Center Parcs de Poligny : « on n’était pas obligé de faire ce débat »

Le président du Conseil général du Jura a fait le show lors d'une réunion publique où il a été soumis à de nombreuses questions et critiques. Alors que Pierre & Vacances a créé deux filiales dédiées au projet en 2008, il était temps de commencer la discussion publique...

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Ça commençait à la ficher mal. Jusqu'à mercredi 17 décembre, les seules réunions publiques d'information sur le projet de Center Parcs de la forêt de Poligny ont été organisées par les opposants. Christophe Perny s'est donc résolu à descendre dans l'arène, un exercice qu'il affectionne, comme il l'a rappelé d'emblée : « c'est notre méthode depuis 4 ans, l'échange permanent y compris sur les dossiers où les échanges sont vigoureux. On l'a fait aussi sur le budget ou l'écoparc alors qu'on n'y est pas obligé ».

Certes pas obligés légalement, mais quand même un peu, politiquement. Les porteurs de l'engagement des collectivités locales au côté du groupe Pierre & Vacances ont dû commencer à assumer leurs raisons et défendre leurs arguments dans des cercles plus larges que les assemblées d'élus. Ce n'était pas leur intention première, ils ont changé de stratégie, y compris en sollicitant, comme Pierre & Vacances, la Commission nationale du débat public (CNDP). Et en en faisant un argument de leur bonne foi : « on n'était pas obligé », a répété Christophe Perny.

Si le débat n'était pas obligatoire, il était indispensable. Le projet est en effet sur les rails depuis plusieurs années. Pierre & Vacances a ainsi créé en 2008 deux filiales dédiées au projet : une société de marchands de biens immobiliers, Poligny-Cottages, et une entreprise de location de terrains et autres biens immobiliers, Poligny-Equipements. Elles n'ont aucune activité mais sont prêtes à être activées. Leur existence n'a pas été mentionnée lors de la réunion, mais elle montre que le projet a plusieurs longueurs d'avance sur les populations. Le groupe a « visité de nombreux sites dans le Jura, fait de la prospective entre 2006 et 2009 », confirme Dominique Bonnet, le maire de Poligny.

« On peut amender, pas discuter avec des gens qui sont contre tout... »

La réunion dure depuis près de deux heures quand dans la salle Laurent Assathiany, de Montmalin, se lève pour évoquer la mort de Rémy Fraisse à Sivens : « c'est le genre de situation à bannir en prenant les problèmes en amont ». Il cite Christian Leyrit, le président de la CNDP : « pour que les citoyens retrouvent la confiance, il faut que le débat ait lieu suffisamment tôt, en amont des décisions, lorsque les choix ne sont pas arrêtés et que d'autres options sont possibles. Les citoyens doivent aussi disposer d'éléments pluralistes et d'expertises indépendantes ».

L'enjeu pour la filière bois
Laurent Chauvin, constructeur bois à Mont-sous-Vaudrey, est l'un des rares participants à exprimer son approbation du projet. D'autres viendront discrètement signifier leur accord aux élus après la réunion. Laurent Chauvin espère notamment de l'activité, notamment après que Christophe Perny ait assuré avoir obtenu de Pierre & Vacances que les cottages seraient en bois du Jura : « c'est une chance historique pour la filière : quand on fait vivre des entreprises et des emplois jurassiens, l'argent est bien investi ».
Mais Laurent Chauvin ne cache pas son « appréhension : ce sont de gros marchés que les majors récupèrent. Il faut être très vigilant sur la structuration de la filière locale. Sinon, on aura des miettes ou des marchés sans la marge... » Le président du Conseil général promet : « Nous serons vigilants sur la taille des marchés. On a commencé à discuter avec Pierre & Vacances pour qu'il y ait plusieurs lots et une compétition accessible aux Jurassiens ».

Puis il interroge les élus : « Y êtes-vous prêts ? » Christophe Perny ne cille pas : « On organise des débats, on ne se cache pas... Il y a un moment pour la décision. On peut amender, mais pas discuter avec des gens qui sont contre tout... L'exemple que vous donnez n'est pas un mode d'expression ». Reste que Christian Leyrit prend bien soin de préciser que « les opposants ne doivent évidemment pas être confondus avec les casseurs, qui se présentent eux-mêmes comme les ennemis de la démocratie et qui manifestent parfois à leurs côtés ».

« Un projet réfléchi, construit, argumenté... »

Avant de présenter le projet, le président du Conseil général avait marqué son territoire et cadré le débat : « c'est normal qu'il y ait des questions, des doutes, des peurs... Il faut des réponses, donner la vérité des chiffres et des enjeux, ne pas avoir la volonté de faire peur. Ce projet vient d'une réflexion collective et pas d'une idée farfelue, il est réfléchi, construit, argumenté... On est en relation d'honnêteté avec Pierre & Vacances qui n'a jamais fait de surenchère, on est seulement resté sur le cahier des charges, il n'y a pas de course aux fonds publics ».

