Center parcs à Poligny : d’une stratégie l’autre…

Au moins 120 personnes se sont pressées dans une petite salle du village de Plasne, très impacté par le projet de Pierre et Vacances, pour débattre du développement local. Deux visions sont en présence : l'une découle du Center parcs, l'autre veut construire des alternatives à partir des besoins du territoire...

Quelque 120 personnes, dont une bonne moitié debout, ont débattu plus de trois heures à Plasne...

Le débat public sur le projet du groupe Pierre et Vacances d'implanter 400 maisonnettes en bois et une piscine couverte en forêt de Poligny est bel et bien lancé. Après le succès populaire de la réunion de lancement, l'atelier consacré mardi 19 mai aux stratégies de développement local a montré deux options, antagonistes ou complémentaires selon les points de vue, et non plus la seule perspective du Center parcs.

Celle-ci est soutenue ardemment par la Capeb, la confédération des artisans et petites entreprises du bâtiment qui revendique 68% d'adhérents parmi les 1025 TPE du secteur. Pour son secrétaire général, Jean-Luc Tisseuil, dans le contexte de crise qui touche le bâtiment, le chantier qui s'annonce est une aubaine : « 20% de nos entreprises meurent chaque année, et si la croissance vient d'être de 0,6% sur le trimestre, le bâtiment est à moins 3% depuis trois ans. Pour une fois qu'un investisseur va faire parler du Jura jusqu'à Hong Kong, dont les travaux vont faire travailler nos artisans et créer des emplois locaux ! »

Michel Cêtre : « une économie se développera autour du site »

Rémi Mertz : « Il n'y a qu'un projet ! »
« On est engagé dans le regroupement avec l'idée de dupliquer ce qui a été fait dans la Vienne. A la fin de l'année, on saura s'il y a un feu vert. On a identifié les entreprises capables d'intervenir, en lien avec la CCI », dit Rémi Metz à qui Factuel.info a demandé quelques précisions. « Les débats du mardi étaient de bonne tenue, contrairement au premier qui était catastrophique, un exutoire ! »
Ne craint-il pas la concurrence des projets entre Center parcs et les alternatives ? « Je n'en vois qu'un projet ! Je ne dis pas que le territoire n'est pas capable de créer des activités par lui-même, mais je n'ai pas vu de projet, ils ne s'opposent pas... Je sens que des non favorables ont fait un pas vers le projet... Le Conseil départemental ne saupoudrera pas. Il y a l'opportunité d'une vitrine pour drainer du monde. 400 lodges, ce n'est pas du tourisme industriel. Il faut que les porteurs de projets se rapprochent de Pierre et Vacances, que ce soit pour une via ferrata, du kayak ou du cheval... Il ne suffit pas de donner 100.000 euros pour remplir un gîte... Nous, on y croit, bien au-delà des emplois BTP pendant deux ans... »

La fédération du bâtiment et des travaux publics du Jura, 150 PME et 60% des 5100 emplois du secteur, est sur la même longueur d'onde : « Nous sommes allés sur le chantier du Center parcs de la Vienne où 70% des emplois générés ont été attribués à des entreprises locales », explique Remi Mertz, son secrétaire général. Jean Chabert, directeur général de Pierre et Vacances Développement, explique le processus mis en place par le groupe : « Nous avons mis en place une organisation en amont pour que les entreprises de trop petite taille puissent répondre aux appels d'offre en se regroupant. Nous avons travaillé avec des groupements de quatre, cinq ou six entreprises pour la construction des cottages, les entreprises régionales étaient contentes ».

Les élus locaux défendent cette vision des choses et tentent d'y adapter leurs outils : « si le Center parcs se réalise, on aura besoin d'emplois, une économie se développera autour du site », dit Michel Cêtre, responsable du programme européen Leader au syndicat du Pays du Revermont. « On veut créer un outil d'évaluation économique à partir de trois projets : la refonte de la maison du comté de Poligny, la redynamisation de la maison Pasteur d'Arbois, le projet thermes et la rénovation du musée du sel de Salins ».

Christelle Morbois : « Le dossier est complexe, il faut du temps pour s'en imprégner »

Jean Chabert : « J'ai entendu beaucoup de négatif »
Invité à « dire son ressenti » par Claude Brévan au bout des trois heures de débats, Jean Chabert, le directeur général de Pierre et Vacances Développement, a remercié ses soutiens et n'a pas été très long pour répondre aux critiques : « J'ai entendu beaucoup de positions négatives... De l'exclusion apparaît dans certaines positions sur ce que doit être le tourisme. Sur 20 Center parcs, 8 sont en Hollande (le pays qui les a créés). Les clients sont des urbains qui viennent chercher un environnement plus calme... Nous avons commencé à chercher des solutions pour corriger les nuisances »
Parmi celles-ci, le déplacement du site plus vers la nationale 5 afin de modifier l'accès et éviter la traversée de Plasne.

