Center parcs à Poligny : le débat se tend

A mi-chemin du débat public, les positions se cristalisent, les élus s'engagent davantage, et des opposants boycottant la procédure font irruption sur la scène.

Fatima Ouassak, membre de la commission du débat public, s'entretient avec des opposants.

Au mitant du débat public sur le projet de village de vacances Center parcs de Poligny, la tension est montée d'un cran. Des opposants radicaux ont fait leur apparition jeudi 11 juin devant la salle des fêtes de la petite ville où se tenait la seconde réunion générale au cours de laquelle les uns et les autres ont réaffirmé leurs positions. Invoquant Vigipirate, un vigile faisait ouvrir les sacs de certaines personnes entrant dans les lieux.

Des banderoles mentionnaient « débat virtuel, nuisances réelles » ou « coeur de Pierre, vacances de béton » pendant qu'une dizaine de jeunes gens distribuaient un tract et proposaient la revue des opposants au Center parcs de Roybon, en Isère, où malgré l'avis défavorable de la commission d'enquête publique, le préfet a autorisé le projet, mais, saisi par des défenseurs de l'environnement, le tribunal administratif a annulé son arrêté, ce que Pierre & Vacances a contesté devant le Conseil d'Etat.

« Quand Pierre & Vacances renoncera-t-il à Roybon ? »

Un collectif d'opposants boycotte un débat public jugé pipé
Le CJOCP, collectif jurassien d'opposants à Center parcs, estime que le débat public est un « pseudo débat » qui a « explosé dès le décollage », lors de la première réunion sur le projet du Rousset. Un opposant a cité un extrait du cours d'un membre de la commission particulière du débat public, Bruno Védrine, par ailleurs enseignant en tourisme : « qui ne rêverait de passer des vacances dans un paradis tropical sans devoir prendre l'avion, sans contrainte de vaccination ni de passeport, un jour ou quelques heures, pour se dépayser ou relaxer après une semaine de travail trop stressante ? »
Bruno Védrine a alors quitté la commission et n'a pas été remplacé. Pour le CJOCP, c'est la preuve que la commission dans son ensemble n'est pas indépendante et que le débat est une mascarade destinée à faire avaler le projet.
Ces opposants radicaux estiment pour leur part qu'il n'y a « aucune amélioration à apporter à l'attaque massive contre nos conditions de vie qu'implique l'opération industrielle Center parcs (...). On commence à bien connaître le cortège de nuisances et de retombées destructrices que ce concept d'infrastructure développera durablement sur nos paysages et dans nos communautés de vie : emplois de larbins payés à coup de lance-Pierre, eaux et rivières préemptées, forêt devenue camp à décerveler sous dôme tropical, siphonnage de toute activité alentour, villages embouteillés, méthanisation de l'agriculture... »
D'autres passages ont été considérés « diffamatoires » par la présidente de la commission particulière du débat public, Claude Brévan, qui n'exclut pas des poursuites. Une membre de la commission est allée au contact des opposants pour affirmer son indépendance. La discussion a été ferme et courtoise.
Contact : cjocp@riseup.net

Ce projet de Roybon doit être considéré conjointement aux projets de Poligny et du Rousset, estime France Nature Environnement Franche-Comté. Parce qu'ils visent la même clientèle et recrutent dans quasiment la même zone de chalandise, explique son président régional Pascal Blain pour qui « les trois implantations constituent un seul et même projet ». Ce qui, logiquement, lui fait poser cette question : « Puisqu'il n'y a pas de faisabilité à Roybon, quand Pierre & Vacances y renoncera ? Ce qui entrainera la redimensionnement du Rousset et de Poligny ».

Interpellé depuis le premier jour sur ce point, le groupe est silencieux. Dans sa présentation initiale, Jean-Michel Klotz, le directeur général adjoint de Pierre & Vacances Développement, dit avoir « entendu les critiques », et même « la forte opposition en raison d'une vision différente de la société ». S'il table sur les premières pour « mieux présenter » le projet, il ne « peut pas répondre » à la seconde. Ayant en effet « entendu » les problèmes d'accès par Plasne, les craintes de nuisances, la nécessité de procéder à un remembrement agricole, il répète que deux autres sites, dans la même forêt, font l'objet d'études. Le hic, pour lui, c'est qu'ils présentent « des enjeux environnementaux plus importants » entraînant « un risque de refus des services de l'Etat ».

