Center parcs de Poligny : le projet prend l’eau !

Le Pic noir, association d'opposants au projet de center parcs de Poligny, tient son assemblée générale le 22 avril. Une bonne raison de remettre en exergue cet article du 20 juin 2015 résumant les principaux points d'achoppement. « Les dernières réunions du débat public consacrées à l'environnement ont confirmé la très grande fragilité du projet vis à vis de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement en terrain karstique », écrivions-nous. Cela avait notamment conduit en février dernier Pierre et Vacances à repousser d'un an sa décision.

Poligny, vue de Barretaine, sur le premier plateau où est située sa forêt communale, 200 m plus haut.

Il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions et affirmer que Pierre & Vacances va abandonner son projet de construire 400 maisonnettes, un centre aquatique tropical sous bulle et un centre commercial avec restaurants dans la forêt de Poligny. Mais il n'est pas trop tôt pour dire que le débat public a d'ores et déjà permis de mettre le doigt sur des fragilités extrêmes du projet.

Il y a déjà un curieux montage financier qui s'apparente à un partenariat public privé dans lequel les collectivités mettraient beaucoup d'argent qui ne serait plus disponible pour renforcer les politiques de solidarité ou accompagner des initiatives locales. Ce montage mobiliserait aussi de l'épargne privée, notamment le livret A par le biais de la CDC, qui est de moins en moins fléché vers le logement social, sa vocation principale.

Des alternatives crédibles

De l'argent public pour la forêt plutôt que Center parcs ?
Parmi les alternatives, la dernière a été proposée par Jean-Baptiste Mottet, forestier, travaillant au CRPF (centre régional de la propriété forestière, pendant de l'ONF pour la forêt privée qui représente environ 40% de la forêt comtoise).
Sous exploitée, notamment en raison de son morcellement en un très grand nombre de petits propriétaires ayant parfois de très petites parcelles, la forêt privée manque de routes de dessertes permettant justement l'accès des engins et camions. Pour permettre l'exploitation, des associations foncières autorisées (ASA) doivent être constituées. Ce sont elles qui portent les dessertes. Une petite centaine ont été créées en quarante ans dans le Jura et environ 200 km de « chemins blancs » ont été tracés pour quelque 130.000 hectares.
« Avec 10 millions d'euros, on règle le problème de la dessertre forestière dans le Jura » en aidant les ASA à construire 70 nouvelles dessertes, assure Jean-Baptiste Mottet. « On créé un emploi avec 500 m3 de bois et ça donnerait du travail aux entreprises locales de BTP ». L'affaire ne se ferait pas en un jour : « Ça règlerait le problème de la ressource sur le moyen terme ». Il faut en effet plusieurs années pour tant il est parfois long de réunir, voire retrouver, tous les propriétaires d'une même forêt.

Cette dimension politique, citoyenne plutôt que politicienne, a provoqué l'improbable rencontre de porteurs de projets alternatifs. Ils ont même constitué une association, ID39, et considèrent que l'argent public et l'épargne seraient bien mieux employés s'ils étaient investis dans des initiatives locales dont les retombées économiques et sociales irrigueraient le territoire plutôt qu'en sortir, passant pour certaines par le Luxembourg où on perdrait leur trace...

Les collectivités ont été sommées par plusieurs intervenants du débat public d'étudier ces propositions financièrement moins gourmandes et potentiellement créatrices de davantage d'emplois. Le 18 juin à Barretaine, Joël Lambert, conseiller municipal à Conliège, scientifique reconnu dans sa spécialité (la dendochronologie), a mis les pieds dans le plat : « je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas d'étude de projet alternatif, pourquoi les élus ont plongé dans celui-là. On va vous soupçonner de corruption ! »

Les dernières réunions du débat public, les 13 et 18 juin, ont mis en lumière la très grande sensibilité environnementale du projet. Voyons cela point par point.

L'adduction d'eau

Center parcs a besoin de 440 à 500 m³ par jour avec des pics de 64 m³/heure, dont 43% pour les résidents et 57% pour les équipements (piscine, commerces, restaurants, sanitaires publics). Il serait « intégré au schéma départemental d'eau potable en cours de réalisation, qui vise à sécuriser l'approvisionnement des communes proches », explique Florent Pichon, chargé de mission eau au Département du Jura. Deux ressources ont été identifiées.

