Center parcs de Poligny : les chiffres clés du montage financier

Dans cette analyse critique détaillée, l'économiste jurassien Pierre-Emmanuel Scherrer décortique le projet sous forme de questions/réponses… pour « mieux comprendre le montage juridique et financier et le risque d’investissement des collectivités publiques ».

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Le dimensionnement financier du projet est de 170 millions € et se décompose en cinq parties :

1) 68 millions est le montant de la vente de la « bulle » (et son équipement aquatique phare : l’Aquamundo) à la SEM (société d’économie mixte) détenue à 84% par les collectivités publiques et 16% par des actionnaires extérieurs, pour lesquels la CDC (Caisse des Dépôts et de Consignation) est essentiellement pressentie.
→ Le financement de la SEM est assuré par :
- les capitaux propres apportés par les actionnaires : 15 millions des collectivités publiques (8 millions de la région et 7 millions du département) et 3 millions des actionnaires extérieurs ;
- l’emprunt : 16 millions par l’émission d’un emprunt obligataire rémunéré à 6,875% (financement CDC) et 34 millions par emprunts bancaires classiques à 2,8% (hypothèse retenue).
2) 15 millions de dépenses publiques (estimation du département) pour les VRD (Voiries et Réseaux Divers : route d’accès, voirie interne, eau, électricité…).
3) 1 million (notre hypothèse) correspond à l’achat initial de la parcelle de forêt (88 ha) par PVCP à la Commune de Poligny (pas de communication officielle à ce sujet).
4) 2 millions (notre hypothèse) correspondent au financement des équipements commerciaux (propriété de PVCP) destinés aux activités de location, de restauration, boutiques et autres loisirs payants.
Il s’agit là d’une information nouvelle (juillet 2016) émanant du conseil régional.
5) 84 millions (par déduction) représentent les ventes des 400 « cottages » par PVCP aux particuliers et autres investisseurs institutionnels. Les particuliers bénéficient de la loi Censi-Bouvard permettant aux contribuables français qui réalisent un achat immobilier dans le neuf en résidence meublée de réduire directement leur impôt d’un pourcentage du prix de revient de l’appartement (11%) et de récupérer la TVA sur le montant de l’investissement.

Pourquoi recourir à un tel montage pour réaliser ce projet ?

La justification du montage, qui vise à ce qu’une SEM achète la « bulle » à PVCP, repose sur l’incapacité de ce dernier à financer lui-même ses propres projets, le groupe cumulant une dette de 110 millions sur les quatre derniers exercices et ne pouvant donc pas faire appel aux marchés financiers et autres prêteurs institutionnels classiques qui ne lui font plus confiance (endettement élevé, modèle économique remis en question, marge d’exploitation touristique insuffisante…).

Qu’est-ce qu’une SEM et quelles sont ses particularités juridiques ?

Une SEM (société d’économie mixte) est une société de capitaux classique (de type SA, par exemple) dont l’actionnariat est majoritairement composé de collectivités publiques (de 51 à 85% du capital social). Les actionnaires minoritaires sont considérés comme des acteurs « privés », mais attention : il faut interpréter le terme « privé » comme « toute autre personne n’ayant pas la qualité de collectivité publique ».

Quels sont les autres actionnaires « privés » pressentis ?

Dans le cas présent, c’est la Caisse des Dépôts et de Consignation (CDC) qui est pressentie comme principal (voire unique) investisseur « privé » de la SEM, mais la CDC est elle aussi une institution publique ! Et c’est la même CDC qui devrait souscrire à l’emprunt obligataire de 16 millions émis par la SEM (au taux anormalement élevé de 6,875%) et qui prévoit de sortir du capital de la SEM au bout de 20 ans, une fois l’emprunt remboursé… On ne peut donc pas parler ici d’investissement mais d’une sorte de « portage financier », effectué uniquement pour les besoins du montage et de la justification de la SEM.

Pourquoi considérer le taux de 6,875% comme « anormalement élevé » ?

Un taux d’intérêt s’apprécie classiquement en fonction du taux applicable au loyer de l’argent dit « sans risque » (rendement des emprunts d’Etat, actuellement proche de 0%), majoré d’une prime (en points de pourcentage) liée au risque de défaillance de l’émetteur de la dette obligataire. Le taux de 6,875% illustre donc un risque considérable ! Car à l’inverse d’un emprunt bancaire classique, un emprunt obligataire n’est assorti d’aucune garantie…

Pourtant, PVCP avance que le retour sur investissement pour les collectivités publiques est garanti par des loyers payés à la SEM…

La question du retour sur investissement pour les collectivités est conditionné par le paiement régulier de loyers annuels d’exploitation par PVCP à la SEM, mais il ne s’agit que d’un engagement contractuel sans garanties financières effectives et tangibles (hormis une garantie bancaire légale mais symbolique de 250.000 €), ni la contrepartie d’une quelconque prise de participation dans le capital du groupe… En revanche, il est fort à parier que les banques qui prêteront 34 millions à la SEM ne manqueront pas d’exiger des garanties réelles et solides !

Dans l’hypothèse où tout se passe bien, quand la SEM va-t-elle commencer à faire des bénéfices et donc envisager ce retour sur investissement ?

Les tableaux prévisionnels chiffrés montrent que les emprunts seront remboursés à terme d’une période de 20 années d’exploitation. C’est seulement à partir de la 21ème année que la SEM devrait donc faire des bénéfices (et donc envisager de les reverser aux actionnaires), si PVCP continue d’exploiter le Center Parcs… Mais ce délai est en fait à corriger à la hausse ! Car les tableaux de flux financiers ne prennent en compte le principe d’actualisation qui doit préfigurer dans toute approche sérieuse de gestion financière… Et le taux d'actualisation à retenir doit être a minima celui du taux moyen des emprunts réalisés par la SEM. On se rapprochera vraisemblablement plus de 30 ans dans ce cas !

PVCP pourrait-il arrêter l’exploitation dans 20 ans ?

Toutes les hypothèses sont envisageables… En tout cas, PVCP n’aura aucune obligation de poursuivre l’exploitation. D’ailleurs, l’engagement contractuel initial porte sur un bail ferme de 12 ans, renouvelable par le bais d’un bail 3/6/9 classique dont les conditions ne sont pas définies, cela signifie qu’il y a une « visibilité financière » effective seulement sur les 12 premières années d’exploitation.

Le loyer payé par PVCP à la SEM pourrait-il être revu à la baisse ?

Le loyer et toutes les composantes du bail peuvent être révisées ! Pour les 12 premières années, c’est un bail ferme « triple net » qui implique que le locataire (PVCP) paye la totalité de toutes les dépenses reliées à l’immeuble concerné (la bulle). Cela comprend notamment les charges d’entretien et de réfection. Mais dans quel état sera la bulle au terme de 12 années d’exploitation ? On peut imaginer qu’elle aura beaucoup souffert, principalement par les chocs thermiques répétés (29°C à l’intérieur et jusqu’à -15°C, en hiver)… Et quid de l’équipement Aquamundo ? Au-delà de la garantie décennale, pourrait-il y avoir des fissures qui amèneraient à des travaux conséquents ?

On imagine mal un groupe comme PVCP jouer un mauvais tour aux collectivités publiques…

Il ne faut pas être naïf, dans le grand capital « business is business » est la règle et tous les coups sont permis ! D’ailleurs le groupe PVCP traîne une très mauvaise réputation auprès des investisseurs particuliers qui lui ont fait confiance… et dont nombre d’entre eux se sont fait floués en voyant leur loyer révisé très fortement à la baisse, sans compter les appels de fonds pour des travaux au bout de 9 ans seulement. Il y a de nombreux procès et des forums d’investisseurs se sont créés sur internet pour témoigner des expériences vécues, mettre en garde de nouveaux investisseurs imprudents et apporter des conseils en vue d’intenter des recours juridiques.

Le risque n’est-il pas inhérent à toute logique d’entreprise ?

Justement ! Il faut bien comprendre que par le biais de la SEM, PVCP vise ainsi à reporter le risque financier à moyen/long terme sur les collectivités publiques, tout en réalisant son profit à court terme pour la promotion immobilière : on peut parler ici de socialisation des risques et de privatisation des profits. Et le terme de « socialisation » implique bien sûr les collectivité publiques, c’est-à-dire les contribuables (par le biais de leurs impôts), donc la population dans son ensemble ! Cette situation est absolument inacceptable et bafoue les règles élémentaires de l’entrepreneuriat privé : il est intolérable que les collectivités se laissent embarquer dans une aventure aussi scabreuse.

Comment illustrer cette notion de risque financier ?

En économie, la notion de risque est intrinsèque à l’investissement et reste évidemment supportée par le propriétaire, ici la SEM mais aussi les acheteurs des « cottages ». PVCP n’étant propriétaire de rien, le groupe de tourisme n’assume aucun risque lié à son projet, ce qui est pour le moins extraordinaire ! Imaginez une PME en difficulté qui veut investir dans une machine-outil pour fabriquer un nouveau produit afin de relancer son activité : elle n’a pas de capacité d’autofinancement et va devoir recourir en totalité à un prêt bancaire… Croyez-vous que la banque va financer le bien sans aucune garantie (caution personnelle du gérant, par exemple) ?

Concernant le dossier Center Parcs, quels risques peut-on identifier ?

Les risques sont nombreux et indissociables les uns des autres, ils peuvent conduire PVCP à une situation d’insolvabilité, car toute entreprise, quelle que soit sa taille, peut se retrouver en situation de cessation de paiement et faire faillite. Dans la situation qui nous occupe, on peut identifier ici :
- le risque d’activité, notion fondamentale inhérente à toute entreprise économique ;
- le risque lié à la pertinence de l’investissement : le concept Center Parcs sera-t-il toujours porteur ? La clientèle de PVCP peut se détourner de ce type de séjour vers des activités concurrentes, plus attractives et plus cohérentes avec les attentes de la population…
- le risque de saturation du marché : il y a actuellement 5 Center Parcs en France et 4 autres en projet (Roybon dans l’Isère, à l’arrêt suite à de nombreux recours juridiques, Pindères et Beauziac dans le Lot et Garonne, Le Rousset en Saône et Loire et Poligny), ainsi que le méga projet de Village Nature à Marne la Vallée, qui est une forme de Center Parcs géant ! La clientèle attirée par ce genre de concept n’est pas infinie…
- le risque de mauvaise gestion : vu les résultats du groupe, il est légitime de se demander si les orientations stratégiques de PVCP sont et seront toujours porteuses à l’avenir…
- le risque de succession : le groupe PVCP a la particularité d’être dirigé par son fondateur et actionnaire principal (44% des actions et majoritaire en droits de vote), M. Brémond, âgé de 80 ans. Lors de son départ, qui va lui succéder et prendre la direction du groupe ? Comment assurer la relève d’une société dont le pouvoir a toujours été détenu par une unique personne qui a tellement marqué PVCP par sa vision très personnelle des affaires ? Le pourcentage précédent doit toutefois être révisé, compte-tenu de la récente entrée au capital du conglomérat chinois HNA qui a souscrit à une augmentation de capital et détient désormais 10% des parts du groupe, avec la possibilité d’en prendre ultérieurement le contrôle…
- le risque écologique et environnemental : quid de la juste évaluation des répercussions à moyen/long terme sur les aspects impactant les ressources naturelles (la problématique de l’eau est cruciale…) et quels surcoûts cela peut-il engendrer à l’avenir ?
- le risque lié à la construction : là aussi, gare aux surprises pouvant engendrer des modifications de taille dans le dimensionnement financier du projet (le plateau karstique jurassien est truffé de failles). Rappelez-vous l’histoire du Tunnel sous la Manche dont le coût de réalisation a explosé suite à de nombreux « imprévus » !

S’agit-il d’une liste exhaustive ?

Non, bien évidemment. On peut imaginer d’autres risques et tout particulièrement le risque géopolitique et d'instabilité politique : dans notre monde instable où les conflits sont permanents, l’avenir est par nature incertain… Sans vouloir être prophète ni outrageusement pessimiste, le risque actuel d’attentat peut avoir des répercussions drastiques sur la fréquentation touristique en France, et le fait que notre pays soit officiellement « en guerre » ne peut-il pas décourager la clientèle étrangère de venir y séjourner quelques temps pour des vacances paisibles ? Lors des attentats de Louxor en 1997 (Egypte), le tourisme a chuté de 75% et le pays est resté durablement marqué par ces sombres événements. Sur un autre plan, le risque d'image pour notre département est à évoquer, dans le sens où le Jura sera associé à la communication réalisée par PVCP...

Et quels sont les risques assumés par PVCP ?

PVCP n’investissant pas (ou juste marginalement), la réponse tient en un mot : aucun ! PVCP a eu beau répéter en réunions de débat public que le risque commercial, associé au fameux « taux de remplissage » était assumé par lui-même, cela est juste une obligation professionnelle lui incombant, et c’est bien la moindre des choses ! Si PVCP se trompe dans ses estimations ou ne fait pas correctement son boulot pour exploiter ses parcs, il perdra de l’argent, ne sera plus en mesure de payer les loyers à la SEM… et tout le monde tombe à l’eau ! Nous sommes donc tributaires de la gestion de PVCP...

