Center parcs : le Pic noir va contester le PLU de Poligny

L'association d'opposants au projet de Pierre et Vacances a fait le bilan de trois ans de lutte lors de sa dernière assemblée générale. Eau, assainissement, forêt, montage financier ont été passés au crible. La mobilisation reste à l'ordre du jour, ne serait-ce pour réunir les moyens de l'action juridique...

ag3

L'alimentation en eau du Center parcs en projet dans la forêt de Poligny ne serait pas un problème technique, mais plutôt de basse politique. Initialement, tant le département du Jura que le groupe Pierre et Vacances expliquaient qu'ils cherchaient de l'eau auprès de deux fournisseurs : le syndicat des eaux du Centre-Est Jura qui s'alimente dans l'Ain, à la source de la Papèterie, et le syndicat des eaux de Heute-la-Roche dont les captages sont dans la nappe phréatique à Mirebel.

Problème numéro un, ces deux sources n'apparaissent pas suffisantes pour fournir sans risque les 500 mètres cubes quotidiens exigés par le village de vacances. En un an, la source de l'Ain a connu six coupures, dont une première hivernale. Quant aux deux forages exploratoires effectués dans la nappe à plus de 100 mètres de profondeur à Mirevel pour plus de 100.000 euros, ils ne sont pas concluants : chargement en fer et manganèse nécessitant un traitement, rendement trop faible, turbidité... Conclusion : « le syndicat n'a pas souhaité faire un troisième forage », explique Marie-Madeleine Perrard, maire-déléguée.

Problème numéro deux, ces deux syndicats des eaux ne sont juridiquement pas compétents pour fournir le Center parcs, c'est le syndicat des eaux Arbois-Poligny qui l'est. C'est ce qu'avait dit pendant le débat public Gabriel Amard, de la COJEACoordination jurassienne eau assainissement. C'est ce que rappelait dès le mois d'août dernier son président, Alfred Passarin : « il n'y a pas à aller chercher ailleurs » (Le Progrès 22.08.2016).

M Passarin l'a confirmé à Factuel : « le jour où il y a une décision, si le syndicat Arbois-Poligny n'est pas pris, je vais au tribunal administratif, et jusqu'au Conseil d'Etat s'il le faut ». Sa structure dispose de la ressource suffisante dans la nappe de la forêt de Chaux, et des moyens financiers de faire les travaux d'adduction, qui plus est à un coût inférieur aux deux autres solutions : 1,75 million au lieu de 4 ou 5 ! « On est les plus près, à 7 km, notre canalisation passe au pied de la côte, près de la piscine de Poligny ».

« Les trois présidents de syndicats nous ont appris qu'ils n'ont jamais été consultés par le département pour des études ou des chiffrages », ajoute Gabriel Amard.

Quelle place pour les grandes entreprises délégataires du marché de l'eau ?

Dans ces conditions, on s'étonne que le syndicat Arbois-Poligny, bien que mentionné comme un fournisseur potentiel, n'ait pas été sollicité par le département. « On n'a pas d'informations sur la stratégie du département », commente Jean-Paul Gaulier, maire délégué de La Chailleusecommune nouvelle comprenant Saint-Laurent la Roche dont il était maire, adhérente au SIE Heute-la-Roche, . Faut-il voir dans cette curiosité un dégât colatéral du partage du territoire entre les grandes entreprises délégataires des marchés publics d'adduction d'eau ? On ne peut que poser la question et constater que le syndicat du Centre-Est fait travailler Véolia (ex Lyonnaise des eaux), le syndicat Heute-la-Roche a confié sa DSP à Suez, et le syndicat Arbois-Poligny à la Sogedo.

Un élu local estime que l'insistance du département à travailler sur les deux premières hypothèses est à mettre en parallèle avec le fait que leur mise en œuvre suppose d'importants chantiers de travaux publics. Soupçonne-t-il un projet de corruption ? La réponse est un silencieux sourire... Alfred Passarin, qui n'est « pas contre le center parcs », parle quant à lui de « copinage »... Mais il balaie l'hypothèse de la concurrence entre groupes de distribution d'eau : « Ça ne fonctionne pas comme ça ». Il a quand même mis dehors l'ex Lyonnaise (aujourd'hui Suez) qui faisait « des réparations de bouts de chandelle ».

Du coup, on se perd en conjectures : pourquoi orienter les regards sur des solutions techniquement et juridiquement sans issue ? S'agirait-il de feindre découvrir in fine, après que les contestataires du projet aient mis en avant les impasses de la Papèterie et de Heue-la-Roche, que les captages de la forêt de Chaux vont leur clouer le bec ? D'ailleurs, assure Alain Raby, militant du Pic noir, « pour la DREAL, c'est tranché, ce sera le syndicat Arbois-Poligny... » Attale Mottet tire une leçon des incertitudes : « ne soyons pas impressionnés par ceux qui soufflent le chaud et le froid et utilisent la presse pour ça... »

La ressource en eau n'est pas la seule problématique. Celle de l'assainissement est sans doute plus cruciale, comme le soulignaient les services du département du Jura dans un avis rendu dans le cadre de l'enquête publique sur le PLU de Poligny. Ce que le cabinet d'avocats de Corinne Lepage, mandaté par le Pic noir, n'avait pas manqué de relever dans son mémoire, que ce soit avec l'actuelle station d'épuration ou une autre à construire : « la nouvelle station ne permet pas de respecter l'objectif de qualité de l'Orain [rivière réceptacle] avec ou sans raccordement du Center parcs ».