La première est la source de la Papeterie, à Sirod, distante de 37 km, qui puise dans l'Ain. On y pompe déjà 5500 m³/jour pour un maximum autorisé de 7500, afin d'alimenter Champagnole et une quarantaine de communes. Tout va bien quand il y a de l'eau, mais ça se complique en période d'étiage : les 500 m³/jour supplémentaires correspondent à 10% du débit moyen des étiages des cinq dernières années à Bourg-de-Sirod, explique Florent Pichon. Une projection de l'étiage en 2050, tenant compte du réchauffement climatique, porte le prélèvement à 20% du débit à Bourg-de-Sirod et à 69% du débit de la source de la Papeterie.

Les pêcheurs de Sirod sont vent debout contre cette solution dont le coût est estimé entre 4,5 et 4,7 M€.

90% de la ressource en période d'étiage

La seconde est le captage du syndicat de Heute la Roche, dans la nappe de l'Ain, à Mirebel, à 16 km. On prélève actuellement 1800 m³/jour sur une ressource évaluée à 3000 m³/jour. Y puiser 500 m³ de plus consisterait à en prélever 76%. En période d'étiage, on pompe aujourd'hui plus de 90% de la ressource. Le prélèvement supplémentaire nécessaire au projet représenterait une augmentation de 41% : « pour Center parcs, ça ne passe pas », constate Florent Pichon.

Le coût estimé de cette hypothèse est de 4 M€.

Outre l'idée d'une « solution mixte » (coût estimé 5,2 m€) combinant les deux ressources, on songe à chercher une autre ressource dans le karst profond. L'une a été identifiée, à 400 m³, mais un traitement complémentaire au fer-manganèse est nécessaire. Son coût : 500.000 euros... On continue donc à chercher « dans les karsts noyés hors de la vallée de l'Ain, c'est un moyen de la soulager ». Le cabinet d'hydrogéologie Reilé l'a déjà fait pour Maîche et Morteau. La recherche peut durer un an...

Quel impact sur le niveau des cours d'eau ?

Resterait aussi à vérifier l'impact sur le niveau des cours d'eau des prélèvements envisagés, mais aussi sur la qualité de l'eau et la vie aquatique. C'est ce que souligne le chargé d'études de la fédération de pêche du Jura, Jean-Baptiste Fagot : « Vous ne parlez pas de l'état de la masse d'eau ». Jacques Bertrand, un pêcheur de Sirod, interroge : « si l'étude d'impact avère des conséquences graves sur l'environnement, que se passera-t-il ? » Pas de réponse. Le 13 juin, une question analogue avait été posée : « que se passerait-il avec les prélèvements d'eau en cas d'étiage sévère ? » et Philippe Quevremont, de la CPDP, avait renvoyé la réponse au 18 juin.

Celle-ci n'est pas venue et André Georges, le président de la société de pêche de Sirod, n'est pas content : « on a fait des aménagements pour préserver la truite et voilà 400 cottages ! » Philippe Quevremont le recadre : « Ce n'est qu'un projet ». « Je sais », répond le pêcheur agacé qu'on lui fasse la leçon.

L'assainissement

Le center parcs produit les eaux usées de 3500 équivalents-habitants (EH) qu'il faut évacuer vers une station d'épuration (Step). Là aussi, deux options sont en présence.

La première consiste à agrandir la Step de Plasne, qui fonctionne bien, pour la faire passer d'une capacité de 2000 EH à 4500. Ses rejets vont actuellement dans la Seille. Quand les sources donnent bien, pas de problème pour accueillir 450 m3 pour un débit de 86.000 m3/jour. Mais en basses eaux, une pointe de 64 m3/heure représenterait 26% du débit d'étiage. C'est beaucoup, surtout quand on sait que la Seille fait l'objet d'une surveillance particulière pour sa population d'écrevisses à pattes blanches, une des rares du massif jurassien, qui témoigne d'une bonne qualité des eaux. Il arrive parfois que le rejet de la Step de Plasne sorte à la Borne aux Cassots dont le débit est de 360 m3/jour.

Hubert Mottet, agriculteur et maire de Plasne, « imagine » mal comment on pourrait laisser au même endroit une Step de 4500 EH. Il assure aussi que la convention passée avec les agriculteurs pour épandre les boues de l'actuelle Step « serait caduque avec center parcs en raison du cahier des charges du comté ». Il a, sur ce point, évolué, sans doute convaincu par les arguments de son frère Guy, paysan bio et fin agronome.

La deuxième piste est la réhabilitation de la Step de Poligny-Tourmont qui passerait d'une capacité de 9000 à 16.000 EH. Ses rejets vont dans l'Orain et représentent 20% du débit d'étiage. Ce n'est pas rien. Surtout en cas d'accident. Il y en a eu trois dans l'année écoulée, indique le maire de Poligny Dominique Bonnet, deux dus au lactosérum, un dû au plomb lâché par un artisan...