On sent cependant un relatif attentisme de la part de certains élus. La baisse des dotations de l'Etat aux collectivités, les compétences toujours pas complètement consolidées sont dans les esprits. Adjointe au maire de Poligny et nouvelle conseillère départementale UMP, Christelle Morbois est « à titre personnel favorable au projet », mais elle précise « ne pas parler au nom du président », Clément Pernot. Un instant auparavant, elle avait indiqué qu'elle le représentait et tout porte à penser que la nouvelle majorité marche sur des oeufs : « Nous sommes aux affaires depuis peu, le dossier est complexe, il nous faut un peu de temps pour nous en imprégner ». 

Pressée d'être plus précise par Pascal Blain (France Nature Environnement), ce que relaie Claude Brévant, la présidente de la commission particulière du débat public, Christelle Morbois annonce une position du Département pour juin... En coulisse, il se chuchote que le préfet aurait suggéré une grande prudence au Département que l'ancien président, Christophe Perny, avait poussé aux avant-postes sur le projet, an annonçant l'engagement de 10 millions d'euros, voire davantage avec les travaux de voirie.

Anne Perrin : « je n'ose imaginer que vous n'avez pas une petite idée en tête ! »

« Les arguments des opposants sont entendables »
Une question dans la salle annonce la conclusion : « le ressenti des élus a-t-il évolué avec le débat ? »
Réponse de Danièle Brûlebois, conseillère départementale du canton de Bletterans qui inclut Plasne, rescapée de la débâcle PS, elle était vice-présidente de Christophe Perny, elle est désormais porte-parole de l'opposition : « J'ai de l'amertume quand je vois qu'on était seul à défendre le projet de parc naturel zones humides... J'ai entendu les habitants de Plasne et Barretaine évoquer les nuisances et la sécurité... Il faut y penser ».
Dominique Bonnet, maire de Poligny : « Claude Chevassus a toute ma crédibilité (sic), ses propositions alternatives sont intéressantes ».
Christelle Morbois, conseillère départementale du canton de Poligny : « A la différence de la réunion de lancement, il y a eu de l'écoute. Il faut faire évoluer le projet, si projet il doit y avoir... La fédération des artisans m'a interpellé sur ce qui s'est fait dans la Vienne. Les arguments des opposants sont entendables ».

La raison de ces précautions réside dans le calage des compétences entre départements et régions, pas encore finalisé, comme l'a rappelé un participant à la réunion de Plasne. D'ailleurs, on n'a pas vu de représentant du Conseil régional à Plasne. Et le président de la communauté de communes du Grimmont, Jean-François Gaillard, premier adjoint à Poligny, évincé par l'UMP de la candidature au Département, n'a rien dit. Quoi qu'il en soit, ces atermoiements agacent Anne Perrin, conseillère municipale EELV à Lons-le-Saunier, qui lance à Christelle Morbois : « Je n'ose imaginer que vous n'y avez pas réfléchi, que vous n'avez pas une petite idée en tête ! »

Le syndicat mixte du Pays du Revermont est lui aussi dans une dynamique favorable au projet, mais « sans blanc-seing : on met des mais », dit Michel Cêtre. Pour le Pays, le développement local passe notamment par la fusion des offices de tourisme de Poligny, Arbois et Salins. Le processus est lancé, il s'appuie aussi sur « la refonte de la Maison du comté de Poligny et la visibilité du pôle agro-alimentaire, la redynamisation de la Maison Pasteur d'Arbois, le projet de thermes et la rénovation du musée du sel à Salins ». Tout cela doit comprendre une « évaluation économique » car le programme Leader pourrait apporter 2,6 millions d'euros « que Center parcs n'aura pas ». Combien d'emplois ?, demande Claude Brévan. « Des dizaines », répond Michel Cêtre. 

Valentin Morel : « peut-on parler de projets alternatifs ? »

Dans la salle, quelques voix défendent le projet de Pierre et Vacances. « Il faut accepter qu'une entreprise vienne investir. Si on refuse que quelqu'un arrive avec 40 ou 60 millions d'euros, il faut refuser que les collectivités aient les ressources fiscales provenant des entreprises », dit André. Un adhérent de la CGPME assure que « si l'on investit pas dans le développement économique, des entreprises disparaîtront ». Sous entendu : c'est le Center parcs qui amène le développement économique.

Car pour certains, le développement local est possible sans Center parcs. C'est le cas de Valentin Morel qui s'était interrogé d'emblée : « peut-on parler de projets alternatifs ? » Claude Brévan suggère : « ou complémentaire ? ». Valentin Morel poursuit : « ou cumulatif ? Le projet de Pierre et Vacances est-il ou non contradictoire ? Car quand on met 80 millions quelque part, on en a moins pour faire le reste ».