Compensation qualitative ou compensation quantitative ?

Lors de l'AG du Pic noir, le 5 mai dernier à Poligny, ces deux questions de l'eau et de l'assainissement ont été longuement abordées. Un responsable de la fédération de pêche a en outre souligné que la zone « truffée de trous » de Solvay, au pied du Revermont, est le réceptacle « d'eaux non collectées qui remplissent ces trous, et on ne sait pas ensuite où ça ressort : cela n'a pas été pris en compte dans les projets d'assainissement ».

Pas question non plus d'oublier la forêt ! Bernard Pouillard explique que le projet est « passé de 150 hectares à 88 grâce à notre action ». Et même si « c'est 88 de trop », les plans figurant au PLU en ont omis une quinzaine pour les voies d'accès : « l'étude de Pierre et Vacances n'allait pas jusqu'au center parcs », souligne le forestier. Il s'étonne aussi qu'à la demande de l'ONF d'une « compensation qualitative » de la perte forestière, le maire de Poligny réponde par une « compensation quantitative ».

On ne s'étonnera donc pas que le Pic noir ait décidé de contester le PLU de Poligny, considéré comme le « feu vert pour que Pierre et Vacances dépose un permis de construire ». Devant être déposé dans les deux mois suivant l'adoption du document, le 23 mars par la communauté de communes Coeur du Jura, un recours gracieux est imminent. S'il est rejeté, l'association aura alors deux autres mois pour saisir le tribunal administratif.

On le constate, le projet n'est donc pas près de démarrer. Pourtant, la communication officielle initiale avait annoncé la décision de Pierre et Vacances pour fin 2015, un démarrage des travaux au second trimestre 2017, et une ouverture pour l'été 2019. Nous en sommes loin. Attendant que la voie soit juridiquement dégagée, le groupe n'a toujours pas dit s'il entendait ou non maintenir le projet.

La « volonté sincère d'assurer la transparence »...

Le Pic noir ne ferraille pas seulement sur le juridique. Trois rencontres ont eu lieu avec le conseil régional : « j'ai le sentiment d'une volonté sincère de Marie-Guite Dufay et Patrick Ayache d'assurer la transparence », explique Hervé Bellimaz qui est persuadé qu'ils ont été « ébranlés par ce qu'on a dit ». Outre le fait que « derrière nos mots, il y a une conséquence juridique », le militant explique que l'association est prise au sérieux par son expertise : « les trois cabinets d'études mandatés par la région ont souligné les difficultés que nous avions vues, notamment la fragilité financière de Pierre et Vacances analysée par Pierre-Emmanuel Scherrer. Cela les a déstabilisés qu'on utilise le vocabulaire compétent ».

En écoutant le rapport d'activités présenté à onze voix lors de l'AG, on réalise l'ampleur du travail effectué par les militants. « Quand les adhérents nous ont demandé des lettres types pour l'enquête publique sur le PLU, cela nous a forcés à aller plus loin dans la compréhension et la vulgarisation du dossier », explique Véronique Guislain. « On a par exemple creusé le principe de précaution ». Les conditions de l'enquête publique ont aussi été critiquées : « le maire répondait à la place du commissaire enquêteur aux questions des gens, c'est interdit »...

Reste que la lutte des opposants demeure celle du pot de terre contre le pot de fer ! On s'en rend compte en regardant la comptabilité du Pic noir. La moitié de son budget 2016 d'environ 6000 euros est passé en frais d'avocat. Comme d'autres procédures sont prévisibles, il faut trouver les moyens de les financer car « les cotisations ne suffiront pas ». Les idées ne manquent pas, d'une fête en forêt cet été à une brocante à l'automne en passant par l'organisation de conférence et la participation à des festivités diverses.

Cette dimension du partage est cruciale. « Ces trois ans nous ont fait grandir, mais au-delà du militantisme, c'est une aventure humaine forte, avec des gens de tous bords », explique Véronique Guislain. Il y a aussi les relations, parfois sportives, avec les autres collectifs d'opposants aux centers parcs non seulement de Poligny, mais aussi du Rousset et de Roybon. Un « échange fructueux » s'est tenu avec le CJOCP qui organise un prochain rassemblement le 17 juin dans la forêt de Poligny, le Pic noir y tiendra un stand. Après de vives critiques mutuelles, vient le temps de la reconnaissance des « différentes démarches » poursuivant le même but.

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !