Center Parcs de Poligny : Pierre & Vacances saisit la Commission nationale du débat public

Le groupe a six mois pour constituer un dossier complet intégrant le projet du Rousset (Saône-et-Loire). Environ 300 personnes ont participé vendredi 5 décembre à Poligny à la première réunion publique organisée par l'association Le Pic noir qui s'oppose au projet. Le chercheur Clément Mabi nous explique les risques et atouts du débat public.

picnoirpoligny

Véronique Guislain a un pressentiment. Vendredi 5 décembre, en concluant la première réunion publique d'information organisée à Poligny sur le projet de Center Parcs envisagé dans la forêt communale, 200 m plus haut sur le premier plateau, elle prend un ton grave. Militante du Pic noir, par ailleurs porte-parole d'EELV-Lons, elle raconte ce qu'elle a vu à la manifestation contre le Center Parcs de la forêt des Chambaran, en Isère : « une guerre inter-villages affichée, deux clans qui ne se parlent plus, des vigiles embauchés par Pierre & Vacances qui tapent. J'espère qu'on n'en arrivera pas là ». Les partisans du Center Parcs des Chambaran ont manifesté dimanche (voir leur site ici). Le défrichement de la forêt y a commencé après le feu vert du préfet malgré l'avis défavorable des commissaires enquêteurs à l'issue de l'enquête publique...

« Une fois sur deux, voire deux fois sur trois, ça ne marche pas »
Chercheur en information et communication à l'IUT de Compiègne, Clément Mabi vient de passer une thèse sur l'usage du numérique par la Commission nationale du débat public. Il pointe l'importance du choix du président de la commission ad hoc et de ses premiers pas sur le terrain.
Le numérique sert-il à phagocyter les débats ?
Ce n'est pas tant le numérique en soi qui pose problème, mais ce qu'on en fait. C'est un levier d'inclusion dans certains cas, de contournement des critiques les plus radicales dans d'autres.
Lire la suite de l'entretien ici

Après la réunion donc, Véronique Guislain a parlé avec quelques jeunes prêts à en découdre. Elle a argumenté, expliqué que la mobilisation est à construire, qu'elle doit investir le terrain juridique et économique en appui aux arguments environnementaux : « La lutte sur le terrain est pour plus tard, on n'en est pas encore à planter la tente dans la forêt de Poligny, même si certains y sont prêts... J'espère que le bon sens et la mobilisation citoyenne permettront de co-construire, ensemble, un projet alternatif ».

« Quand va-t-on agir et arrêter de discuter ? »

En entendant Véronique Guislain, les 300 personnes qui se pressent dans la salle des fêtes de Poligny ce 5 décembre, comprennent pourquoi, une heure auparavant, elle a différé sa réponse à quelqu'un ayant demandé de rentrer au plus vite « en résistance », en lien avec les Zadistes de l'Isère. Un autre jeune homme avait été applaudi quelques minutes avant en lançant : « quand va-t-on agir et arrêter de discuter ? Sinon, on se fera entuber, comme d'habitude ! » Le Pic noir n'entend manifestement pas mettre la région à feu à sang, mais commencer par le début. Récupérer de l'information et la partager. De fait, l'association a quelques coups d'avance. Elle a tenu deux réunions, à Plasne et Baretaine, villages riverains du site dont les populations semblent partagées. Au Fied, la troisième commune concernée, c'est la mairie qui en organisera une.

Dominique Bonnet (maire de Poligny) : « il faut maintenir le dialogue, même si les positions sont différentes »
Comment analysez-vous la saisine par Pierre et Vacances de la Commission nationale du débat public ?
Le contexte national actuel fait que ce débat est nécessaire. Les mobilisations, avec leurs conséquences fortes, fâcheuses comme à Sivens, font qu'il faut dialoguer. Il ne faut pas radicaliser, mais objectiviser, il faut un plus large débat avec les associations, la population...
Leur avez-vous conseillé de saisir la CNDP ?
Ils sont à l'écoute de ce qui va se passer. Notre volonté à nous est de débattre. Nous sommes dans un département serein, où tout le monde se connaît. On peut faire le parallèle avec le Rousset dont la forêt est en zone humide, alors que c'est totalement différent pour nous : c'est une petite forêt noyée dans une grande forêt de 10.000 hectares.
Que pensez-vous de la réunion du Pic noir où il y avait bien 300 personnes...
J'ai vu au moins quinze personnes qui y étaient, il y avait 250 personnes... Certains ont été étonnés de l'opposition de principe. C'est un autre débat, à déconnecter. Il faut un vrai débat écologique, sur les conséquences et les atouts, pour écrire ensemble un cahier des charges avec les demandes à faire à Pierre et Vacances, par exemple le bois du Jura pour les cottages... Il faut trouver ensemble une parade pour réussir.
L'économie du projet a largement été abordée lors de cette réunion...
Il n'y a pas de subventions à fonds perdus, mais une avance des collectivités avec retour sous forme de loyers. Ce concept marche depuis 1967. Il ne faut pas être idéologique, mais pragmatique.
Claude Chevassus a fait son calcul et dit qu'on pourrait créer 3000 emplos avec la même somme.
Claude est un humaniste. On peut tout faire dire aux chiffres. Le conseil général et le conseil régional retrouveront leurs billes...
Quand même, 300 à 340.000 euros d'argent public par emploi créé, c'est beaucoup !
On peut faire dire ce qu'on veut aux chiffres. Avec 9 millions d'euros, je finance 300 emplois un an...
Il y a le dispositif Censi-Bouvard qui exonère la TVA...
Si on détaille toutes les aides, il faut le faire sur tout... Aujourd'hui, un petit groupe s'exprime et une majorité silencieuse ne dit rien. Il faut être raisonnable, et prendre en considération les problèmes techniques et écologiques. Si ça se fait, ça se fait. Si ça ne se fait pas, il ne faut pas s'obstiner. Pierre et Vacances est en contact avec la Chine : que vont-ils s'entêter si la France n'en veut pas... et on deviendra un immense parc d'attraction... J'ai rencontré un petit groupe informel d'adhérents du Pic noir. Ils ont été gentils, ils m'ont écouté...
Véronique Guislain craint une situation où les gens ne se parleraient plus...
L'objectif est de ne pas couper les ponts. Il faut maintenir le dialogue, même si les positions sont différentes.
Avez-vous peur d'une ZAD, d'une occupation ?
La ZAD est peut-être possible. Il faut dédramatiser, s'expliquer... S'il y a des modifications à apporter, on peut par exemple diminuer les fonds publics et augmenter les fonds privés, mettre davantage de fonds bancaires...

