versant, entraînées par l’urine et les excréments, sans traitement adapté. C’est ainsi que doit sans doute s’expliquer la présence de traces de chlordécone, l’insecticide utilisé dans les bananeraies de la Guadeloupe, et aux effets si dramatiques (interdiction de cultures vivrières et de pèche en mer pour de nombreuses décennies en Guadeloupe). Le lessivage de décharges, plus ou moins autorisées au fil des décennies, doit aussi assurer une partie des concentrations des molécules observées. Enfin, l’air atmosphérique est loin d’être propre par rapport aux pesticides : une étude ASQAB réalisée en 2004, en Franche-Comté, a permis de retrouver une vingtaine de molécules sur les 66 recherchées, en zones de cultures comme à Besançon. De fait, l’Europe, et la planète, sont parcourues par des nuages de polluants d’origine agricole, aux signatures diverses suivant les cultures et les saisons de traitement. La même étude démontre la présence de 10 de ces pesticides dans l’eau de pluie. De la goutte de pluie à la rivière, le chemin est bien vite parcouru. La présence, dans l’eau du Drugeon comme du ruisseau de Noironte, de 10 retardateurs de flamme, composés bromés toxiques, s’échappant dans l’atmosphère à partir de tous les appareils électriques en fonctionnement doit aussi s’expliquer par de tels circuits faisant intervenir l’atmosphère, les précipitations et les cours d’eau. »

 

 

 

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