2 millions pour le remembrement de Plasne : budgété ou pas ?
« D'accord pour le Center Parcs, mais à Plasne, on a appris le projet par le journal », regrette Christophe Cathenoz qui soulève l'obligation d'en passer par un remembrement sur les 450 hectares agricoles du village : « à 450 € l'hectare, ça fait dans les 2 millions. Est-ce budgété ? Et la station d'épuration : on risque d'avoir les emmerdes et la merde : comme agriculteur, je peste contre ce projet... Et on est nombreux à penser que la meilleure arrivée au Center Parcs, c'est par la RN 5 », finit-il sous les applaudissements.
Perny est prudent : « il faut une évaluation pour le remembrement, des études pour l'assainissement... » Le directeur général des services du Conseil général, Bertrand Speck, ajoute qu'une majorité de paysans est nécessaire pour que le remembrement se fasse, et donc il faut en « mesurer l'acceptabilité ». Quant à la desserte par la RD 68, c'est le résultat d'une « consultation locale ».
Reste qu'on ne sait toujours pas si le remembrement est budgété...

Puis il avait présenté le montage financier. Citant le montant global (170 millions), il n'a traité que de ce qui relève des collectivités territoriales, une société d'économie mixte aux fonds propres de 70 millions abondés à 20% par des « partenaires privés ». Qui sont-ils ?, interrogera le bisontin Hervé Drouot, candidat indépendant aux cantonales 2011 et législatives 2012. « Il n'y a pas d'engagement pour l'instant, j'ai organisé une réunion avec un pool de banques de la place, il y a un intérêt réel », répond Christophe Perny.

Retombées économiques et financières

Au printemps, il était question de 66 millions pour la SEM dont, pour les collectivités, 19 apportés par le Conseil général du Jura, 8 par le Conseil régional de Franche-Comté, le reste pour la ville de Poligny et la Communauté de communes de Grimmont. Depuis, on est passé à 70 millions et une SEM commune avec le projet bourguignon du Rousset est annoncée mais des points restent vagues : « nous ne sommes pas en discussion financière, il faut attendre après les élections départementales », dit Dominique Bonnet, le maire de Poligny, interrogé sur les participations locales.

Côté recettes de la SEM, Christophe Perny annonce 85 millions de loyers encaissés sur 20 ans, sans préciser la répartition entre les actionnaires, mais en indiquant une progressivité : 2,9 millions la première année, 4,8 la dernière. Il relaie les chiffres de Pierre & Vacances, annonce 600.000 nuitées représentant 10% du potentiel jurassien qui généreront 5 millions de retombées économiques grâce aux « produits locaux et aux circuits courts » et 10,7 millions de retombées fiscales sur 20 ans : 700.000 euros pendant les travaux, puis 530.000 euros par an en phase d'exploitation.

Un réservoir d'eau de 1500 mètres cubes
Le karst, l'eau, l'assainissement... Ces questions sont « complexes », admet Christophe Perny en assurant qu'elles « ne sont pas confiées à des amateurs ». Bertrand Speck, le DGS, évoque des « difficultés » et « deux solutions possibles » pour l'adduction d'eau : la première à La Roche où il faut « diversifier » la ressource et le syndicat du centre-est (Champagnole) où il faut aller « chercher l'eau plus loin et renforcer le réseau ». Il est en outre prévu de construire sur le site du Center parcs un réservoir de 1500 m3 afin de garantir l'approvisionnement tout en ayant de quoi éteindre un incendie.

La qualité des emplois contestée ? « Vous dîtes n'importe quoi ! »

L'emploi est l'argument massue invoqué par Christophe Perny : « 300 à 500 pendant la construction, puis 300 en phase d'exploitation60 en restauration, 15 en boutiques, 45 aux caisses et animation, 40 accueil/administration, 140 ménage et entretien. Il y aura toutes les qualifications, vous avez forcément un ami, un enfant, un frère concerné... On anticipera avec l'offre de formation qu'on mettra en place ». C'est comme cela qu'il conçoit le développement durable « qui est avant tout le développement humain ».

Jacques Guillot, tête de liste socialiste nettement battu aux dernières municipales, est sceptique sur la qualité des emplois : « l'INSEE dit qu'il y aura un quart de CDD, la moitié d'emplois à 9 heures hebdomadaires et 319 euros par mois ». « Réservé » sur le projet, il estime « contestable » le modèle économique. Christophe Perny est violent : « On est censé être dans le même camp, mais ce que vous dîtes sur l'emploi est fantaisiste. On est là pour rectifier ceux qui disent n'importe quoi. La campagne municipale est le meilleur référendum, si vous aviez été plus clair, vous auriez fait mieux, vous n'êtes pas bon ».