Le scénario est maintenant rodé. Antoine Bérodier projette un diaporama expliquant le projet. Il vise une objectivité critique : « 400 cottages, 150 hectares de forêt, 100 autres hectares en réserve, 12.000 m2 d'équipements, un aquamondo à 29°C... C'est l'équivalent d'une commune de 2000 habitants, avec leurs besoins en électricité, en eau : 570 m3 par jour... Ça coûte 170 millions d'euros dont une bonne part des collectivités et de mesures fiscales. Les cottages sont vendus sur plan à des particuliers, des banques, des assurances... L'aquamondo est vendu à une société d'économie mixte. Pierre et Vacances achète et aménage le site, les collectivités s'occupent de la voirie et des réseaux eau et assainissement... »

344.300 euros d'argent public par emploi créé...

Il entre dans la technique, se fait pédagogue : le montage financier pour les cottages se fait sur 20 ans, avec une réduction fiscale de 11% sur l'achat et un exonération de TVA grâce au dispositif Censi-Bouvard. Problème, « le bail est de 9 ans après lesquels le loyer est en général révisé à la baisse, sans compter la rénovation. On peut alors revendre à un prix fixé par Pierre et Vacances et en remboursant une partie de la TVA... ».

Antoine Bérodier compte aussi l'argent public investi dans l'aventure : 33 millions dans la SEM une société d'économie mixte qui aurait pour actionnaires Pierre&Vacances, la région, le département du Jura, la communauté de communes du Grimmont, la ville de Poligny. Une SEM commune est même envisagée avec le projet bourguignon, 14 millions dans la voirie et les réseaux, 12 millions de crédit d'impôts, 28,8 millions de TVA non versée... Vous avez fait l'addition, on arrive à 87,8 millions d'euros. Rapportés aux 225 emplois équivalents temps pleins, cela fait « 344.300 euros par emploi créé, soit 17,5 années de SMIC... » Quelqu'un demande comment sont calculés les 14 millions pour la voirie et les réseaux. « C'est un document du Conseil général présenté lors du vote du protocole », répond Atale Mottet, co-fondatrice du Pic noir, « on se demande d'ailleurs si ce sera suffisant pour refaire les routes, déjà qu'il manque 6 millions pour le contournement de Lons-le-Saunier... »

« Si on avait tous ces fonds publics pour l'économie, ce n'est pas 300 emplois qu'on pourrait créer, mais 3000 ! »

Dans le public, Claude Chevassus, un entrepreneur qui a créé l'association de lutte contre le gaspillage, a vite compris l'équation : « Il faut se mobiliser pour trouver une alternative à ces 250 à 300 emplois dont beaucoup sont précaires. Il faut trouver des emplois d'une égale dignité, on pourrait lister tous les besoins non satisfaits. Si on avait tous ces fonds publics pour l'économie, ce n'est pas 300 emplois qu'on pourrait créer, mais 3000 ! » 

Lire ici, sur le Huffington Post, une tribune du président de la CNDP, Christian Leyrit, qui fut conseiller technique des ministres de l'Equipement et du Logement des gouvernement Rocard en 1988 et 1989. Directeur des routes au ministère de l'Equipement, il instruisit notamment le projet du viaduc de Millau dont il présida le jury.

On s'interroge aussi sur la nouvelle tombée la veille : Pierre et Vacances a saisi la Commission nationale du débat public qui, malgré un projet inférieur aux 300 millions requis, a accepté le 3 décembre, tout en liant le projet polinois avec celui du Rousset. La conséquence est que le groupe a jusqu'au 6 juin pour présenter un dossier complet, après quoi s'ouvrira une période de trois mois de discussion, en grande partie en pleine période estivale : les militants renonceront-ils aux vacances ou demanderont-ils une prolongation du délai ?