Dominique Bonnet : « ne pas opposer les projets »

Juste avant, le maire de Poligny, Dominique Bonnet, savait le danger guettant le projet qu'il défend depuis le début, y compris quand les tractations étaient secrètes : « On a la chance d'avoir un débat et des personnes ont envie d'un développement économique raisonnable. Il ne faut surtout pas s'opposer sur ce territoire, pardon, je me suis mal exprimé : ne pas opposer les projets... »

C'est cependant ce qui risque bien de se produire. Auditeur financier, dirigeant de la CGPME, Frédéric Fraichot témoigne du plan de revitalisation du Haut-Jura, financé par Vivendi grâce à une incitation fiscale : « on a fait un audit du secteur, vu 300 dossiers, retenu 28 dont 8 créations, levé 27 millions, créé 375 emplois... Les grands groupes sont capables de s'investir sur un territoire... » Une femme l'interroge : « L'installation d'un Center parcs participerait-elle à la revitalisation du territoire ? » Réponse prudente : « Peut-être, c'est à voir... Une mission de revitalisation est différente, s'appuie sur de l'existant... »

Véronique Guislmain : « pour nourrir Poligny et cinq villages, il faudrait installer 76 producteurs »

Alain Raby, qui figure sur la liste des commissaires enquêteurs du Jura, est intéressé : « la grosse différence avec Pierre et Vacances, c'est que là, des investisseurs prennent des risques ». La citoyenne polinoise Sylvie Pochet embraye : « 180 emplois, ce peut être 18 fois dix ! Et si on soutenait 18 petites entreprises ». Claude Brévan remarque : « j'ai vu que de nombreux petits hôtels ont fermé... » L'ancienne première vice-présidente du Département, Danièle Brûlebois (PS) note que cela a eu lieu malgré les aides pour mise aux normes et montée en gamme : « 20 à 30.000 euros en moyenne par dossier, et jusqu'à 100.000 sur certains... »

Membre du Pic noir, Rémi Gonthier donne le signal d'une série d'interventions allant toutes dans le sens d'une alternative. « Il faut commencer par un diagnostic des besoins locaux (le séminaire de Vaux est vide), imaginer des synergies pour aider l'agriculture à trouver des activités supplémentaires dans le tourisme : gîtes, accueil à la ferme... » L'association d'opposants a planché sur les débouchés pour l'agriculture que représenterait une alternative poussée à l'agriculture industrielle : « Pour nourrir Poligny et cinq villages voisins, il faudrait installer 76 producteurs sur 92 hectares de céréales, 14,4 ha de légumes, 11 ha de légumes secs, 21 ha de fruits, 4,6 ha de pommes de terre, 8 éleveurs de porcs sur 189 ha, 15 paysans-boulangers... », énumère Véronique Guislain en précisant qu'il s'agit d'une « hypothèse d'école » où les 455 ha nécessaires à la viande et au lait sont déjà là...

Claude Chevassus : « nous avons besoin de notre tradition coopérative »

Militant d'Attac, Vincent Bruyère défend l'actionnariat local comme « condition de base du développement local et de la revitalisation » car « la création de valeur reste sur le territoire ». Fort des 350 emplois qu'il a contribué à créer, comme chef d'entreprise ou comme militant de l'insertion par l'économie, Claude Chevassus met aussi l'accent sur les valeurs : « Nous avons besoin de silence, pas de super-financiers. Nous avons besoin de notre tradition coopérative. Le développement économique seul ne nourrit pas un homme, il faut du développement social, culturel, des écoles, des théâtres... A mon âge, ce qu'i m'intéresse, c'est aussi où finir mes derniers jours... »

Véronique Guislain et Marie-Odile Mainguet, seule élue de l'ancien Conseil général à avoir voté contre le projet, battue en mars dernier, lisent en duo une critique en forme de manifeste (lire ici) de l'étude Pierre et Vacances qui « s'affirme comme le sauveur du Jura ». A la fin, Jean-Luc Tisseuil (Capeb) dit sa consternation : « Je suis inquiet, le Center parcs ne va pas se faire ! »

Venu de Besançon où il est conseiller municipal (EELV), Anthony Poulin est au contraire ravi : « Je ne vois pas de stratégie de développement local dans le projet de Pierre et Vacances ». Valentin Morel, membre comme Claude Chevassus et Frédéric Fraichot de l'association Iinitiatives Développement Jura, dit « préférer 180 petits projets à un emploi » et explique pourquoi ils ne sont pas prêts : « comment faire un projet alternatif en deux mois ? » Alors que Pierre et Vacances se prépare depuis plusieurs années... Claude Brévan l'entend bien : « il faut un diagnostic territorial fin. Si des structures se mettent en place pour construire un projet, c'est important, car il y a du concret dans ce qui a été dit ». Elle lance même un « appel à idées pour qu'on  ne reste pas dans les idées générales » et que naissent des « propositions locales économes des deniers publics ».

Ce mercredi soir, le débat continue avec une réunion consacrée à l'emploi.

 

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