Biocoop : « notre projet politique est le soutien à l’agriculture biologique, paysanne et de proximité »

Ayant décuplé son chiffre d'affaires depuis 2000, le réseau Biocoop organise jusqu'au 15 juin une action commerciale d'un genre nouveau dans la distribution : les Biotonomes, notamment orientées vers les nouveaux consommateurs bio. 80 animations sont proposées à Besançon où deux magasins vont bientôt passer en coopérative. Le gérant Didier Maillotte revient sur onze ans d'histoire économique et agricole locale.

biocoop

C'est une incontestable réussite économique. Créé en 1986, le réseau Biocoop a réalisé 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2017. C'est dix fois plus qu'en 2000. Dans le même temps, il est passé de moins de 200 magasins à 560 aujourd'hui. On en compte treize en Franche-Comté dont trois dans l'agglomération bisontine, quatre dans le Jura, deux dans le Haut-Doubs, un à Vesoul...

Se présentant comme « leader » de la distribution de produits de l'agriculture biologique en France, encore en croissance de 15% l'an dernier, le réseau n'en est pas moins passé du premier au second, puis au troisième rang en raison de l'accroissement des investissements de la grande distribution classique dans le bio. S'il reste loin devant les historiques La Vie claire ou Croc'Nature, à Serre-les-Sapins près de Besançon, Pontarlier et une dizaine de villes, c'est sans doute en raison de son projet alternatif assumé.

Les biotonomes, animations commerciales adaptées à la clientèle bio et à la politique du groupe, arrivent en cette première quinzaine de juin pour, notamment, s'adresser aux nouveaux consommateurs bio. A Besançon, environ 80 rendez-vous sont ainsi proposés, des pizzas cuites devant vous à la présentation de taïchi, de rencontres avec des producteurs en rendez-vous avec des journalistes (FactuelMercredi 6 juin à 15 h à l'Ile aux moineaux, mercredi 13 juin à 15 h place Leclerc, avec une mini-conférence et Lutopik), les maîtres mots étant l'autonomie et le faire soi-même, la lutte contre le suremballage ou la juste répartition du prix.

Les magasins sont des entités juridiquement indépendantes (40% en coopérative, 60% en SARL) appliquant les règles de la coopérative Biocoop au conseil d'administration de laquelle quatre collèges sont représentés  : les magasins et les producteurs au titre d'associés coopérateurs, les salariés et des associations de consommateurs au titre d'associés non coopérateurs.

Accompagner le développement des filières

Aujourd'hui SARL, les deux magasins de Besançon ville devraient passer en SCOP le 1er janvier 2019. Didier Maillotte, leur fondateur, répond à nos questions. Il est accompagné par Jean-Yves Crepin, porteur d'un projet de magasin à Montpellier, dont il est le tuteur. Ainsi fonctionne notamment le réseau.

Chiffre d'affaires multiplié par dix depuis 2000, triplement du nombre de magasins, plan stratégique 2016-2019... Biocoop vit-il une cirse de croissance ?

On est toujours dans un plan stratégique. Ils s'inscrivent tous dans un développement important de l'agriculture biologique.

Biocoop est passé du second au troisième rang en termes de performance économique...

On était même premier... On croît à la vitesse où on doit croître. La grande distribution, en huit mois, a énormément développé son offre bio en magasin, avec beaucoup de publicité. On ne peut pas concourir à égalité avec elle sur les budgets de communication...

Vous avez été échaudés avec le procès, en partie perdu, sur les pommes conventionnelles ?

C'est une pub qui a été énormément reprise... Notre chiffre d'affaire de 1,1 milliards d'euro est équivalent à ceux de quelques hypermarchés... On sait surtout garder une logique forte de développement de l'agrobiologie : accompagner le développement des filières, des coopératives de produits bio, nationalement et par chaque point de vente dans son territoire avec des partenariats de développement local. C'est une obligation, mais on va moins vite car on manque encore de volumes de production en France, malgré les plans...

« La crainte que le local soit non bio et que le bio soit plus lointain... »

Les politiques sont plutôt en recul...

Oui, mais il y a quand même l'annonce d'une volonté de parvenir à 50% de bio ou local dans la restauration collective. Avec bien sûr la crainte que le local soit non bio et que le bio soit plus lointain...

Comment structurez-vous la filière maraîchère en Franche-Comté ?

On n'est pas encore assez structuré entre nous pour le faire. Les maraîchers qui peuvent nous fournir le plus facilement sont ceux de l'AFSAME à Gy.

Et le réseau Cocagne ?

La différence, c'est que Cocagne est une entreprise d'insertion alors que l'AFSAME est une entreprise adaptée : ce sont des emplois, ils ont 10 à 15 hectares et ont l'objectif d'en avoir une trentaine...

Ce sera comparable aux Maraichers du Val d'Amour, à Rahon, qui ont 24 hectares et travaillent en partenariat avec de plus petits maraîchers ?

On incite les maraîchers à ça. Ceux qui ont autour d'un hectare ont meilleur temps de produire pour une AMAP ou faire de la vente directe. Les maraîchers des Auxon ont un hectare, mais sont intéressés car dans la proximité avec nous...

Si je vous comprends, il manque une étape à Besançon...

C'est en train de se structurer. Interbio y travaille...

Jean-Yves Crepin : Tous ceux qui ont entre 0,5 et 1,5 hectare s'organisent entre eux car beaucoup ne peuvent pas en vivre. Ils s'échangent des produits. Ici comme dans le Languedoc où c'est un peu plus facile car la saison est plus longue. J'ai l'exemple d'un maraîcher qui gagnait 300 à 400 euros par mois sur un demi hectare. Sa femme travaillait à l'extérieur et l'aidé, il a mis 5 ans pour atteindre 1,5 hectare, et a maintenant 12 hectares : il a embauché sa femme comme secrétaire...