« Proposer une alternative et avoir un débat entre un projet de territoire et celui d'un promoteur... »

Le Haut-Jurassien Michel Dubromel, membre du bureau national de France Nature Environnement, analyse la nouvelle comme « un changement de stratégie de Pierre et Vacances qui a toujours travaillé dans la discrétion. Je suis optimiste, ça peut faire gagner 6 mois à un an. D'autres pensent qu'ils passeront quand même en force... En tout cas, ça les oblige à tout mettre sur la table. Si la CNDP estime que toutes les conditions ne sont pas réunies, elle peut les renvoyer à leurs chères études. Ça nous permet aussi d'avoir quelques mois devant nous. Il faudra proposer quelque chose, une alternative, dire ce qu'on veut pour le tourisme dans le Jura, plutôt que oui ou non à tel projet. Afin d'avoir un débat entre un projet de territoire et celui d'un promoteur... Il faut faire confiance à l'intelligence collective... »

Dans la salle, le Center Parcs a quelques partisans. Roland Chaillon, conseiller municipal PS de Poligny et candidats aux cantonales en 2008, est l'un d'eux : « S'il n'y avait pas eu de projet Pierre et Vacances, on aurait fait une coupe blanche dans la forêt au même endroit car le peuplement arrive à maturité ». L'argument passe mal et reçoit quelques huées alors que des voix s'élèvent : « laissez le parler ! ». Il poursuit : « On a une énorme difficulté à apporter des emplois en secteur rural, il y a 700 logements vides à Poligny... mais je reconnais que vous avez des arguments recevables, notamment sur la concertation. En outre, peu d'entreprises régionales pourront répondre à l'appel d'offres pour les travaux ». 

« A 255.000 euros d'argent public par emploi, on peut vraiment imaginer autre chose »

Venu de Saône et Loire avec deux amis du collectif Geai du Rousset qui lutte contre le projet du Rousset, Dominique Cornut n'est pas convaincu : « On nous a aussi proposé l'argument de la forêt en fin de gestion... Pourquoi pas, mais l'enjeu n'est pas là, c'est celui d'un modèle touristique. On sent que les élus s'en remettent à des grands projets alors que de nombreuses potentialités locales ne sont pas exploitées ». 

Jacques Guillot, qui fut tête de liste PS en mars dernier, avoue être partagé : « Nous avions un projet de démocratie participative, mais la campagne a été polluée par le projet de Center Parcs et [Dominique] Bonnet qui annonçait 300 emplois... Cet argument est fallacieux, on est plutôt à 150 équivalents temps pleins. A 255.000 euros d'argent public par emploi, on peut vraiment imaginer autre chose ». Notons au passage qu'il ne fait pas le même calcul que le Pic noir, mais la note est quand même salée.

« Former sur fonds régionaux les salariés en les envoyant en stage dans les autres Center Parcs... »

Véronique Guislain poursuit la critique : « Le projet prévoit des restaurants en concession, un magasin Carrefour, la livraison de repas aux résidents, une boulangerie Paul et des boutiques de prestige, toutes les activités sportives sur place, même la balnéothérapie : ce ne sont pas Lons et Salins qui vont bosser ! Sur leur site, je vois 1619 euros la semaine pour quatre personnes alors que pour les mêmes prestations, c'est 288 à 500 euros sur le site des Gîtes de France. Et ils prétendent faire du tourisme social ! Enfin, on va former sur fonds régionaux les salariés en les envoyant en stage dans les autres Center Parcs... »

L'unique conseillère générale écologiste du Jura, Marie-Odile Mainguet, qui sera sans doute candidate sur le grand canton de Poligny, affirme pour sa part qu'on « peut créer des emplois dans le social, en revalorisant l'APA » et regrette qu'il « n'y ait plus de fonds pour l'immobilier d'entreprise au conseil général... » Dans la salle, une bonne trentaine de personnes auront pris la parole. « Pierre et Vacances a besoin d'aides publiques, sinon son projet ne tient pas », dit l'une. « Je suis d'accord pour un Center parcs, mais seulement financé par des fonds privés », dit un adhérent du Pic noir. Plusieurs voix regrettent qu'on insiste pas sur les questions environnementales, mais elles paraissent faire consensus. « On va prendre de l'eau de la vallée de l'Ain pour la mettre sur la vallée de la Seille », s'offusque quelqu'un en apprenant le projet d'adduction d'eau en provenance de Champagnole...

Le 19 décembre, les plus tenaces militants jurassiens iront rendre la politesse à leurs voisins qui tiennent leur première réunion à Montceau-les-Mines. Ils ont décidé de travailler ensemble.

Nous avons sollicité Pierre et Vacances qui nous a promis un retrour, mais nous ne l'avons pas encore reçu. Nous avons également laissé un message au président du Conseil général du Jura qui défend fortement le projet, mais il ne nous a pas encore recontacté.

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