« Jeune vigneron contre le Center parcs ? On saura leur dire où ne pas aller ! »

La vigueur de la charge n'empêche pas Valentin Morel, jeune viticulteur, de pointer la faiblesse économique du dossier : « Votre power point élude des questions sérieuses, il n'y a rien sur la consommation d'eau. On n'est peut être que 3% à être contre, mais on est les mieux informés. Votre chiffrage des investissements publics ne mentionne ni la niche fiscale ni les avantages de TVA. Avec vos chiffres, chaque emploi créé coûte 230.000 euros d'argent public, avec les miens, c'est 350.000... Je me suis installé avec 12.000 euros d'aides... Quant au schéma départemental du tourisme, il est antagoniste du projet ».

Le président du Conseil général menace : « Jeune vigneron contre le Center parcs, je ne le sens pas bien : on saura leur dire où ne pas aller... On regardera le schéma touristique, mais nos philosophies sont différentes : le bon schéma est celui où il y a tout : gîtes, ski, Center parcs, aéroport... Ce n'est pas contradictoire, mais complémentaire ».

« Votre point de vue est respectable, mais vos idées sont portées par 3%... »
Dominique Fridez, architecte à Poligny, a « l'impression que des choses sont décidées sans nous », demande « le respect de la démocratie citoyenne », s'interroge : « pourquoi Pierre & Vacances veut de l'argent public pour ses actionnaires ? C'est la privatisation des bénéfices et la nationalisation/régionalisation/départementalisation/municipalisation des financements... Quant à la vitrine du Jura, je vois les photos de Center parcs avec un palmier ! Chez nous, c'est les sapins ! »
Il est vigoureusement applaudi, alors Christophe Perny répond : « vous m'avez l'air agréable, je vais l'être aussi... Votre point de vue est respectable, mais vos idées sont portées par 3%... Quand 33 conseillers généraux sur 34 votent le projet, ce n'est pas le 34e qui décide, il ne pèse rien. Si vous êtes contre le Center parcs, présentez-vous aux élections. La démocratie, ce sont les élus qui décident ». Un cri s'élève du fond de la salle : « C'est la féodalité ! »

« On connaît tous des spécialistes, moi aussi. Vous n'avez pas vu les bons »

Vincent, qui a enseigné l'architecture à Bruxelles avant de se poser dans le Jura, conteste lui aussi : « la grande majorité des spécialistes, sociologues, géographes, urbanistes... considèrent que ce type de structure est l'antithèse du développement durable, notamment en parlant l'enclave : développez vos chiffres de touristes de long séjours susceptibles de sortir du Center parcs ». 

« Sur les 900.000 visiteurs du Center Parcs de Lorraine, 300.000 sortent en circuit court... », répond Dominique Bonnet. Christophe Perny est cinglant : « on connaît tous des spécialistes, moi aussi. Vous n'avez pas vu les bons. Le développement durable n'appartient pas à une catégorie de gens. Il y a un développement durable archaïque et environnementaliste, et un développement durable sociétal. Il faut des champs et des forêts, mais il ne s'y créé pas de richesses... »

« Ici, on fait du développement local »

Claude Paget, le président de la coopérative Plasne-Barretaine réagit : « Nous, on fait du développement local. En quoi le Center Parcs nous aidera ? On fait aussi de la richesse dans nos champs, avec l'AOC comté ». « L'AOC est notre richesse commune », modère Christophe Perny.

Le modèle économique ne satisfait pas non plus Rémy : « On fait un pont d'or pour des emplois énergivores alors qu'il y a des gisements d'emplois de qualité à développer dans le maraîchage, l'isolation, l'agro-tourisme... » Christophe Perny se radoucit : « hormis votre opposition, je suis d'accord... ». Puis il se tourne en souriant vers Dominique Bonnet : « il y a un problème d'information ici, monsieur le maire... C'est pour ça que je viens de temps en temps ».

Une question de la salle pourrait préfigurer une piste pour la future commission particulière du débat public : « ce qui crispe, c'est cette bulle à 29° été comme hiver dans un territoire magnifique. Ce n'est pas raccord avec l'image Jura-comté, Poligny ville d'art... Pourquoi ne pas répartir les 400 bungalows dans tous les bourgs et villages ? » Réponse de Christophe Perny : « on ne peut pas négocier ça ». Qui tiendront les boutiques et restaurants ?, demande une dame. Ce sont des chaînes et/ou des franchises. Mais le président du département est sec : « On n'est pas dans ce degré de détail ».

Voir aussi le film expérimental de 16 minutes du cinéaste bisontin Antoine Page, simplement intitulé Center Parcs, ici.

Le grand absent, Pierre & Vacances, sait en tout cas quelques points sur lesquels peaufiner sa présentation lorsque le débat public officiel sera ouvert. Il aura fort à faire pour répondre au regard de Marguerite Bobey, artiste performeuse et conseillère municipale du Fied, village riverain du site où se tient une réunion le 16 janvier : « Ce projet manque d'amour pour le Jura et la forêt. Son projet de société est cette bulle dans laquelle on s'enferme par peur de la nature... Je suis entrée en résistance par rapport à un monde qui va mal... »

 

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