« 12 à 13% de ce qu'on vend vient de Franche-Comté »

Quelle est la répartition des produits locaux dans vos magasins de Besançon ?

12 à 13% de ce qu'on vend, en frais ou en transformé, vient de Franche-Comté. Dans le transformé, je mets les confitures de Pierre Chupin ou d'ELAN, les tisanes de Marie Maisoneuve... Quand nous nous sommes installés, il y a 11 ans, nous n'avons pas de souci d'approvisionnement en fromages de vache, grâce à L'UBFC et à la maison Petite. On avait des yaourts car l'ENIL avait développé une filière bio. La production de fromages de chèvre s'est développée depuis l'ouverture. On n'avait de fromage de brebis, maintenant on en a avec la ferme des Aubracs, en Haute-Saône. C'est plus dur pour les fruits, sauf les fruits rouges. On a les myrtilles de Philippe Loridat (Haute-Saône) qui produit de gros volumes, fait de la vente directe, de la transformation, et vend à Biocoop nationalement. Il ne faut pas qu'il se loupe : il fait sa saison sur un mois...

Et le vin ?

C'est la filière la plus structurée dans le Jura. Tellement qu'on a parfois du mal à en avoir parce qu'ils font beaucoup d'exportation.

L'agriculture comtoise est-elle en train, toutes proportions gardées, de passer en bio ? 

On le sent. C'est plus compliqué pour les céréales, mais ça chemine dans les esprits, par des observations entre producteurs. Les gens viennent dans les tours de plaine, et même les conventionnels orientent leurs pratiques. Le paradoxe, c'est que le volume de pesticides utilisés continue d'augmenter.

Jean-Yves Crepin : Il y a des produits interdits en Espagne qui sont autorisés en France ! Mais beaucoup de producteurs constatent que certains y arrivent sans pesticides et se disent "pourquoi pas moi". Il y a aussi un autre phénomène : quand des enfants reprennent la ferme, après avoir fait des études, étudié en ville, ils disent "on veut bien la ferme, mais pas comme les parents". Il y a aussi le cas de l'ingénieur qui revient à la campagne et veut faire du bio. Tous ont le même cheminement : expérience dans un autre monde et très beau parcours intellectuel...

« Notre survie commerciale tiendra si on ne lâche pas notre projet politique »

Le directeur général de Biocoop, Orion Porta, dit dans un entretien à un site spécialisé vouloir s'adresser aux nouveaux consommateurs bio, "remettre du commerce dans les magasin"...

C'est une interview du directeur général... C'est aussi intéressant de voir ce que dit le président de Biocoop, Claude Gruffat. On a certes de nouveaux clients, mais notre survie commerciale tiendra si on ne lâche pas notre projet politique qui est le soutien à un certain modèle d'agriculture biologique : paysanne et de proximité. Pour beaucoup, le label AB signifie le respect d'un cahier des charges technique. Mais ce n'est pas un cahier des charges éthique ou social : il y a des produits bio faits par des travailleurs détachés en Italie. Je reviens de Corse où on a interrogé les producteurs sur leurs pratiques...

Vous voulez dire que vous avez des exigences supplémentaires par rapport au label ?

On ne peut pas déroger à notre projet politique. Il faut le faire comprendre aux consommateurs. On le fait notamment par le biais des Biotonomes.

Vous allez passer vos deux magasins en SCOP...

Oui, ceux de l'Ile aux moineaux et de Valentin. On fait tout pour que ça se passe fin 2018. Cela fait deux ans et demi qu'on y travaille. Tous les quinze jours, on a une réunion avec les salariés intéressés et on prend déjà des décisions collectives.

Combien sont-ils ?

Treize sur vingt et un... Après, on laissera le choix aux autres. On mène aussi une réflexion pour voir comment associer les producteurs et les consommateurs, ne pas rester dans l'entre soi. Avec le troisième magasin, dirigé par Frédéric Delanoé place Leclerc, cela fait une trentaine d'emplois... Ça compte quand on voit qu'il y a un peu partout en France des magasins coopératifs gérés par des bénévoles : ils ne créent pas d'emploi...

Le directeur général évoque aussi des projets artisanaux, des magasins mono-métier comme une boucherie ou une boulangerie Biocoop...

Je vois mal ramener une boucherie dans des magasins comme les nôtres. J'aurais la trouille de la perception de la clientèle... Une boulangerie Biocoop existe déjà dans le Nord. Ma crainte, c'est ne ferions-nous pas de l'intégration ? On a toujours été vigilant à expliquer que ce qu'on crée avec les producteurs, c'est un partenariat dans le temps. Dès lors, je me vois mal leur dire maintenant qu'on fait autrement. On nous dit parfois : pourquoi n'auriez vous de la terre travaillée par des salariés ? Mais c'est le système Intermarché. Il faut être vigilant : un producteur ne doit pas nous avoir comme unique débouché. Ce serait trop dangereux pour le réseau de producteurs, et pour nous aussi.

Le président de Biocoop a été candidat aux législatives l'an dernier à Paris pour EELV. Ça n'a pas fait jaser dans le réseau ?

Non... Pas trop... Je l'ai découvert tardivement...

Vous avez investi dans la Cigales 1881 qui est l'un des actionnaires de Factuel. Pourquoi ?

D'abord, c'est à titre personnel. Pourquoi ? Mais parce que j'ai toujours souhaité accompagner le développement de la presse et des médias indépendants et libres... Que ce soit SilenceLutopik ou L'Age de Faire, on a cette vigilance là...

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