Peut-on estimer le profit que réalisera PVCP sur cette opération ?

Une source fiable nous a confié que le coût de réalisation d’un cottage, compte-tenu des économies d’échelle, ne dépasse guère 30.000 € HT. Le prix de vente aux investisseurs privés ou institutionnels est estimé en moyenne à 210.000 € TTC. En multipliant la différence par 400, on obtient une marge opérationnelle globale supérieure à 50 millions d’euros ! Et il faut ajouter aussi la marge que PVCP réalisera sur la vente de la bulle à la SEM : le prix de vente annoncé est de 68 millions, mais quel est son coût de revient ? Sur ce point, nous n’avons pas de données permettant de réaliser une estimation.

Il faut tout de même mettre en regard les emplois créés…

On utilise l’argument-massue de l’emploi pour justifier la réalisation du Center Parcs, mais pas à n’importe quel prix et pas dans ces conditions incroyables !!! L’engagement financier public se monte à 83 millions et ce sans prendre en compte les montants liés à la défiscalisation des investisseurs particuliers qui bénéficient des avantages fiscaux de la loi Censi-Bouvard (approximation basse : 10 millions). On va donc arrondir à 90 millions… Pour 300 emplois créés (en fait 210 ETP : équivalent temps plein), cela représente un ratio de 428.000 euros par emploi créé, c’est du délire !

Pendant deux ans, l’activité du chantier va également générer de l’activité, ce n’est pas négligeable !

C’est indéniable, mais encore faut-il que les entreprise locales puissent répondre aux besoins du chantier et rien n’est moins sûr… Le groupe KP1 (Avignon) ayant l’habitude (et la maîtrise technique) de réaliser les infrastructures des « bulles » des Center Parcs, on imagine difficilement PVCP prendre le risque de changer de partenaire. Des entreprises jurassiennes peuvent bien sûr être sollicitées pour les « cottages » et des ouvrages secondaires mais devront vraisemblablement investir pour répondre aux cahiers des charges de ce marché ponctuel, sans être assurées d’utiliser leur outil de production pour d’autres chantiers…

Et les retombées fiscales, il ne faut pas les ignorer !

Bien sûr que non ! Elles ne peuvent pas être négligées mais restent toutefois minimes en comparaison de l’enveloppe financière globale et du risque financier considérable. Et il ne faut pas oublier que ces fameuses recettes fiscales (estimation PVCP : 1 million par an) ne sont pas une manne tombée du ciel comme si elles pouvaient être destinées à créer des écoles et financer des projets pour les besoins de la population. Le coût d’entretien à long terme des voiries doit être pris en compte et anticipé, ainsi que celui des réseaux (eau, électricité…). Par ailleurs, on reste rêveur sur la restructuration en cours du Comité Départemental du Tourisme qui conduit actuellement à 12 suppressions de poste à haute valeur ajoutée, alors qu’en débat public, on nous a annoncé que les taxes de séjour du Center Parcs serviraient à promouvoir le tourisme jurassien !

Quelle conclusion apporter sur ces aspects économiques et financiers ?

Certaines personnes taxent volontiers les opposants au Center Parcs « d’anti-tout » hostiles au développement économique : ce sont des arguments creux et faciles avancés par des partisans qui ne connaissent pas le dossier ou bien qui y ont des intérêts directs ou associés. Nous ne sommes en aucun cas opposés au développement économique (et social), encore faut-il considérer de quels projets on parle, de quels types d’emplois, avec quelle valeur ajoutée et quelles répercussions sur la population et le territoire. Sans compter la préservation de notre environnement !

Y-a-t-il une alternative au Center Parcs ?

Si les collectivités sont capables de mobiliser un tel engagement financier, de très nombreuses autres réalisations peuvent être effectuées pour infiniment plus d’emplois, dans une logique cohérente et structurante pour notre département. Des propositions très intéressantes ont été avancées en débat public : extension du vignoble jurassien, maisons de retraites intercommunales, valorisation du patrimoine et soutien aux événements culturels, maraîchage en agroécologie… Car en tout état de cause, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Une phrase à retenir ?

Elle est à l’attention de PVCP : « Messieurs, si votre projet et si beau et si rentable, comme vous nous le décrivez si bien, et bien financez-le vous-mêmes ! »

 

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