L'impact sur le prix de l'eau

C'est la grande inconnue. Gabriel Amard, du collectif départemental eau et assainissement, pose des questions précises sur le coûts des infrastructures d'adduction d'eau et d'assainissement, le diamètre et les matériaux des conduites, la nature et le statut juridique des sols traversés. Selon les réponses, il estime que « le reste à charge pour les usagers pourrait être de 70 à 120 €/an sur vingt ans ».

Le vice-président du Département, Dominique Chalumeaux, répond : « à ce stade, on n'a pas toutes les réponses, les décisions viendront en leur temps, nous sommes sur des hypothèses de travail. Je suis convaincu que les solutions existent ».

Risque juridique sur la part fixe...

Pierre & Vacances paiera-t-il les investissements dédiés aux raccordements qui le concernent ? Oui, répond Florent Pichon : « le pompage de 500 m3 lui sera imputé. Le maître d'ouvrage public empruntera spécialement pour ça et l'annuité sera remboursée par la part fixe [de l'abonnement], de l'ordre de 100.000 à 150.000 €/an. Ce sera neutre pour les Jurassiens ».

Pour Gabriel Amard, « ce raisonnement tient seulement si Center parcs a un diamètre de compteur particulier, sinon il devra payer la même part fixe que les autres utilisateurs professionnels, c'est la loi ». Autrement dit autant que les industriels et agriculteurs notamment. « On peut prévoir une convention pour payer une part fixe spéciale », dit Jean Chabert, de Pierre & Vacances. « Ce n'est pas légal, et risqué s'il y a un recours », rétorque Gabriel Amard. « L'eau est le problème le plus difficile. Le prix de l'eau est une question essentielle. On va négocier durement avec Pierre & Vacances pour que l'impact soit minimal sur les syndicats des eaux et les habitants », promet Bertrand Speck, le directeur général des services du Département.

Les nuisances de la circulation

Center parcs générerait une circulation automobile estimée à 1400 véhicules (la moitié dans chaque sens) tous les lundis et vendredis, et 400 les autres jours de la semaine. De quoi faire bondir les habitants de Plasne dont le village, les sorties d'écoles, les troupeaux allant ou revenant des prés, auraient été perturbé par ces nouveaux flux sonores, malodorants et potentiellement dangereux. Pour faire accepter ces nuisances, l'ancien président du Département, Christophe Perny, avait promis la réfection de la route départementale 68 qui en a bien besoin depuis plusieurs années. Les services ont aussi commencé à plancher sur un remembrement ayant notamment pour effet de limiter les circulations de vaches sur les routes, mais coûtant plus de 2 millions d'euros.

Ça n'a pas suffi et les refus de cet accès sont allés croissant, se combinant à la critique, notamment par l'ONF, du choix de la meilleure parcelle forestière pour installer le projet. Cela a entraîné la mise à l'étude d'autres parcelles dont Pierre & Vacances ne veut pas. Mais il a déjà accepté de modifier la première, la faisant glisser vers le nord, et projette un accès par la route nationale 5. Du coup, cela déplace les nuisances de Plasne à Poligny.

« L'influence de center parcs sera modeste »

Cela inquiète Véronique Guislain, cofondatrice du Pic noir : « je demande une étude sur la circulation, de son impact en gaz à effet de serre... » Dominique Bonnet, le maire, répond : « il y a aujourd'hui 6500 véhicules par jour, 20.000 pendant les chassés-croisés des vacances d'hiver (six jours dans l'année). L'influence de center parcs sera modeste ». Mme Guislain n'en démord pas : « Vous engagez vous à ce qu'une étude soit faite ? » Philippe Quevremont a entendu : « l'étude d'impact doit tout voir, dont la circulation ». Jean Chabert « confirme ».

Que devient la promesse de refaire la RD68 si le passage par la RN5 est retenu ? « La priorité sera de desservir le center parcs », répond le directeur des services, provoquant la colère des Plasniers : « C'est du chantage, c'est inadmissible », dit l'un. « C'est impossible d'entendre ça », dit Florence Bérodier. « C'est intolérable de laisser la route dans cet état », ajoute Hubert Mottet.

Mireille Prost résume des jours de débats d'une question à Pierre & Vacances : « compte tenu de toutes ces difficultés, sur l'eau, l'assainissement, les routes et tout, pourquoi tenez-vous à rester là ? » Jean Chabert répond, embarrassé : « Ce n'est pas facile de répondre. Nous avons cherché d'autres sites, on en a vu 68 ! C'est celui qui correspond le mieux en termes d'accès, de positionnement et d'impact environnemental ».

On le voit, le groupe n'a pas renoncé à son projet.

 

 

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