« On n'a pas le droit de refuser une telle manne »

A entendre Pascal Blain rappeler les perspectives climatiques - hivers moins froids, donc moins de neige, donc « moins d'eau stockée » -, on comprend que les risques sont bel et bien présents avec l'implantation actuelle. Celle-là même que l'ancien scieur de bois de Crotenay qui se veut le « représentant de la forêt silencieuse », Bernard Pouillard, critique parce que située sur un secteur productif au bois de qualité. Se basant sur les dernières ventes de bois et la « perte de ressources à long terme » pour la ville, il estime le prix de la forêt à près de 4 millions d'euros. Sensiblement plus que la fourchette de 1,9 à 3 millions entendue lors des premières réunions.

Parlant juste après, le maire de Poligny, Dominique Bonnet, ne dira rien sur le sujet. Seulement que le village de cottages est « une chance à saisir ». S'enflammant comme un avocat, il trébucha sur un lapsus qui fit éclater la salle de rire, et... lui aussi : il invoqua le « président Perny » en voulant parler de son successeur, l'actuel patron du Conseil départemental, Clément Pernot. Tentant de se rattraper, il en fit un second qui passa moins aperçu : « Quand l'investissement public est là, il ne faut pas le laisser passer ». Or, quelques minutes plus tôt, le président Pernot avait dit le contraire : « quand on manque d'investissement public, que la suppression des dotations de l'Etat est scandaleuse, l'investissement privé est fondamental, on n'a pas le droit de refuser une telle manne ».

« Surpris du blocage, de la redondance, des tirs de barrages presque systématiques... »

Indiquant avoir « vu Pierre & Vacances et maintenu le principe d'un engagement avec de légères modifications », il annonce un nouveau vote de l'assemblée départementale après le débat public et lance aux opposants : « ne vous faites pas d'illusions ». Il est manifestement sur la même longueur d'onde que le président de la Chambre de commerce et d'industrie, Rémy Laurent, qui s'est dit « surpris du blocage et de la redondance de ceux qui ne laissent pas s'exprimer Pierre & Vacances sans l'interrompre, les tirs de barrages presque systématiques, le peu de suggestions ». Pour lui, les loyers qu'encaissera la SEM de la part du groupe ne peuvent se refuser : « c'est une évidence ».

Des suggestions, il y en aura. Patrice Girard, commerçant à Poligny, traceur de 18 pistes de VTT dans les forêts alentour, propose différents packs au groupe pour inclure la culture jurassienne : « Jurassic pack incluant séjour, visite de la grotte des Moidons et du musée de Champagnole, Alcoolic pack incluant la visite d'une cave bio, Caloric pack incluant la visite d'une fromagerie... Ça injecterait un petit million dans l'économie locale ».

« Où veut-on aller ? Une question dont on n'a jamais débattu »

Visé, l'unique viticulteur bio de la ville, opposant notoire au projet, Valentin Morel, répondra tout sourire ne pas « discriminer les clients, mais  le problème, c'est que je ne pourrai pas leur vendre car il manque 300 hectares de vigne dans le Jura ». On l'a déjà écrit ici, l'investissement pour les planter serait de 10 millions et la recettes annuelle d'autant, générant 152 équivalents emplois temps-plein. La conseillère régionale Brigitte Monnet, tête de liste départementale aux élections régionales de décembre, s'appuie sur la démonstration : « les collectivités doivent rencontrer les porteurs de projets alternatifs au même titre qu'elles ont rencontré Pierre & Vacances ».

En fait, la question est philosophique, explique Laurent Assathiany, membre comme Valentin Morel de l'association Initiatives Développement Jura : « Le projet Center parcs engage l'avenir du territoire et pose la question où veut-on aller dont on n'a jamais débattu. L'argent qui va être mis là ne le sera pas ailleurs. Il y a une question de choix à réfléchir. Car autant d'argent pour un seul projet est un vrai problème ». Et de suggérer qu'on regarde ailleurs : recyclage, économie circulaire, agriculture, transition énergétique... pour créer activités et emplois, car cette question est cruciale et il « comprend les entreprises qui ont le couteau sous la gorge ». Celles-la même qui, dans le bâtiment, s'apprêtent à se rapprocher pour répondre aux appels d'offre de Pierre & Vacances.

 

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